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Notre amie Elisabeth Duncker, nous fait parvenir ces deux textes, extraits du programme du récital que Charles Trenet donna au Théâtre de l’Etoile à Paris du 28 novembre au 28 décembre 1947.
Cette période correspond à un retour de Charles Trenet sur les planches françaises, après un long périple aux Amériques.
Le premier texte est rédigé par Maurice Roget, ancien imprésario de Charles, décédé prématurément en 1962.
Le second texte, sous le titre "Confidentiel", est rédigé de la plume de Charles lui-même.
Le récital au Théâtre de l'Etoile de 1947, figure sur le CD de Frémeaux « Intégrale Charles Trenet No.7 », ainsi que, partiellement, sur le CD « La vie en mauve », édité en 2005 par l’INA/Radio France.
A PROPOS DE CHARLES TRENET,
par Maurice Roget.
Avant que paraisse sur cette scène Charles Trenet, je voudrais vous dire quelques mots sur lui. Charles Trenet n’est pas seulement l’éblouissant interprète que vous allez applaudir mais avant tout un poète et un musicien. Il écrit lui-même les musiques et les paroles des chansons qu’il chante.
C’est en 1937, il venait de finir son service militaire, qu’il apporta à Maurice Chevalier Y’a d’la joie. Sa chanson fit le tour du monde. A son tour il rêve de monter sur les planches, il débute dans un grand music-hall de Paris avec un éclatant succès, obtient le grand prix du disque et en quelques mois son nom s’inscrit en lettres de feu sur les façades des grands music-halls d’Europe.
Pourquoi ? Parce que Charles Trenet a révolutionné la chanson française et toutes les capitales veulent entendre et connaître ce grand artiste dont les chansons sont sur toutes les lèvres.
Rappelez-vous : Ménilmontant, Fleur bleue, l’inoubliable Polka du roi, Je chante... et tant d’autres que vous fredonnez certainement.
La guerre finie, l’Amérique le sollicite et Charles Trenet, avec son charme spécifiquement français, conquiert le public d’outre-Atlantique. On l’a surnommé le vrai visage de la chanson française. Son dernier succès La mer, est joué sous toutes les latitudes.
Et Charles Trenet nous revient presque « en vacances d’Europe » et tellement heureux de retrouver « son public », ce public qui a fait sa renommée mondiale, tellement heureux qu’il vient d’écrire au cours de son grand voyage 15 chansons nouvelles inspirées par l’Europe et pour l’Europe.
Tour à tour joyeuses, émouvantes, rythmiques ou mélodiques, ses chansons apportent, au nouveau comme aux anciens continents, le parfum de la France Eternelle et font de Charles Trenet l’ambassadeur de la joie et l’enfant chéri du monde.
Poésie de la jeunesse, jeunesse de la Poésie, vous allez entendre Charles Trenet.
CONFIDENTIEL
par Charles Trenet
Mes chers amis,
La plus grave erreur que puisse commettre un artiste est de croire que, parce que la bonne vieille oreille du public lui a confié une certaine notoriété, il est définitivement « arrivé ». Pour ma part, je me méfie un peu de ces soi-disant « arrivés », qui, du haut d’un piédestal de petite gloire, grisés par l’encens des réclames, des lettres de folles, des adorateurs faciles, oublient le joli monde terrestre de leurs semblables.
Erreur. Faiblesse.
On n’est jamais arrivé. Et c’est bien ce qui fait le charme de la vie. Chaque minute qui s’envole, chaque minute qui vient, nous maintiennent dans une lutte perpétuelle, nous donnent conscience de nos devoirs. Le mien est, je crois, de traduire en chansonnettes les émotions que je ressens à mesure que j’existe. Mais je ne crois pas que ce devoir implique fatalement le droit d’ennuyer le monde. C’est distraire que je veux. Distraire en évitant les humeurs noires, les mélancolies perverses, dans lesquelles ne peuvent se délecter que ceux qui ont perdu la foi dans les ressources de nos qualités natives.
Bien sûr, moi aussi, comme tout le monde, j’ai de la peine, des coups durs. Mais ces larmes, je ne veux pas les monter en épingle de cravate. Je me refuse à pleurer en public ou de me vautrer dans le macabre sous prétexte d’avoir l’air profond.
Je voudrais que mes chansonnettes vous apportassent, avec l’oubli passager des problèmes actuels, la facilité d’aborder, d’accueillir ces problèmes.
L’autre jour, au Quartier Latin, les étudiants des Beaux-Arts m’ont tendu la main et j’ai dansé avec eux la ronde.
Aujourd’hui je vous tends la main et vous invite à chanter avec moi. Je vous invite à vous souvenir que nous sommes le peuple le plus spirituel de la terre, que tout le prouve dans notre histoire par les génies qui ont fleuri sur notre sol, par le contrôle de nos actions passées. Je vous invite à me considérer, non pas comme une vedette sophistiquée « arrivée » qui vient vous barber avec sa renommée internationale, mais comme un copain retrouvé qui vous aime comme sa famille.
Charles TRENET.
NOTA BENE :
Charles Trenet a dédicacé ce texte à Maurice Roget :
LES DOUZE MARCHANDES
Paroles et musique: Charles Trenet
Dédié "A Maurice Roget, amico meo"
La première vendait du lait
Et la seconde de beaux fruits,
Mais leurs dix compagnes vendaient
Leurs corps de braise, chaque nuit.
La seconde vendait des fruits
Et la troisième des légumes,
Mais leurs neuf compagnes, la nuit
Vendaient leur âme dans la brume...
Et la troisième des légumes
Et la quatrième du soleil,
Mais les huit autres aux yeux pareils
Vendaient des illusions posthumes.
Et la quatrième du soleil,
Et la cinquième des conseils,
Et la sixième des secrets,
Et les sept autres des caresses
Et les six autres, mes maîtresses
Dansent dans l'air sucré.
Douze marchandes ne vendaient
Que les larmes qui t'intéressent.
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