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LES GRANDS MOMENTS – 11 : 1987, UN JUBILÉ EN CHANSONS « GENTLEMAN TRENET »
le 01 Fév 2014 - 12:13
Charles et la chanson

GALA MUMM AU THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES , LE 26 SEPTEMBRE 1987


par Elisabeth Duncker



DES ANNÉES DE SILENCE… ?
Charles semblait vouloir tenir parole en ne se produisant plus à Paris.
Cependant il ne resterait pas inactif, paraissant d'abord le 15 août 1981 sur A2, dans le magazine de Jacques Ertaud : «Bonjour bonsoir la nuit», qui passait en direct tard dans la soirée et pour lequel il créa quelques vers, restés inédits (1*). Puis, début septembre, il faisait une seconde partie au Festival Mondial de la Chanson française à Juan-les-Pins.
En décembre 1982 il réapparut à l'antenne de TF1, pour «Le Grand Studio» de Michel Legrand, et auparavant, en septembre de cette année, fut tourné dans sa propriété «Le Domaine des Esprits» à Aix-en-Provence, «Témoins», un vidéo-livre de Danièle Delorme, avec un entretien conduit par Pierre Bouteiller.
Nommé en août 1982 Chevalier de la Légion d'Honneur, il commettrait ensuite l'erreur de se présenter à l'Académie française. Bien entendu, il  fut recalé.

Dans son ouvrage volumineux, «Monsieur Trenet» (Lieu Commun – 1993), Richard Cannavo y consacre près de 50 pages. Je n'en ferai pas autant. Aussi fais-je grâce au lecteur des nombreux commentaires parus dans la presse à ce sujet.


...




En 1983, on le revit sur A2, dans  «Chansons sans frontières» (Lieder ohne Grenze), à l'occasion du 20e anniversaire du traité franco-allemand, où il interpréta La mer, avec le grand orchestre de Pierre Porte, et dans un «Grand Echiquier» de Jacques Chancel, consacré au violoniste Pierre Amoyal; puis, pour TF1, dans «L'âme des poètes» filmée dans les jardins de la maison de Claude Monet  à Giverny. Et il ne faut pas oublier, également en 1983, la série d'entrevues avec Claude Chebel,  «Fidèle»,  sur France-Inter, et la parution d'un livre Pierre, Juliette et l'automate, chez Robert Laffont, écrit initialement pour un téléfilm, mais non retenu.




Ce serait grâce à la ténacité du jeune Canadien Gilbert Rozon qu'il accepta de faire un récital à Montréal et à Québec, dans le cadre du festival Juste pour rire, dont paraîtrait un 33 tours de la marque SECAS, un disque rare, non distribué en France.

Entre 1982 et 1985 il enregistrerait une dizaine de chansons parues d'abord en 45 tours et regroupées ensuite dans l'album CBS «Florilège 86» qui serait son dernier chez la marque, et pour lequel il ne ferait pratiquement pas de promotion, sauf une apparition chez Pascal Sevran dans La chance aux chansons, à l'époque encore sur TF1. (2*)




Et le 23 novembre 1985, au Moulin Rouge à Paris, il reçut le premier trophée des Victoires de la Musique, en récompense pour son œuvre. En 1986 il apporta à Dalida Le visage de l'amour. (3*) A la mort de celle-ci, un an plus tard, il déclarerait : «Elle avait l'art d'imposer un air qu'on entend une fois et que l'on n'oublie plus…».


En mars de cette année, il fut l'invité de Patrick Poivre d'Arvor dans "A la folie...", sur TF1, avec le groupe beur Carte de Séjour interprétant une version mise à jour de Douce France, tandis que Charles présentait Allons idées, écrite pour un mouvement créé à l'initiative de Jack Lang. (4*)

Ces années aussi, petit à petit, il était devenu gras.
Déjà en janvier 1984, à l'inauguration de la nouvelle salle de spectacle Zénith à La Villette, en présence de Jack Lang et François Mitterrand, il était méconnaissable, affreux, tant il avait engraissé!
L'âge commençait à être là et les excès de table et de boisson certes n'arrangeaient rien.





ÇA REPART POUR TRENET
Sous ce titre, «Minute» dans son numéro 1256 du 2 au 6 mai 1986, publiait :

Bien qu'il ait été, ces dernières années, quelque peu égratigné pour s'être compromis avec les socialistes en soutenant, aux municipales 1983, l'ami candidat Jack Lang avec un spectacle spécial, Charles Trenet n'a pas perdu le moral. Le retour dans ses foyers de son éphémère ami Jack Lang ne provoque en lui aucun regret ni apitoiement. Un poète, c'est au-dessus de ces choses malsaines de la politique.
Bref, le fou-chantant est en pleine forme. A tel point qu'il persiste dans sa volonté de faire sur scène ce qui sera tout à la fois une rentrée et des adieux. Un superrécital qui serait le point d'orgue de sa carrière et sanctifierait sa gloire. Et sa bien compréhensible vanité…

Ce sera en septembre de l'année prochaine sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées qu'il réapparaîtra, auréolé de sa célébrité…


Et en novembre 1986, il déménageait de La Varenne à Nogent  (5*), avant de se réfugier dans le silence, restant, pour un certain temps, absent des médias.




JE SUIS UN CHANTEUR DE RYTHME

Après une période de semi retraite, maigri d'au moins huit à dix kilos, il allait, début 1987, retrouver la scène et les projecteurs en revenant devant les caméras d'A2.

C'est la fête de la chanson française et pour cet événement Michel Drucker a fait appel au plus grand : Charles Trenet, écrivit Rodolphe Hassold dans «France-Soir» du 10 janvier 1987.

Debout sur la scène du pavillon Gabriel à Nogent, Charles Trenet lui-même. Autour de lui, vingt-cinq musiciens. Regard bleu caché derrière des lunettes, micro à la main, le maître de la chanson française répète pour ce «Champs-Elysées spécial»  qui lui est consacré. Jamais encore on n'avait vu sur ce plateau où ont pourtant défilé bien des stars, un artiste aussi perfectionniste. La moindre note qui accroche, le manque de feeling d'une main trop rigide qui court sur le clavier du piano et Trenet interrompt Christian Rémy, le chef d'orchestre. Difficile de travailler derrière cet homme-là. Avec lui il est vrai que les mots prennent une autre dimension, une autre résonnance. De sa voix chaude qu'il module, il les murmure ou les chante à pleins poumons. Ces mots qu'il a inventés, il les fait swinguer ou leur imprime un rythme doux : Revoir Paris, Douce France. . .
Sa grande rentrée avec orchestre et en public à la télévision, il veut la réussir.

«Il est normal que je rende visite à des gens qui se sont déplacés pour me voir pendant des années, dit-il. La télévision me permet d'aller chez eux.Le public aime reconnaître plus que connaître, disait Cocteau. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette formule, mais c'est vrai que mes chansons ont toujours eu besoin d'un certain temps. Et puis on ne peut pas empêcher des soi-disant modernes de penser que je suis une vieille barbe.»


Trenet n'est pas dupe et c'est sans aucune aigreur qu'il remet les choses en place. Lui qui, toute sa vie, a manifesté fraîcheur et jeunesse d'esprit, admet difficilement que certains le classent dans une catégorie dans laquelle il ne se reconnaît nullement. «On peut très bien être moderne et français, précise-t-il. Moi, je suis un chanteur de rythme. Le rock est simple mais quand c'est bien fait, je ne suis pas contre.»

Avec ce retour chez Drucker, ça repartait pour lui.
Un mois plus tard, il revint dans un autre «Champs-Elysées» en direct de Monaco, pour la clôture du Festival international de télévision, où il interpréta La mer avec le grand orchestre philharmonique de Monte Carlo, en présence de la famille princière.
Et Pascal Sevran donna à son restaurant, rue Lepic  face au Moulin de la Galette, le nom d'une de ses chansons : Coin de rue.

Le 20 mars, José Artur l'accueillit dans son «Pop Club» :

- Charles Trenet, vous allez refaire de la scène ou est-ce que vous ne voulez pas?
- Ils me redemandent au 11ème Printemps de Bourges, en avril prochain. Et on m'a demandé de participer à la réouverture du Théâtre des Champs-Elysées. On l'a remis à neuf cette année. Il se trouve que ce théâtre a mon âge, il est de 1913. C'est une espèce de jubilé commun. . . Enfin on va voir. Un soir ou deux. Je crois qu'il ne faut pas exagérer non plus. C'est pas un music-hall. Dans un music-hall on peut passer un mois. Dans un théâtre comme ça, on passe un jour ou deux. Ça suffit.

Auparavant, le 9 juin, il chanterait pour la Nuit de la Musique et dans le cadre de la Fête de l'Eau et de la Lumière. «De l'eau» en effet, il pleuvait des cordes et cela se passait en plein air, au pied de la tour Eiffel, où Jacques Chirac, alors premier ministre et maire de Paris, lui remit la médaille de la Ville de Paris. FR3 en ferait un étonnant reportage de 75 minutes, diffusé le 20 décembre 1987 et intitulé : «Chapeau Mr Trenet», avec des témoignages de notamment Paul Guth, Cora Vaucaire, Christian Rémy et… Henri Chenut.





TRENET 50 ANS DE Y'A D'LA JOIE
(«Le Figaro Magazine» No. 13397 du 26 septembre 1987) par Pierre Laforêt.

Y aura d'la joie ce soir au Théâtre des Champs-Elysées : à 74 ans, Charles Trenet y fêtera cinquante ans de chansons! Un demi-siècle de succès pour Trenet et le Tout-Paris qui lui réserve un triomphe de plus…

Les chansons de Trenet ont le goût de cerises dérobées dans le verger des voisins. Elles gardent le parfum d'une génération qui n'en finit pas de rajeunir. Le 25 mars 1938, bondit sur la scène de l'A.B.C. , un garçon de vingt-cinq ans.
Décor sur toile de fond : une route bordée d'arbres et de fleurs printanières. Le jeune homme, à un mètre cinquante du public, œillet à la boutonnière, s'agite, roule des yeux, secoue un drôle de petit chapeau mou. Stupéfié par sa soif d'air pur et de tendresse de rêves et d'amour de la vie. La curiosité pour ce chanteur dingue et qui se trémousse et lance des vers charmants, cède le pas au triomphe. La salle trépigne. Le Fou chantant chante sans micro, jongle avec les mots, joue de l'onomatopée.

Hors du temps, dès le départ, il se place. Louanges ou attaques, rien ne l'arrêtera. Il va vivre son Jardin extraordinaire peuplé de folies en tout genre, aimant le vin, les honneurs, les voyages aux îles et des adieux qu'il renouvelle au gré de ses impulsions, revenant pour disparaître mieux et retrouver les Oiseaux de Paris, sa Fleur bleue, ou ses enfants qui s'ennuient le dimanche.
Le fou chantant, muse de ses propres muses, écrit, écrit, écrit. Sur des coins de nappes en papier, sur des morceaux de carton, au dos d'enveloppes, partout où ses sens l'émoustillent ou le provoquent, entraîné par sa vitalité.
Optimiste, il aime la caricature. Réaliste il sait rêver malgré tout. Trenet incarne la plupart des qualités et des défauts «bien de chez nous», celles que célébraient Mireille et Jean Nohain dont il se reconnaît le descendant. Fêtes galantes, fantasmes, café du Commerce, Trenet se promène dans l'existence des uns et des autres. Il voltige, son microscope à la main.


Rien n'a changé depuis cinquante ans. Seul le nombre de ses poèmes chantés, ses cris du cœur, ses élans, augmente d'année en année. En 1984, on en décomptait officiellement trois cent cinquante-deux. Aujourd'hui, en 1987, quatre cents, peut-être plus, peut-être moins. Il ne les réécoute que rarement. Toutes délicieuses, ou superbes. Dont La mer, diffusée en moyenne une quinzaine de fois par jour internationalement. Océan qui continue de se transformer en or, en dollars …,  en fortune colossale. Poète et multimilliardaire. Qui peut dire mieux?



UN BAPTÊME QUI FAIT MUMM !

Devant le théâtre, stationnaient deux fourgons d'A2 et de La Cinq; on filmerait la soirée et de ce récital de trente chansons serait tirée une vidéocassette de 52 minutes, de la marque Polygram Music Vidéo, sous le titre : «Le fou chantant en public», avec 16 chansons interprétées. Sur les marches de l'entrée on avait déroulé un tapis rouge comme si l'on attendait le président de la République.

Si la salle avait retrouvé tout son éclat, les travaux n'en étaient pas terminés pour autant : aux étages supérieurs, les murs encore nus attendaient leurs ornements, les portes avaient à peine reçu une couche d'apprêt, la moquette était posée par endroits seulement, les toilettes hors d'usage. En début d'après-midi, derrière le plateau, des menuisiers s'affairaient encore et même dans la salle en bas on achevait, çà et là, d'ajuster les armatures d'éclairage.

A 3 heures, il y aurait une répétition avec l'orchestre et les chœurs pour La mer, Je chante et Y'a d'la joie.  A l'heure dite, chacun était à son poste, les choristes, les musiciens accordant leurs instruments, Pierre Nicolas à sa contrebasse, les pianistes Roger Pouly et Christian Rémy. N'étant pas disponible le soir même, ce dernier donna des directives à Jacques Lalue qui le remplacerait comme de coutume et que Charles avait l'habitude d'appeler Edouard, prénom sous lequel  il le présentait aussi à son audience – on ne sait pas trop pourquoi, tout le monde l'appelant Jacques.

Dans la salle, un cerbère rugissant comme un fauve mettait à la porte tout le monde n'ayant rien à y faire : journalistes, photographes, deux dames se trouvant là par hasard, venues jeter un coup d'œil après avoir acheté des billets pour un concert à la caisse.
Charles arriva, vêtu de bleu lavande.
Il avait encore beaucoup maigri, ayant dû suivre un régime draconien pour perdre tant de kilos en si peu de temps!

Il était en compagnie de son jeune impresario Gilbert Rozon, du directeur du théâtre Georges Hirsch, du baron de Gunzburg, président-directeur de Mumm & Cie. , et de Gérard de Ayala des Relations Extérieures.

Les répétitions ne se déroulèrent pas sans accrocs, l'ingénieur du son ne parvenant pas à régler le micro et Charles, détestant les à-peu-près, s'écria avec emportement :
«C'est minable, mi-na-ble!»

Le soir, une heure avant le début du spectacle, le hall se remplit d'une foule élégante, des gens venus par curiosité ou par plaisir, la plupart pour être vus et pour se voir, tous en tenue de soirée, celle-ci étant de rigueur ce soir-là.

Il y avait là Guy Béart, Pascal Sevran, Michel Serrault, Charles Aznavour, Jack Lang, Guy Lux, Marcel Amont, Katja Tchenko, Cora Vaucaire, José Artur, Anne Sinclair, Nicole Croisille, Pauline Coquatrix, Frédéric Mitterrand… Aux fauteuils d'orchestre, se tenaient Jacques Martin, Mme Breton, Jean-Jacques Debout avec son épouse Chantal Goya.
Charles, en pleine forme, même s'il se plantait dans les paroles quelquefois, avait remis son œillet au revers au lieu d'étaler ses insignes comme il l'avait fait dernièrement à Bourges.




CHARLES TRENET GRISE PARIS
titrait «Paris-Match» dans son numéro 2003 du 16 octobre 1987.

 
Y'avait d'la joie et des roses rouges dans l'air au Théâtre des Champs-Elysées, où Charles Trenet, œil bleu comme son costume, lisse et brillant comme une pomme d'api, venait de transporter la salle au septième ciel. Sept rappels.
Médusés, grisés,  emportés sur un petit nuage de bonheur, les 1500 invités en «smok» et robe longue. De Sabine Azéma, marraine de la nouvelle cuvée Mumm,  que le baron Alain de Gunzburg avait royalement fait couler à flots dans une pyramide de 4.000 verres, à Elvire Popesco, ils avaient tous le cœur qui faisait boum! Chantal Goya et Jean-Jacques Debout étaient en état de félicité totale. Jack Lang trépignait d'enthousiasme.
Charles Aznavour lançait des bravos sans fin.




Il y eut un moment d'émotion, celui où Charles Trenet présenta son bassiste, Pierre Nicolas, fidèle compagnon de Georges Brassens qui avait repris du service pour la circonstance. Il y eut deux éclats de rire : un au moment où Charles répondit à Serge Lama
(ce fut au cours d'un duplex avec "Champs-Elysées" de Michel Drucker sur A2) "Je serai là quand Napoléon fêtera ses cinquante ans de chanson", et un autre, lorsqu'il entama "Mumm, le monde entier fait Mumm, quand notre cœur fait Mumm!"  

Les cinq dernières minutes resteront éternelles : le rideau s'ouvrit sur un grand orchestre et lorsqu'il attaqua «La mer» , ce fut le délire!
«Je suis heureux, dit-il, qu'un disque perpétue cette soirée.»


C'était un album de deux microsillons que EMI Pathé Marconi sortirait un an plus tard, sous le titre : «Le fou chantant en public», en même temps qu'une double cassette, portant la mention : «Avec l'aimable autorisation des disques Barclay et CBS.»

Sur la pochette, une étiquette : «Enregistrement intégral de son récital», ce qui pourtant n'est pas tout à fait vrai :  deux titres manquent : Ne cherchez pas dans les pianos et La polka du roi, et l'ordre n'a pas toujours été respecté. En plus ses monologues qu'il intercalait entre ses chansons, ont été pour une grande partie tronqués. En 1989 paraîtrait un disque compact avec 25 titres.
Voici dans l'ordre exact, les titres des chansons interprétées :
1. Revoir Paris – 2. Au bal de la nuit – 3. L'oiseau des vacances – 4. Les chiens-loups – 5. Le revenant – 6. Kangourou – 7. J'ai ta main – 8.  La famille musicienne – 9. Douce France – 10. Il y avait des arbres – 11. Rachel dans ta maison – 12. Que reste-t-il de nos amours – 13. Mam'zelle Clio – 14. Fidèle - 15. Boum!  (entracte) – 16. Ne cherchez pas dans les pianos – 17. Cinq ans de marine – 18. D'la fenêtre d'en haut – 19. La java du diable – 20. Où sont-ils donc? – 21. La folle complainte – 22. Le jardin extraordinaire – 23. Le serpent python – 24. Vous oubliez votre cheval – 25.  Le soleil et la lune – 26. L'âme des poètes - 27. La mer – 28. La polka du roi – 29. Je chante – 30. Y a d'la joie.





GENTLEMAN TRENET
Sous ce titre, Jean Luc Wachthausen dans «Le Figaro» du 28 septembre 1987 écrivait :

«Trenet? Un feu de paille qui durera !» Jean Cocteau ne s'était pas trompé sur la formidable carrière de ce feu follet qui, depuis cinquante ans, fait swinguer la syntaxe sur des airs de valse, de jazz et de java.


Diable d'homme qui en l'espace d'une soirée aux Théâtre des Champs-Elysées nous fait oublier d'un seul coup les avatars d'une chanson française biodégradable.


L'œil bleu est toujours aussi vif, le chapeau mou vissé sur la tête, le complet bleu et l'œillet à la boutonnière, il mène son tour de chant allegro vivace avec un style bon enfant, léger comme l'air, sans jamais tomber dans la caricature, mariant la poésie des mots simples avec la saveur des mélodies entêtantes.


Trenet ouvre en l'espace de cent vingt minutes sa route enchantée parsemée de merveilleuses chansons comme Revoir Paris, Le Revenant, Douce France,  Il y avait des arbres, La Folle complainte, etc. L'émotion passe intacte pour les anciennes générations, tandis que les nouvelles, attentives, réalisent tout ce qui peut les rapprocher d'un message aussi mobilisateur que Y'a d'la joie et Je chante.



Nous avions rendez-vous avec un gentleman qui avait décidé ce soir-là d'apparaître tel qu'en lui-même, simple, sans apparat, bricoleur de rêve, magicien d'une époque révolue, poète et vagabond qui a le privilège, à soixante-quatorze ans, d'être toujours en léger décalage, c'est-à-dire en avance sur son temps.



L'ÉTERNELLE JEUNESSE DE CHARLES TRENET
(article signé aux initiales D.G. - «Jours de France» No. 1709 du 3 octobre 1987) :

Cinquante ans de chanson et pas une ride au cœur. A croire que le bonheur conserve… Un demi-siècle après ses débuts où il bondit sur scène pour crier sa joie de vivre, notre «fou chantant» conserve, à 74 ans, cet air de l'éternel enfant qui se refuse à grandir.
En l'accueillant samedi pour son jubilé, le théâtre des Champs-Elysées rouvrant ses portes après quatorze mois de travaux, a retrouvé le look des années folles et ne pouvait mieux parfaire sa cure de jouvence.

«Du cœur de l'homme, de toutes les voix de la nature, jaillit la divine symphonie» pouvait-on lire au plafond du théâtre, au-dessus d'une salle brillante et particulièrement enthousiaste. Le Tout-Paris de la chanson, du cinéma et de la littérature se dressa par sept fois pour ce que l'on appelle une «standing ovation».  Sur scène, en costume bleu, cravate blanche, œillet rouge, le poète répond : «Vous n'avez pas changé, vous êtes toujours aussi jeunes.»


Chaque chanson est un moment d'émotion intense. La voix n'a pas changé. La magie fonctionne à merveille dans tous les registres. Nostalgie mélancolique : Ne cherchez pas dans les pianos; humour tendre : Le Kangourou; poésie hermétique : Les Chiens-loups; surréaliste : Vous oubliez votre cheval; joie pure : Douce France… En plus de deux heures et quelque vingt-cinq morceaux, le plus juvénile des immortels a su redonner une leçon de fraîcheur à la chanson française. Infatigable, il se prépare à traverser l'Atlantique pour faire swinguer New York (6*). Quand les poètes ont disparu, que reste-t-il? Des chansons, sans aucun doute.


Dans le couloir des loges, gardé farouchement par le même cerbère de cet après-midi, il y avait beaucoup de monde, tous venus avec des cigarettes et des compliments et qui, l'un après l'autre,  pénétraient dans la loge pour saluer le Maître, chacun trouvant un mot, une phrase, auxquelles il riposta avec modestie. Ce devait être épuisant pour lui de recevoir tant d'hommages!  

A chaque fois que la porte de sa loge s'ouvrait pour faire passer des gens, on le voyait en chemise blanche, sous une pluie de flashes photographiques, avec tour à tour Jean-Jacques Debout, Charles Aznavour, Sabine Azéma, Mme Breton, Jack Lang…


On sortait par une porte latérale donnant sur une ruelle derrière le théâtre, où des travaux étaient encore en cours, avec beaucoup de poussière, des planches, une bétonnière abandonnée là dans un tas de sable. Au parking du Plaza Athénée juste à côté il redevint la proie des photographes qui avaient monté la garde devant l'hôtel et dont il se défit en s'engouffrant rapidement dans une berline noire luisante qui partit à toute allure.

Au sortir du théâtre, j'avais vu des gens se promenant avec des coffrets sous le bras et plus tard, je retrouvais un carton qu'on m'avait glissé dans la main à l'entrée et que d'un air ennuyé j'avais fourré dans mon sac, croyant à une publicité quelconque, carton qui cependant disait :










(1*) :  Pour les paroles de Bonsoir la nuit, reportez-vous à notre rubrique «TOUTES SES CHANSONS»

(2*) : «La Chance aux Chansons»  de Pascal Sevran (1945 – 2008), souvent ignorée voire dédaignée des soi-disant biographes, fut diffusée d'abord sur TF1 de 1984 à 1991, puis sur Antenne 2 et France 2 jusqu'au 22 décembre 2000.

(3*) :  "Le visage de l'amour", éditée exceptionnellement chez Orlando, le frère de Dalida. C'est à Narbonne, le 18 mai 1991, que Charles lui-même la prendrait comme chanson d'entrée à son répertoire de scène.

(4*) :   "Allons idées" : Voir « TOUTES SES CHANSONS».

(5*) :  Lire aussi dans nos Archives : UN DIMANCHE AU BORD DE L'EAU du 17 juillet 2012, de Philippe Sauvage, et LA MAISON DU POÈTE du 3 août 2012.
(6*) : Ce serait le 9 novembre 1987 au «Avery Fisher Hall». Dans «The New Yorker» de ce même jour on pouvait lire – et je laisse le texte en anglais tel quel, pour inciter les francophones à apprendre un peu la langue de Shakespeare  :

THE TALK OF THE TOWN - CHARLES TRENET
By Jane Boutwell.

At 74, the French singer and songwriter who recently gave a concert at Avery Fisher Hall, has again become a French institution. During the 30's and 40's he was the idol of Paris. Trenet has been performing steadily in night clubs, concert halls, and films for more than 50 years. Lately, Trenet has been appearing on French television and has found an army of new fans who snap up his reissued records and pack every one of his live performances. His songs – he has written more than 900 – range for ballads about love, the joy of living, and happy childhood to bizarre tales that bring to mind surrealistic images. Some of his most popular songs have acquired English lyrics : "At last, at last", "Beyond the sea" and "I wish you love" and have been recorded by the likes of Sinatra, Streisand and George Benson. But nearly always Trenet has written his songs with himself in mind, and to properly appreciate them one needs to hear him sing them in person. Writer talked to him in the Polo Lounge of the Westbury Hotel the day before the concert. His manager, Gilbert Rozon, was also there. Trenet spoke of his childhood; he grew up in Narbonne and started out as a painter. Now he divided his time among several houses. He explained : "An artist never retires… I will go on singing until I see people running for the exits."


LIRE PROCHAINEMENT :
1988, CHÂTELET TOUT NEUF,
TRENET TOUT FLAMME !




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LES GRANDS MOMENTS – 11 : 1987, UN JUBILÉ EN CHANSONS « GENTLEMAN TRENET » | Connexion/Créer un compte | 2 Commentaires
  
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Re: LES GRANDS MOMENTS – 11 : 1987, UN JUBILÉ EN CHANSONS « GENTLEMAN TRENET »
par pedrodingo (Envoyez un message) le 18 Mar 2014 - 10:59
bonjour Elizabeth

juste un mot concernant le récital MUMM en public: il y a aussi "Rachel sans ta maison" qui a disparue sur le disque . Merveilleuse chanson mais pas des plus plébiscitées . C'est un mystère pour moi : pourquoi faire "sauter" 2 ou 3 chansons sur 25 ou 27 interprétées ? Question de place ? Pfff ! En plus appeler ça "intégrale" c'est plutôt gonflé....
bien à vous
Pedrodingo

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