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par Elisabeth Duncker
En 1939, à la suite de son succès foudroyant à l'A.B.C., Charles Trenet obtint tout de suite un contrat pour les Etats-Unis, cependant ajourné pour cause de guerre qui éclata en septembre de cette année, et Charles fut rappelé sous les drapeaux.
Ce serait au printemps 1946 qu’il s’envolera pour New York, où il était totalement inconnu, jusqu’à devoir épeler son nom. Il fallait en quelque sorte recommencer une carrière, car quand on est vedette dans son pays, on ne l’est pas forcément là-bas. Et il devait apprendre la langue de Shakespeare. Pour l’y aider, quelques-unes de ses chansons seraient traduites en anglais ( Holding hands et Boom !, notamment).
La tournée le mènerait dans tous les grands cabarets New Yorkais, puis au Canada et en Amérique latine. Fin 1946, s’apprêtant à s’envoler de Rio de Janeiro pour New York, il entendit annoncer un vol pour Paris. Pris de nostalgie de son pays et ayant dix jours devant lui avant son nouveau contrat à New York, il s’embarqua et c’est dans l’avion qu’il composa Revoir Paris.
LE PREMIER ONE-MAN SHOW
Le 28 novembre 1947, Charles Trenet sera le premier à inaugurer le One Man Show au Théâtre de l’Étoile à Paris, formule qu’il avait rapportée des États-Unis, à l’instar des grandes vedettes américaines de l’époque. Ce n’est donc pas à Yves Montand que revient cette innovation, comme on l’affirme, à tort.
Avec ce récital époustouflant et accompagné par Albert Lasry et son orchestre et les chœurs Saint-Paul, Charles Trenet triompha pendant tout un mois au Théâtre de l’Étoile. (*)
DEUX MOIS À GUICHETS FERMÉS
Il y reviendrait pour des récitals en septembre 1951, avec un programme entièrement renouvelé.
Dans Opéra du 19 Septembre 1951, Jean Barreyre commentait :
Après trois ans de vagabondage dans le monde et dans les nuages, Charles Trenet est revenu revoir Paris et s’est fixé au théâtre de l’Étoile on ne sait pour combien de soirs.
Il est apparu sur fond rouge, vêtu d’un bleu à peine plus sombre que l’azur angélique, gardant son air de poète et paysan et regardant, enchanté, de ses yeux ronds et roulants, une fleur à la boutonnière, en cocarde, comme le cible de tir forain, il salua brusquement, avec la frénésie que donnent les retours enthousiastes, de son feutre décroché au vestiaire de la famille des Marx Brothers.
Il reçut modestement l’hommage du public parisien et après un petit compliment des mieux tournés, des mieux dits, expliqua son absence d’une voix qui conserve le léger zézaiement de l’enfance, il chanta.
Toujours le même, toujours n’ayant que vingt ans si l’on ne voit pas combien il a dépouillé parfois son style, réduit ses gestes, allégé son interprétation jusqu’à l’esquisse. Trois petits mouvements et trois pas…
Naturellement il se souvient aussi qu’il a été appelé le fou chantant - alors il éclate, il ouvre des yeux qui s’illuminent, fait jaillir les éclairs d’une bouche ouverte et empourpre un peu ses joues rose pompon. Où il s’échappe, c’est quand il explique, parle. Son don d’improvisateur l’emporte alors ! Il ajoute et exagère quelque peu. Mais, dans ses pitreries, quelle emprise sur le public ! La légende de sainte Catherine est mimée tout autant que chantée. Le serpent python, une des meilleures chansons rapportées d’Amérique, comporte une suite de gags et de mimiques au micro sur les films de Tarzan. Retenons aussi Dans les pharmacies, amusante description des pharmacies canadiennes où l’on trouve plus facilement des biftecks que des pilules. Les bœufs qui terminent son récital, lui permettent de donner libre cours à une fantaisie éblouissante. Et l’on regrette qu’il s’arrête, qu’il finisse sa soirée, qu’il ne chante pas, après plus de trente chansons, une chanson de plus, écrites si curieusement avec un art parfait, indécelable, inégalable, où tout se tient, reste continu, si cohérent, sans lien apparent, ces œuvres qui ont la solidité des fleurs nouvelles.
Il a eu le succès qu’il méritait, la clameur d’une salle et des cris « une autre ! » quand il avait salué et donné tout son souffle.
UNE EXPÉRIENCE SENSATIONNELLE
À l’occasion de son troisième passage à l’Étoile, en février 1952, la revue Les cahiers du disque publiait dans son numéro de mai - juin 1952, sous la plume de Georges Lourier :
Une expérience sensationnelle !
Un récital complet en deux disques longue durée 25 cm. CHARLES TRENET AU THÉÂTRE DE L’ÉTOILE. (Columbia FS 1004 et 1005).
L’apparition du disque microsillon n’avait jusqu’ici que très peu intéressé le domaine des variétés chantées. Seule, la danse, avec ses disques Surprise partie avait tiré profit de cette nouvelle révolution de l’industrie phonographique.
La marque Odéon, la première, mit sur le marché un récital Yves Montand constitué de repiquages de 78 tours. L’on s’aperçut alors que c’était insuffisant et que ces chansons, mises bout à bout, ne restituaient aucune atmosphère et que l’on s’ennuyait en les écoutant. Il fallait trouver une solution pour offrir en microsillon, « autre chose » qu’en 78 tours, et cette solution était l’enregistrement public.
Une occasion inespérée se présenta de mettre l’idée en pratique : le prochain récital de Charles Trenet au Théâtre de l’Étoile.
Qui mieux que Charles Trenet concilie les exigences d’un tour de chant public et celles de l’enregistrement sur disques ?
« Une comédie aux cent actes divers », telle pourrait être la définition de ce tour de chant qui révèle tant d’aspects de cet immense talent où la sensibilité le dispute à la plus charmante des loufoqueries, et la philosophie d’un enfant de près de quarante ans à l’insouciance d’un homme de douze ans ?
En écoutant ce récital enregistré, vous éprouverez ce petit choc au cœur qui marque l’émotion artistique de la chanson « qui porte » .Vous sentirez comme il était enthousiaste ce public de l’Étoile, et comme ses applaudissements, ses claquements de pieds, avant et après certaines chansons, sonnent vrais.
Mais il n’y a pas que les chansons ; il y a la présentation, les quelques mots charmants ou drôles que Charles prononce avant chacune d’elles. Il s’amuse lui-même et il est heureux. C’est ce bonheur communicatif que le disque n’avait pas réussi jusqu’ici à transmettre. Les bravos lui vont droit au cœur, il les pèse, les évalue. Il joue avec la salle comme le dompteur avec son tigre, et triomphe dans la gueule de l’animal.
Et lorsque le feu d’artifice s’achève, lorsque les confetti retombent au sol, lorsque le velours rouge du rideau a caché le merveilleux artificier après qu’il a chanté son petit adieu musical… Au revoir, mes amis ! , cette foule qui se presse vers la sortie est remplie d’optimisme débordant et de joie de vivre. Et la seule personne triste après ce spectacle d’enchantement, c’est le petit micro resté seul en scène dans l’obscurité et qui, jusqu’à demain, a perdu son magicien. Ce petit micro, c’est lui qui vous transmet, en deux disques, le Tout-Charles-Trenet, vivant, trépignant, rougeoyant et chantant, plus en forme que jamais et comme toujours, à fleur de cœur.
Dans ÉCHOS de cette même revue on pouvait lire encore :
Fantaisiste plein d’humour, ses chansons sont de véritables petits chefs-d’œuvre, qui dans le monde entier ont apporté le parfum de la France éternelle et ont fait de Charles Trenet un ambassadeur de la joie. Le « fou-chantant » a enregistré en deux disques microsillons, le récital donné au Théâtre de l’Étoile et c’est à un véritable gala que nous assistons depuis Fleur bleue (N.D.L.A. : laquelle d’ailleurs ne figurait pas au programme) jusqu’à La mer et L’âme des poètes. Merci Charles Trenet, de nous emmener, grâce à votre fantaisie, dans un royaume où tout est gaieté et où il fait bon vivre.
Et Georges Lourier d’ajouter :
L’Académie Charles Cros a découvert Yvette Giraud cette année en lui attribuant Le Grand Prix du Disque avec L’âme des poètesde Charles Trenet. Personne n’a encore osé dire que L’âme des poètes n’était pas une chanson de qualité. Pourtant elle est simple, directe, accessible à tout le monde. C’est pour cela qu’elle est chanson et qu’Yvette Giraud, la première, l’a mise à son tour de chant et l’a enregistrée.
(*) De ce concert seront tirés deux disques compact qui paraîtront en 2005 presque simultanément chez l’INA et chez Frémeaux dans la collection Intégrale Charles Trenet , volume no. 7.
(**) Lire aussi notre article du 4 mars 2012 : Chansons et Confidences, Charles Trenet au Théâtre de l’Etoile du 28 novembre au 28 décembre 1947.
** Lire prochainement : CHARLES TRENET UN CRU DE GRANDE QUALITÉ À L’OLYMPIA**
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