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par Nicolas Paquin
Avec l'aimable collaboration de Pascal Bachand (extraits tirés de Chez Gérard, la petite scène des grandes vedettes, de Gérard Thibault et Chantal Hébert)
Gérard Thibault. Incontournable référence du développement de la chanson au Québec, et à Québec, vient de mourir. À 86 ans. En janvier 1949, il était propriétaire d'un resto face à la gare de Québec. De l'avis de tous, le passage de Charles Trenet à son établissement a fait de « Chez Gérard » un des cabarets les mieux cotés d'Amérique. C'est peu dire : en s'installant là, Trenet allait créer un mythe dans l'histoire de la chanson au Québec.
En 1949, Charles se pointe Chez Gérard pour y casser la croûte. Laissons monsieur Gérard raconter le coup de téléphone qui, le lendemain, concrétisera ce mythe ...
« Allô, Monsieur Gérard ?
- Oui.
- Charles Trenet à l'appareil. Je suis allé à votre restaurant hier et ça m'a plu. Je serais heureux de pouvoir y chanter si cela vous convient.
- Je n'ai jamais présenté de grands artistes Chez Gérard, et la capacité de mon restaurant ne me permettrait sûrement pas de vous payer un cachet convenable; de plus, je n'ai ni scène ni piano.
- Ne vous en faites pas, vous me donnerez ce que vous voudrez.
Je restai stupéfait. Puis, il enchaîna :
- Pour ce qui est de la scène, préparez-en une petite pour demain. Louez un piano et faites-le accorder. Si vous acceptez, nous serons là, mon accompagnateur et moi, demain mardi, dans l'après-midi. Nous ferons mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi.
C'est donc avec enthousiasme que je lui répondis : « D'accord, je vous attends! » et nous prîmes congé l'un de l'autre. Lorsque je sortis de la cabine téléphonique (qui nous servait également de téléphone d'affaires à ce moment-là), quelques-uns de mes frères présents me regardèrent et lurent dans mes yeux la grande fierté que je ressentais de présenter aux Québécois, Chez Gérard, la grande vedette internationale de la chanson française, Charles Trenet. »
Grâce à une publicité radio, et malgré les ragots de ceux qui croyaient à l'arnaque, ou au désistement du Fou chantant, Charles se présenta, accompagné de son pianiste Walter Eiger, pour y répéter.
Présenté devant un public incrédule comme « le poète international de la chanson française », Trenet enchaîna Fleur bleue, Pigeon vole, J'ai ta main, Le grand café... et bien d'autres.
Alors que la première représentation se terminait, sous le délire d'une foule sidérée par cette vedette en chair et en os qui chantait ce qu'on entendait depuis plus de 10 ans sur les tourne-disques, un problème logistique survint : le public refusait de sortir. On s'y entassa tant bien que mal et, apprenant que 60% des gens avaient assisté à la première représentation, Trenet dit : « Eh bien, ils ont aimé cela, tant mieux! Je vais leur présenter un tour de chant différent ».
Seul un contrat aux Etats-Unis interrompit le passage de Charles Chez Gérard. Il y revint souvent. Ceux qui connaissent Québec savent qu'à l'époque, la Basse-Ville était un quartier mal fréquenté, pauvre et évité. Devenant le passage forcé de tous les grands artistes francophones, Chez Gérard contribua à redonner du lustre à ce quartier qui, en toute modestie, est un des plus beaux d'Amérique. L'audace de Charles de s'y produire, plutôt que d'opter, comme toutes les vedettes, pour la plus grande scène et le moins de représentations, constitue un geste formidable.
En effet, à l'époque, seuls le vin et la bière pouvaient être servis dans les restos de la Basse-Ville. La venue de gens influents dans le coin poussa Antoine Rivard, ministre (que le premier ministre Duplessis surnommait Ti-toine, c'est tout dire !), à modifier la réglementation pour que d'autres alcools puissent y être servis. Il est fort à parier que de tels gestes, ainsi que le développement des établissements de spectacles n'auraient pas aussi vite aboutis sans cet audace de Charles Trenet.
Ce n'est pas la vedette, mais le poète Trenet qui choisit de s'installer Chez Gérard. Monsieur Gérard lui en fut toujours reconnaissant. Plus tard, il y accueillera Jacques Pills, et son pianiste Gilbert Bécaud, Roche et Aznavour, Duke Ellington, les Compagnons de la Chanson ou encore Jacques Normand. Il ouvrira même la porte (de sa maison et de son cabaret) à Édith Piaf, qui cuisinait avec son épouse !
Chez Gérard, qui accueillit Alfred Hitchcock parmi des illustres clients, fut détruit par un incendie en 1978. Toutefois, sa mémoire reste. Un fond d'archives Gérard Thibault a permis de constituer un disque d'enregistrements d'Édith Piaf. Cela est malheureusement inexistant dans le cas de Charles Trenet dont les spectacles n'ont pas été enregistrés. Parions que si le livre « Chez Gérard, la petite scène des grandes vedettes » est réédité, le passage de Charles restera bien vivant !
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1949 : CHARLES TRENET CHEZ GERARD | Connexion/Créer un compte | 1 Commentaire |
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