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par Dominic Daussaint
Dans la suite qu’il donne à son ouvrage de souvenirs, Le Ruisseau des Singes , Jean-Claude Brialy évoque les personnages hors du commun qu’il a rencontré. J’ai oublié de vous dire… nous offre donc une galerie de portraits, tantôt chaleureux, tantôt acides. Une plume alerte où se cotoyent Jean Gabin, Barbara, Jean Cocteau, Rudolph Noureïev, Arletty, Louis Jouvet, Pierre Brasseur, Louis de Funès… et j’en passe.
Une quinzaine de pages sont consacrées à Charles Trenet. Le portrait, assez admiratif, est toutefois ponctués de remarques piquantes. L’auteur insiste notamment – et parfois un peu trop - sur l’avarice supposée du poète. Une avarice qu’il nuance modérement en précisant:
Souvent, on disait que Charles Trenet était avare. Moi, je pense qu’il aimait l’argent, comme une chose qui le faisait jouir. Compter les billets, aoir de l’argent liquide pour acheter une Rolls. Mais il savait aussi être généreux.
Brialy brocarde aussi, et à juste titre, l’esprit fantasque et la folie qui habitait Trenet :
Il habitait La Varenne, dans un pavillon avec un jardin plein de fleurs artificielles qu’il arrosait ! C’était un fou…
Dans le même esprit, il relate une anecdote que je ne résiste pas à reproduire ici car, pour moi, elle n’évoque que de bons souvenirs. En effet, j’étais physiquement présent, dans la salle, en coulisse comme au dîner qui suivit le gala de clôture de ce Festival de Ramatuelle où Charles Trenet se produisit et que raconte Jean-Claude Brialy. C’était la deuxième fois que je le voyais sur scène et si j’étais enchanté, nul doute que Brialy, qui dut gérer l’artiste, le fut beaucoup moins.
En 1987, l’idée vint à Jean-Claude Brialy de proposer à Charles de venir chanter à la clôture du festival que le comédien organise tous les ans à Ramatuelle. Trenet accepte mais, déjà, son imprésario, Gilbert Rozon met déjà des gants :
- « Le problème avec Charles, c’est qu’il est très cher et il n’y a pas de discussion possible … (…) C’est deux cent cinquante mille francs ». C’était très lourd pour nous, écrit l’acteur, mais (…) j’étais décidé à toutes les folies pour avoir le monstre.
Brialy contacte alors deux sponsors et amis, Pierre Elsen, président d’Air Inter ainsi que le patron de Cartier. Une fois les fonds réunis, il appelle Gilbert Rozon qui précise que tout est en ordre, que Charles l’avait marqué dans son carnet et qu’il allait de toute façon lui rappeler régulièrement. (…) Une fois par semaine, j’appelais. (…) Il était difficile de joindre Charles Trenet. On ne pouvait lui parler qu’entre midi et midi sept. (…) J’appelais à la bonne heure, mais tout le monde appelait à cette heure-là, évidemment, et Charles était toujours occupé. Il était en vacances à Antibes. Je lui demande comment il compte venir.
- En voiture, me répond-il. (…) Mais ce serait bien que tu me trouves un hôtel, je ne veux pas rentrer dans la nuit après le spectacle. (…) On m’a parlé d’un hôtel sympathique à Saint Tropez, le Byblos…
C’est l’hôtel le plus chic du coin et, en plein mois d’août, il est archi-complet. Le directeur, très embêté, se montre compréhensif et modifie toute son organisation pour trouver une suite à M. Trenet.
Quelques jours plus tard, Charles rappelle Brialy et réclame une grande suite avec deux chambres car il ne veut pas que Georges, son secrétaire, couche ailleurs.
« - Vous allez me prendre pour un fou, s’excuse Brialy au téléphone avec le patron de l’hôtel, mais vous savez que Charles Trenet est quelqu’un de très fantasque, il s’aperçoit tout à coup que son secrétaire doit être à ses côtés »
L’hôtelier modifie une nouvelle fois tous ses plans et arrange tout pour que M. Trenet reçoive un « accueil formidable.
Enfin, « le jour de gloire est arrivé. J’appelle Charles a midi deux et lui demande à quelle heure il veut venir (…) faire sa balance (…)
- Je viendrai vers six heures, quand il fait moins chaud (…).
A cinq heures, Georges m’appelle pour me dire qu’ils seraient là vers huit heures, finalement.
- Tu sais que le spectacle est à neuf heure trente tout de même ?
- Oui, oui. Mais Charles préfère.
Charles arrive donc à huit heures, d’une humeur de chien : il avait fait chaud sur la route, il y avait eu des embouteillages, et l’angoisse de chanter… Alors, je le sens comme une panthère, et pas à prendre avec des pincettes. Quand il était nerveux comme ça, il valait mieux se faire tout petit. Je le laisse tranquille. (…) .
Il se met alors à tout critiquer : il fait trop chaud, c’est du béton par terre et ça va résonner et puis, le micro (un micro qu’il avait exigé et qu’on avait fait venir d’Amérique) ne va pas du tout. (…) Il est métallique, la voix est mauvaise, il y a trop d’écho. Je ne chante pas ! .
Furieux, Charles pose le micro, s’en va et s’enferme dans sa loge. Brialy est pétrifié : la salle est archi-comble, impossible de rembourser… Il faut qu’il arrive à décider Charles.
« J’avais les larmes aux yeux, bouleversé. Je l’ai touché, parce que c’était vrai. Je faisais le comédien mais j’étais sincère. Il a accepté de réessayer avec un autre micro. Et là, j’ai eu une idée de génie. J’ai dit à M. Nicolas, le contrebassiste, qui était un ami, de se mettre dans la salle et de lui dire que c’est très bien. (…) Comme M. Nicolas était trempé dans le vin blanc et dans le pastis, il s’est installé dans la salle et, avant même que Charles ait commencé, il s’est exclamé que c’était parfait, très bon !
Charles a donc chanté. Nerveux, il est entré en scène comme un taureau (…) et a chanté trente chansons, sublimissimes, il était dans une forme incroyable. Les gens lui ont fait un triomphe, debout, pendant un quart d’heure. C’était vraiment un délire de bonheur. (…)
A la fin du spectacle, un dîner de cent cinquante personnes était organisé par Pierre Elsen, le président d’Air Inter, dans un des plus beaux hôtels de Ramatuelle, sous les pins, avec les personnalités parisiennes et régionales. (Note du webmaster : Je me souviens que Mme Simone Weill, alors ministre, était venue en hélicoptère).
Charles grogne :
- Je n’y vais pas.
- Ecoute, viens cinq minutes, mais tu ne peux pas refuser un dîner fait pour toi, pour te remercier.
Comme il était heureux du spectacle, il a accepté de venir. (…) J’arrive le premier dans cet endroit magique. (…) Mais je vois qu’ils avaient prévu la table de Charles Trenet en plein milieu. Je leur dis :
- Vous savez, il déteste tout cela, il ne faut pas le laisser là. Si vous permettez, je vais faire une table dans un coin, avec ses amis (…), et il ira faire un tour pour dire bonjour. Quand on a chanté trente chansons à soixante-quinze ans, on n’a pas envie de serrer des mains…
Ils acquièscent, donc j’installe une table sous une treille. Il arrive, je lui présente deux ou trois personnes pour ne pas le fatiguer, les autres l’applaudissent, et je l’entraîne vers sa table. Et au lieu de rester trois minutes, une fois assis, il a dîné, il était heureux. Il s’est mis à chanter des chansons à Jean-Pierre Aumont. Car Charles Trenet avait été accessoiriste dans un film où Jean-Pierre Aumont était jeune vedette. (…) C’était improvisé et délicieux, on avait droit à un numéro de deux vieux copains qui se retrouvaient avec plaisir.
Pierre Elsen (…) a attendu la fin du dîner pour venir saluer Charles. Je le lui présente, en précisant qu’il avait organisé le dîner et sponsorisé sa venue au festival. Charles se lève, lui dit bonjour sans ajouter merci, et après un temps lui lance :
- Vous êtes le président d’Air Inter ? (…) Je n’ai pas de carte Evasion…
J’étais ébahi ! Pierre Elsen, malgré son admiration pour Charles Trenet, était tout de même surpris, après avoir donné dix millions anciens pour le spectacle et organisé un dîner de cent cinquante couverts, de se voir réclamer la carte Evasion ! Mais, comme c’était un seigneur, il lui a annoncé qu’il la lui ferait parvenir dès le lendemain.
Pour Jean-Claude Brialy, le coup de Trafalgar de cette soirée mémorable arrivera au moment du départ.
Le patron du Byblos, que j’avais évidemment invité, vient se présenter à moi. Je me confonds en remerciements, on part dans un délire de « je suis confus », « non, c’est moi », etc. Puis, je me tourne vers Charles :
- Je te présente le patron du Byblos qui t’a très gentiment préparé une suite comme tu l’avais demandé.
- Non, répond-il tranquillement, finalement je rentre directement à Antibes.
Et il est parti ! Je me suis trouvé comme un imbécile avec un appartement offert par le patron. Heureusement, il a compris qu’il avait affaire au « fou chantant ».
Sources :
J’ai oublié de vous dire… - Jean-Claude Brialy – XO Editions, Paris 2004
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JEAN-CLAUDE BRIALY RACONTE... | Connexion/Créer un compte | 1 Commentaire |
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