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par Elisabeth Duncker
A l’occasion du Centenaire de la naissance du Fou-chantant, nous vous invitons à partager avec nous les grands moments de sa carrière.
Aujourd'hui, pour ce premier épisode, nous revenons à l'aube de la carrière en solo de Charles Trenet avec son triomphe à l'A.B.C. :
MARS 1938 – UNE EXPLOSION À L’A.B.C.
CE N’EST PAS UNE SCÈNE QU’IL LUI FAUT, MAIS UN ASILE D’ALIÉNÉS !
TRENET : UN SOUFFLE NOUVEAU (LES REACTIONS DE LA PRESSE)
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MARS 1938 – UNE EXPLOSION À L’A.B.C.
L’A.B.C. , portant en sous-titre Le Théâtre du Rire et de la Chanson, ces années trente était le temple des boulevards, ressuscité de l’ancien Pavillon, boulevard Poissonnière, remis à neuf par l’entreprenant Roumain Mitty Goldin, et appelé A.B.C., pour être toujours en tête, par ordre alphabétique, des programmes parisiens.
Charles Trenet y débuta le 25 mars 1938 et conquit d’emblée son public.
Il faut dire que son nom était déjà un peu connu, non seulement grâce à Maurice Chevalier qui présenta sa chanson Y’a d’la joie, mais aussi par ses premiers disques que la radio passait, son éditeur Raoul Breton lui ayant obtenu un contrat chez Pathé-Marconi.
De plus, il profita d’une certaine expérience du métier des planches acquise par ses années d’apprentissage avec Johnny Hess, et de ce surnom de « Fou chantant », qu’Edmond Bory du Grand Hôtel à Marseille lui avait attribué (Lire aussi notre article « Le Roman des Vedettes »).
A propos de ces débuts fracassants, Madame Breton se souvient (« Destins » de Jean-Louis Roy – TSR – 1978) :
En 1937, Raoul Breton qui éditait déjà les chansons des duettistes Charles & Johnny, était allé voir Charles Trenet qui débutait en solo après sa séparation avec Johnny Hess, au Mélodie Bar à Marseille.
Raoul Breton a pressenti la prodigieuse carrière de Charles Trenet, il sentait en lui le poète qui allait vraiment changer, renverser la chanson, parce qu’à ce moment-là on chantait beaucoup la fille de joie et tout ça. C’était la chanson réaliste.
« CE N’EST PAS UNE SCÈNE QU’IL LUI FAUT, MAIS UN ASILE D’ALIÉNÉS ! »
Telle fut la réaction ahurie de M. Castille, directeur de l’Européen, en voyant Charles Trenet sur scène.
Madame Breton : Quand M. Breton est revenu à Paris, il a fallu présenter Charles Trenet au monde du spectacle. Il a donc convoqué le directeur de l’Européen qui était alors un très grand music-hall, et tous les gens de radio, les gens importants de ce métier. Il les a mis dans une salle et faisait chanter Charles sur une petite scène. Et pendant que Charles chantait, on voyait les gens partir, la salle se vidait et dans les coulisses on entendait dire : « Ce M. Castille est devenu fou, nous déranger pour ça ! »
Mais M. Breton qui connaissait bien le directeur de l’A.B.C., lui a dit :
« Il faut que tu me prennes Charles Trenet. »
« Charles Trenet ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse de ce garçon ? Alors, pour te faire plaisir, on va le mettre en fin de première partie, car là, il y a le rideau qui tombe et l’on ne se rendra pas compte. Mais il chantera deux chansons seulement. »
Et Charles a signé un contrat pour deux chansons.
M. Breton lui a fait répéter cinq chansons.
« Tu verras : tu chanteras cinq chansons », lui disait-il, « c’est le public qui voudra tes chansons. »
Et il a fallu qu’il les chante, ses cinq chansons – il n’en avait pas d’autres. Il y avait là toutes les chansons de ses premiers disques : Je chante, Pigeon vole, J’ai ta main, La polka du roi, Biguine à bango ….
Et quand il a fini de chanter, le public ne l’a pas laissé partir. Les gens étaient debout. Et lorsque Lys Gauty, qui était la vedette, est arrivée en 2ème partie, elle n’a pas pu chanter. On tapait du pied, on criait :
« Charles Trenet ! Le fou ! Charles Trenet ! »
M. Goldin a appelé Charles dans son bureau en lui disant : « Voilà ce que je fais de ton contrat. »
Il l’a déchiré et Charles qui était très jeune, a cru qu’on le renvoyait, il avait les larmes aux yeux. Alors, Goldin, avec un large sourire : « Bon, dans trois mois tu passeras en vedette tête d’affiche, à l’A.B.C. »
TRENET : UN SOUFFLE NOUVEAU
Louis Léon Martin, dans « Le petit Parisien » écrivait :
Il s’est passé une manière d événement vendredi dernier, à l’A.B.C.
Un poète du tour de chant s’y est révélé dans une atmosphère d’enthousiasme unanime.
Un souffle nouveau était passé sur la salle, un souffle né chez les poètes, où la fantaisie, les images, la joie de vivre et je ne sais quel délicieux désordre, palpitaient. Un artiste était devant nous qui nous offrait ses vingt ans, vingt ans de 1938 ! Et seule la jeunesse avec son chaos, ses audaces, ses sentiments en coq-à-l’âne, ses élans prodigieux pouvait, en effet, réaliser un tel miracle ! … Charles Trenet est le rythme né.
Il a d’instinct ces essentielles vertus du music-hall : la cadence, le mouvement. De là son potentiel, de là sa façon d’entraîner le public avec lui, un public subjugué, un public ravi de se laisser conduire et qui ne marchande pas sa confiance… un public dont les réactions étaient elles-mêmes un magnifique spectacle.
André Warnod commentait dans « Le Figaro » du 1er avril 1938 :
Le programme actuel de l A.B.C. est prodigieusement riche, c’est un super programme.
Parmi les numéros les plus marquants : Marcelle Parisys, revenue à son tour de chant ; Lys Gauty, tout en blanc, agitant à l’occasion son foulard noir, chantant des chansons anciennes et nouvelles avec une perfection minutieuse.
Au même programme une révélation : Charles Trenet, un tout jeune homme, blond et rose, vigoureux, une vivacité, une ardeur, une santé de jeune animal en liberté. Il chante des chansons dont il a composé les paroles et la musique, dont plusieurs sont célèbres comme « Y a d’la joie » qu’a créée Maurice Chevalier. Il les chante en artiste de music-hall, pas du tout en chansonnier, il danse, il se trémousse. Il fait de grands gestes, il ôte et remet sur sa tête un curieux petit chapeau de feutre.
Il est charmant.
Dans « Paris Soir » Pierre Varenne écrivait :
… D’abord une révélation : Charles Trenet.
On le connaissait comme compositeur-poète, non comme interprète. Eh bien, il est triplement remarquable, Charles Trenet. Il a la foi, l’enthousiasme, la jeunesse. Il a le rythme et l’envolée. Il possède l’essentiel : la personnalité ; il détient le divin : la poésie.
Son succès a été triomphal.
Jean Barreyre, dans « Le Jour » :
… Je veux m’expliquer maintenant sur la venue de M. Charles Trenet.
Ici, le critique se sent simplement bousculé, secoué aux épaules par l’enthousiasme de la salle. Il a eu tout de suite l’adhésion du public : il plaît.
C’est au milieu des applaudissements qu’il faut le juger.
Il écrit les paroles de ses chansons dont il compose les airs et ils ont une poésie facile et hallucinée. Et je crois que nous allons tenir le point le plus brillant de son jeune talent et qui fait cette réussite exceptionnelle : il a été bercé avec les rythmes modernes.
Je n’ai pas rencontré une aussi parfaite assimilation de ces chants syncopés sur la scène avant lui.
UNE GRANDE VEDETTE
Et voici ce que publiait « Le Figaro » en octobre 1938 :
Tout concourt à justifier la vogue de Charles Trenet, si rapide, si complète.
Il se présenta au music-hall pour la première fois, sur cette scène, il y a quelques mois et, tout de suite, fut sacré grande vedette.
Voilà donc Charles Trenet parti sur sa Route enchantée.
Suivons-le dans cette belle carrière.
**Lire prochainement : CHARLES TRENET TRIOMPHE AU THÉÂTRE DE L’ÉTOILE À PARIS.**
Ouvrages consultées :
* Music-hall et Café-concert, par André Sallée et Philippe Chauveau – Editions Bordas - 1985
* La ballade de Charles Trenet, par Richard Cannavo – Robert Laffont - 1984
* Charles Trenet, par Marc Andry – (collection Masques et Visages) Editions Calmann-Lévy - 1953)
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