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par Jean Séraphin
Sur EUROPE N°1, chaque soir du mois de juin 1961, Charles Trenet, bavardant avec ses auditeurs, évoquait souvenirs, égrenait quelques anecdotes…
Sans doute, Jean Séraphin, qui notait tout cela pour le "Journal du Club de Amis de Charles Trenet" (1957 - 1968), nous transmet-il ici les meilleurs moments de ces trois semaines d'émissions.
Voici les thèmes évoqués ci-après :
SUR LE FOU CHANTANT …
SUR SON 1er CONTRAT CHEZ COLUMBIA
SUIS-JE UN HOMME D'AFFAIRES ?
SUR "Y A D'LA JOIE !"
SUR MAX JACOB
LA CHANSON, UN ART MINEUR ?
MON PUBLIC ET LA JEUNESSE
CLIN D'OEIL EN GUISE DE CONCLUSION
SUR LE FOU CHANTANT
Je n’ai pas encore dit un mot du « fou chantant », cet autre moi. Aujourd’hui on me demande si cela me gêne d’avoir eu pendant de longues années ce qualificatif accolé à mon nom. Très sincèrement : non, cela ne me gêne pas le moins du monde. J’en parle d’autant plus librement que l’idée n’est pas de moi, mais de mon ami Edmond Bory de Marseille.
Il avait dans les sous-sols du Grand Hôtel, sur la Canebière, une petite boîte, charmante du reste, qui s’appelait « Mélodie Bar », où il nous avait engagés, avec Johnny Hess et notre duo, Charles et Johnny. Mais quand j’ai fait mon service militaire, dans l’aviation, à Salon-de-Provence, évidemment j’étais tout seul. Johnny était en Suisse et moi…, il a bien fallu que je le fasse, mon service militaire. Alors, je venais en permission, le samedi soir, chanter, dans les sous-sols de ce « Mélodie Bar ». Il faut vous dire qu’à cette époque je m’étais fait couper les cheveux complètement à ras, grattés vraiment à la pierre-ponce ; non pas parce que c’est le règlement à Salon-de-Provence : la discipline là-bas était assez douce et (comme on dit dans la théorie militaire) paternelle mais ferme… et surtout paternelle.
Pendant mes permissions j’allais chanter chez Bory. Je ne m’appelais pas Trenet. Fidèle au duo Charles et Johnny, je me produisais sous le simple prénom de « Charles ». Et comme je me présentais devant le public avec le crane parfaitement lisse et un monocle vissé sous le sourcil droit, j’avais l’air d’une espèce d’Eric Von Stroheim de la chanson : à cette époque, on n’avait pas encore inventé Yul Brynner.
Pour Bory, je suis devenu du jour au lendemain le « fada chantant », ce qui se traduit en bon français par le « fou chantant ».
Chaque samedi j’étais nourri et logé et je mangeais ce qu’il y avait de plus cher, car c’était Bory qui payait tout. D’ailleurs, c’est comme cela que j’ai appris à apprécier le caviar. Au fond, je ne l’aimais pas tant que cela ! Je l’aimais parce que c’était cher et pour voir la tête d’Edmond Bory.
Bory, qui était un bon ami, était aussi un homme d’affaires avisé car, malgré le caviar que je lui mangeais, le simple fait d’avoir affiché à la porte du Mélodie Bar le fou-chantant qui lui a valu la présence d’un nombreux public qui ne se serait certainement pas dérangé pour entendre « Charles » ou 55% d’un duo né quelques semaines auparavant à Montparnasse.
Et quel public il y avait ! Louis Ducreux, qui venait tous les soirs avec André Roussin. Je peux dire qu’ils ont été vraiment mes deux premiers supporters. Je leur en suis toujours très reconnaissants.
SUR SON 1er CONTRAT CHEZ COLUMBIA
<J’ai terminé mon service militaire à Saint-Cyr ; là, il n’y avait pas que des futurs officiers (la preuve, moi…) A côté de l’école, il y avait d’autres soldats comme moi. Un jour, mon éditeur, Raoul Breton est venu me voir, avec sa vieille Ford. Il me dit : « A présent, Charles, c’est fini, la plaisanterie, il faut être sérieux. Je vais éditer tes chansons. Je vais essayer de t’avoir un rendez-vous avec Monsieur Bérard, le directeur des disques Columbia. »
Ce rendez-vous, nous l’avons attendu six mois. Chaque fois que nous avons essayé de l’avoir, M. Bérard n’était pas là ; il était parti pour la province, il était à l’étranger, en conférence. C’était un personnage impossible à avoir. Mais, quand M. Bérard a bien voulu me recevoir, tout a changé. Cela s’est passé vraiment en cinq minutes. On avait l’impression qu’il voulait rattraper ces six mois. Il m’a signé le contrat tout de suite : un contrat pour enregistrer des disques !
Pour moi, c’était le plus beau jour de ma vie. Bérard était l’homme qui avait découvert Lucienne Boyer et lancé Tino Rossi. Je vivais en rêve… un rêve qui ne s’est plus arrêté depuis.
Bérard était un merveilleux pianiste. Dès que j’avais terminé de chanter une chanson, il la rejouait, à la manière de tous les musiciens. Ce qu’il improvisait le mieux, c’était le Chopin.
Il peignait aussi et, comme un jour je m’étonnais qu’un artiste tel que lui puisse être à la tête d’une telle entreprise, une grande maison de disques (d’autant qu’il dirigeait aussi la partie commerciale), il m’a répondu cette phrase étonnante qui me fait encore réfléchir : « Ecoutez, Charles, au commencement d’une grande affaire, il y a toujours un poète. »
SUIS-JE UN HOMME D'AFFAIRES ?
Suis-je vraiment un homme d’affaires ? J’hésite à répondre. Je voudrais le faire croire ; en une certaine mesure, j’y suis même parvenu. En vérité, ne le suis-je pas, du moment que j’ai réussi à le faire croire, hein ? C’est le principal !
Mais peut-être n’est-ce pas tout à fait certain. La fantaisie ne perd jamais tout à fait ses droits. Et si je me décide, pour une raison quelconque, de chanter dans telle ou telle salle, eh bien ! je le fais.
Chaque été la même discussion a lieu. Certains casinos (*1) s’étonnent du prix que je leur demande, alors que j’ai accepté de chanter pour le quart, parfois même le sixième, dans un autre casino que je préfère.
- Mais enfin, monsieur, ce n’est pas sérieux !
- Vous êtes de grands casinos, leur dis-je. Vous avez les moyens, vous avez des recettes formidables avec la roulette, le baccarat ! Vous avez les moyens de faire accorder vos pianos ! Tandis que ces petits casinos où je me sens si bien et où le public est si gentil, ce n’est pas la même chose, ceux-là, il faut les aider.
Moi j’aime chanter dans les endroits qui me plaisent, voilà, c’est tout. Où serait la joie de cette profession de chanter si, de temps en temps, parce qu’on n’est plus tout à fait inconnu, on n’avait pas le droit de choisir, hein ?
Alors, suis-je ou ne suis-je pas un homme d’affaires ?
SUR "Y A D'LA JOIE !"
Pour entrer à la Société des Auteurs, j’ai dû passer l’examen de parolier et ce sont mes parents qui ont signé les papiers puisque j’étais mineur. Au régiment, donc, ayant inscrit à mon palmarès le Grand Prix du Disque, peut-être vous imaginez-vous que j’avais auprès de mes camarades une certaine popularité ? Les camarades du régiment ne sont pas un public très indulgent. Remarquez : c’est un bon public, mais un vrai public.
Les copains m’avaient donné un surnom : ils m’appelaient « le chanteur inconnu ». Cela donnait une idée assez exacte de la haute opinion qu’ils avaient de moi.
Le chanteur inconnu balayait la cour. C’est fou ce que l’on peut balayer au service militaire. Je n’ai jamais autant balayé de ma vie. Et même quand il m’arriva de balayer, comme cela, à La Varenne, le matin, les feuilles mortes à l’automne, je pense toujours à ce charmant temps de ma vie où j’étais soldat. Du reste, c’est en balayant que j’ai composé Y’a d’la joie.
Il faut vous dire que mon éditeur Raoul Breton venait à ce moment-là de se marier. Maurice Chevalier, qui était un vieux copain à lui, avait accepté, comme cadeau de mariage, de lancer la chanson que Raoul Breton choisirait lui-même.
Alors Breton lui dit : « Ecoutez, n’y allez pas par quatre chemins, c’est une chanson qui va vous surprendre, peut-être, c’est extrêmement bizarre, mais je crois que ce n’est pas mauvais : prenez Y’a d’la joie ».
Un soir, je suis allé voir Chevalier au Casino de Paris, dans sa loge. Il a lu la chanson, puis il m’a dit : « C’est tout de même un peu fou-fou, tout cela, hein ? » Evidemment il n’était pas habitué à chanter des tours Eiffel qui s’en vont en balade, des percepteurs qui s’envolent et des facteurs qui s’envolent aussi. Alors il m’a demandé très judicieusement de modifier certaines choses qui n’étaient pas excellentes. Par exemple, à un moment, je disais :
Les garçon boucher qui va sur ses quinze ans
Est fou d’amour fou pour une femme-agent
Et la femme-agent qui va sur ses cent ans
Est folle de bonheur de cet amour d’enfant.
Y’a d’la joie…
Il a fallu que je change cette phrase. Chevalier a eu raison, du reste. Cela a été une sorte de collaboration entre lui et moi pour écrire cette chanson. Quand elle a été définitivement lancée et que Chevalier, tous les soirs, la chantait en chanson d’entrée, quand j’étais sûr de mon petit effet, j’amenais mes copains du régiment au promenoir du Casino de Paris. Quand Maurice annonçait : « Paroles et musique de Charles Trenet », je les poussais du coude et je leur disais : « Vous avez vu, le chanteur inconnu, hein ? »
SUR MAX JACOB
Vous pensez bien qu’il était impossible de fréquenter Montparnasse à cette époque sans se lier d’amitié avec les poètes. C’est en chantant avec Johnny Hess au College Inn que j’ai eu la chance de connaître Max Jacob. C’est pour lui que j’ai composé la Polka du roi.
Sans un accident de taxi, La polka du roi ne serait jamais née. L’accident, ce n’est pas moi qui l’ai subi, mais Max Jacob ; un accident assez curieux, au demeurant, mais assez comique aussi quant à ses conséquences médicales : Max prétendait y avoir attrapé une congestion pulmonaire. Il souffrait aussi d’une légère claudication qui lui était assez pénible, mais dont il se moquait lui-même le premier.
Alors je lui ai dit : « Max, tu boites comme Louis XIVe » , (en effet, je tutoyais Max Jacob ; c’est lui qui l’avait exigé, moi, je n’aurais jamais osé !) Et c’est pour faire rire Max que j’ai composé La polka du roi, chez lui, à sa table, pendant qu’il travaillait.
Pendant que je composais, il peignait des gouaches. C’est là qu’il m’a livré le secret du gris inimitable de ses gouaches. Ce n’est plus un secret maintenant, on peut le dire : il se servait de la cendre de cigarettes, parfaitement.
Quand la chanson était terminée, c’est lui qui, le premier, la chantait et, en quelque sorte, la Polka du roi a été créée par Max Jacob.
Il aimait beaucoup les chansonnettes, il aimait à en écrire aussi ; nous en avons fait ensemble. Il m’écrivait : « Viens ! Nous ferons des chansons ! Nous ferons même une chanson sur le Pape ! »
Il y avait à cette époque une chanson de Jean Tranchant qui s’appelait : « Il existe encore des bergères », Max voulait que nous écrivions une chanson qui commencerait ainsi :
Il existe encore chez Pie Onze
Des tables de nuit pour enfants,
Que garde une dame de bronze
Et un éléphant.
Voyez la fantaisie ! Oui, Max avait raison, la chanson, c’est cela, quelque chose que l’on fait dans la joie. Cela n’a pas d’importance qu'il y ait une grande portée poétique ! Il suffit qu’elle vous libère le cœur au moment où on la compose.
Mais non , ce n’est pas un message que l’on délivre !
LA CHANSON, UN ART MINEUR ?
Vous savez, mes chers amis, entre nous, je ne me prends pas au sérieux. Je ne me prends pas pour un grand poète parce que j’ai écrit quelques chansonnettes. Et ne croyez pas que je dise cela par fausse modestie, pour que l’on proteste au contraire et que l’on me dise : « mais non, mais non, mais non ». Je vous le dis comme je le pense et parce que je le pense.
La chanson, c’est un art, bien sûr, mais tout de même un art mineur, il ne faut pas l’oublier. Il arrive parfois que l’on effleure l’art véritable, c’est-à-dire la poésie : c’est une rencontre heureuse et qui est heureuse dans la mesure où on ne l’a pas systématiquement recherchée. On ne peut pas empêcher un poète authentique de rester un poète, même quand il fait une chanson.
Voyez Jacques Prévert ! Personnellement je tiens « Les feuilles mortes » pour un pur chef-d’œuvre. Ce n’est pas « une » chanson, c’est « la » chanson, au même titre que certaines chansons du folklore. Mais je tiens pour haïssables toutes les fausses feuilles mortes (et bien mortes, celles-là) dont nous avons été envahis pendant plus de dix ans, ces chansons prétentieuses, vides et creuses qui n’étaient ni de la chansonnette, ni de la poésie.
Sincèrement, croyez-moi, écrire de bonnes chansons, c’est un art, mais c’est un petit art, un art mineur. Là où commence l’art véritable, en revanche, c’est quand il s’agit de faire admettre sur scène ces chansons par le public. Peu de gens se rendent compte du travail nécessaire pour faire passer la rampe à certaines chansons. Tenez, par exemple, Maurice Chevalier, lui, c’est le plus grand artiste de la chanson, parce qu’avec lui on est toujours sûr d’avoir du grand art dans l’interprétation : il a fait passer par-dessus la rampe des chansons qui n’étaient pas très bonnes, mais cela l’amusait de prouver ainsi son immense talent.
Mon ambition, ce n’est pas de passer pour un grand poète. J’ai rêvé de l’être autrefois, oui, pourquoi le nier ? Mais alors, je n’aurais pas écrit des chansons, de ces simples chansons qui ne sont pas faites pour délivrer des messages, mais tout simplement pour apporter un peu de joie aux gens… ce qui n’est déjà pas si mal à une époque où ils en ont terriblement besoin…
MON PUBLIC ET LA JEUNESSE
Avant de créer Y’a d’la joie, Maurice Chevalier a longuement hésité. Il trouvait la chanson trop jeune pour lui. Et, remarquez, il avait à ce moment-là l’âge que j’ai à présent. Moi, aujourd’hui, je chante toujours Y’a d’la joie. Alors, n’est-ce pas le temps de me poser la question : ai-je peur de vieillir ?
Eh bien, je réponds sans hésiter : non. Car, nous autres, nous avons un métier où nous avons la chance de ne pas vieillir, ou tout au moins pas comme tout le monde, tant que nous sommes en forme. On dit souvent que l’on a l’âge de ses artères. Un artiste du music-hall, lui, a l’âge de son public.
J’ai la chance d’avoir encore un public très jeune. Oh, bien sûr, il y a parmi mes spectateurs ceux qui m’ont entendu quand ils avaient vingt ans, mais il y a aussi leurs enfants, ce qui donne lieu, parfois, à des discussions assez curieuses.
Les jeunes ne me voient pas du tout comme m’ont vu leurs parents. En m’écoutant, ceux-ci retrouvent en partie leurs vingt ans, mais ils les retrouvent dans la peau de gens qui en ont quarante ou quarante-cinq. Ils n’ont bien souvent retenu que le côté bluette, alors que c’est justement contre cette tendance que j’essayais de réagir. Ils fredonnent J’ai ta main parce qu’ils se sont connus sur cet air-là.
Les enfants, eux, apprécient le côté ironiquement désespéré de certaines chansons.
L’autre soir, dans ma loge, une jeune fille soutenait à son père que Mamzelle Clio était une chanson nouvelle. Le père disait : « Mais non, mon petit, voyons, je l’ai entendue il y a dix-huit ans, cette chanson ! » Et la jeune fille m’a pris en témoin : « N’est-ce pas que c’est une chanson nouvelle ? »
Alors moi, je n’ai rien dit, assez lâchement, peut-être. Le père avait raison, bien sûr… Mais où irait-on si l’on donnait toujours raison aux vieux, hein ? Ce serait pour le coup que l’on vieillirait !
Je vous disais hier soir que j’avais la chance d’avoir deux publics. L’harmonie d’ailleurs ne règne pas entre ces deux publics. Le père dit à sa fille : « Je te présente le fou-chantant », et la fille ne comprend pas pourquoi son père m’affuble de ce surnom.
Je ne renie pas le fou-chantant, je lui dois une grande partie de ma petite renommée, mais il y a longtemps que j’ai abandonné sur scène ce chapeau que je triturais nerveusement et que je posais en arrière sur ma tête, de façon à me faire une espèce d’auréole.
Pour les jeunes, le fou-chantant n’existe plus, il n’a jamais existé que dans l’imagination de leurs parents. Le fou-chantant, mais c’est avant tout un monsieur sportif à présent ! Oui, ce que certains aiment dans mes récitals, c’est le côté performance sportive. Ils viennent dans ma loge et sont étonnés que ma cravate soit toujours en place et que je ne sois pas essoufflé, après tant de chansons.
Je vous ai dit également que j’estimais que ce n’était pas la peine d’avoir la chance de jouir d’une certaine notoriété si ce n’était pas pour en profiter et faire de temps en temps ce qui vous plaisait. C’est ainsi que j’ai chanté à la « Rose Rouge » (*2) Certains ont dit que je voulais donner une leçon et faire voir au public le plus évolué du moment que la chanson de papa n’était pas morte et que je pouvais soutenir la comparaison avec n’importe quelle nouvelle vague.
Mais tout cela est faux ! Pour la raison bien simple que ce n’est pas dans mon caractère de donner des leçons… ni d’en recevoir, du reste.
Je voulais chanter à la Rose Rouge parce que j’aimais la Rose Rouge et qu’elle présentait un spectacle que j’adorais. J’aime beaucoup les Frères Jacques, Juliette Gréco ; et la Rose Rouge avait vingt ans d’avance sur le goût du public de ce moment-là. Je pouvais me permettre de lui présenter des chansons que je n’osais pas chanter au music-hall : elles n’y auraient pas « porté » . Et le goût de la Rose Rouge allait fidèlement dans l’évolution du goût du public du music-hall, puisqu’aujourd’hui j’ai inscrit à mon répertoire (et ces chansons sont admises) beaucoup de ses refrains que je ne chantais qu’à la Rose Rouge.
CLIN D'OEIL EN GUISE DE CONCLUSION
Ce soir, c’est notre dernier rendez-vous. Il y a trois semaines, quand on m’a demandé chaque jour à ce micro, on m’a dit : « Vous verrez, cela sera très simple, vous raconterez votre vie par petits morceaux, chapitre par chapitre. »
C’est ce que j’ai fait ou du moins c’est ce que j’ai cru faire.
Mais ma mémoire m’a joué des tours assez bizarres et j’ai oublié bien des choses que je jugeais pourtant capitales au moment où elles se sont produites. En revanche, je me suis souvenu de certains détails qui, à l’époque, me semblaient insignifiants. C’est la vie qui va, les souvenirs se modifient.
En passant, j’ai donné un coup de chapeau au « fou-chantant » . Et hop ! plus de fou chantant ! C’était d’ailleurs un fantôme. Il ne l’a jamais caché : « Les elfes, divinités de la nuit, les elfes couchent dans mon lit. »
On ne m’a jamais pris au sérieux et c’est tant mieux car, je l’avoue, moi non plus je ne me prends pas au sérieux.
Vous m’avez demandé de vous dire qui je suis ? Je n’ai pas pu répondre, car je n’en sais rien.
Quand j’avais sept ou huit ans, je chantais ce qui me passait par la tête et ma mère me demandait : « Que chantes-tu là ? » Je répondis en zozotant : « Ze çante ce que z’invente » et depuis cette époque ou à peu près, je chante ce que j’invente. Il suffit pour ça d’un peu d’imagination !
Une fois pour toutes, j’ai laissé les soucis et les angoisses à la porte du garage.
Qui suis-je ? Au régiment, les copains m’appelaient « le chanteur inconnu » . En un certain sens, ils n’avaient pas tout à fait tort. J’ai des relations mondaines, à présent, mais je suis un inconnu pour moi-même. Et cela n’a vraiment aucune importance : je ne sais qu’une chose, c’est que je suis fait pour chanter. Et je chante !
Post-scriptum :
Ces extraits, c’est avec l’oreille qu’il faut les lire. Ceux qui ont écouté l’émission retrouveront les intonations, les rires, cette présence et cette vie qui animaient un texte dont seul le fil conducteur était arrêté à l’avance : le reste coulait de source - et de quelle source ! - telle une « source bleue ».
J.S.
Nota Bene :
(*1) Dans les années cinquante-soixante il était d’usage que les artistes fassent, pendant l’été, une tournée des plages et villes d’eaux en France.
(*2) La Rose Rouge fut l’un des plus célèbres cabarets « rive gauche ». D’abord situé rue de la Harpe (1948) puis rue de Rennes (1949-1958). Le rôle de ce cabaret fut considérable en faveur de la chanson de qualité. Ainsi on put y entendre les grandes vedettes de la chanson de l’époque : Jacques Douai, Francis Lemarque, Nicole Louvier, Juliette Gréco, Jean Ferrat et… Charles Trenet. |
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