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par Peppino Capotondi
Journée chaude. D'autant plus que le studio dans lequel ils sont enfermés laisse les stores profuser à volonté la lumière tranchante du soleil. Qu'est-ce qu'ils bidouillent sur leur ordinateur, depuis maintenant plus de six heures affalés, sans la présence de l'habituelle chiropracte qui leur calme les os ?
Comparse numéro 1 : Peppino (de but en blanc) - Face A ou face B ?
Comparse numéro 2 : Xavier - Euh... ( Il prend une profonde inspiration, comme devant une question à caractère philosophique)... face B
Peppino : - Maintenant, un chiffre. Entre 1 et 24 !...
Xavier : (Il doit choisir) - 14...
Tout calcul fait, les deux chiffres qui commencent et terminent la proposition nous en disent long sur sa psychologie, visiblement.
Peppino : - La plage ou la montagne ?
Xavier : - La plage.
La plage ? Eh bien, pas de problème : je t'emmène à la plage. A la plage 14 de la face B d'un "Portrait de Charles Trenet" en compact disk : "Swing Troubadour"
"Tu viens chanter, malgré l'orage,
A ce balcon qui reste sourd
Mais ton amie est en voyage,
Pauvre swing Troubadour.
Elle est partie, chang'ment d'adresse
Et j'ai repris l'appartement
Et c'est à moi que tu t'adresses.
Tu n'as pas d'chance' vraiment..."
Quid ?
Je le dis tout de suite, je ne suis pas un Trenetologue. Et pourtant, ce personnage, ou plutôt ses chansons, m'ont toujours intriguées. Derrière l'apparente simplicité des paroles, se dessine, tout compte fait, une grande richesse de signification et, de même qu'un poème a besoin d'être lu et relu avec les oreilles, écouté et réécouté avec les yeux, digéré et su par la gorge et puis par le nez, afin d'en intercepter toutes les nuances et les effervescences ; de même une chanson de Trenet, devons-nous longtemps la laisser se bercer en nous, se colorer de nos humeurs, se baisicoter au-dessus de nos pores, aux environs de nos tripes, laisser nos poils tranquillement se hérisser : à chaque fois, un subtil mélange de notes cavalières et de mots tristes ou primesautiers. J'ai voulu ici donner la parole au hasard pour faire route vers l'oeuvre de Charles Trenet. D'où, entre deux ignares de la bonne chanson française, le dialogue profane qui ouvre ce papier.
La chanson qu'il m'échoit de vous décrire, il ne me souvient l'avoir déjà entendue, auparavant. Elle ne jouit pas de la notoriété de "la mer", "y a d'là joie", "boum !", "le soleil a rendez-vous avec la lune" ou "je chante". Cependant, pour celui qui est en tristesse amoureuse, elle est une excellente thérapie, à mesure qu'elle s'infiltre en vous, l'air de rien, et après les quelques premières écoutes, toujours superficielles...
"Ton destin, c'est de chanter le bonheur même si ton petit coeur est bien lourd"...
En effet, ce ne sont ni les déceptions ni les mépris qui doivent t'arrêter ; le bonheur se chante, se souffle, s'insuffle, se coquerique, se barytonne gratuitement, malgré les orages et les pleurs de la vie... Et c'est cela qui nous maintient heureux. Savoir notre ami Charles, nous l'ainsi dire et nous le pouvoir dire encore, l'espace de trois minutes, est d'un grand réconfort. Swing troubadour nous aide à ne trop pas s'en faire, survoler toutes nos misères, à répandre un désir salutaire d'action, malgré tout. Et faire frire la joie. Jusqu'au bout ! ...
Sur son ordi' Xavier tintinabulle de la tête et de droite et de gauche tout en lissant ses cheveux:
"A ce balcon qui reste sourd
Mais ton amie est en voyage
Pauvre swing Troubadour."
Le voilà friser des mains sur son front plein d'énergie ; les yeux, toujours, rivés sur l'écran :
"Et j'ai repris l'appartement
Et c'est à moi que tu t'adresses.
Tu n'as pas d'chance, vraiment."
Au coulis de la chanson qui va défilant sur les baffles du lecteur de l'ordi, on peut voir, rongés par la souris, ses ongles : il les transbahute d'un coin à l'autre du tapis:
"Elle est finie, ta sérénade :
Tu vas quitter l'faubourg"
"Chanter le bonheur", vite il écrit quelques mots sur son écran. Plein d'entrain, il se remet à swinguer. Sur son siège. Son siège swingue aussi :
"Moi, j'n'ai plus rien
Mais tant pis, chantons plein d'entrain
La plus belle des chansons d'amour,
Swing Troubadour."
La chanson est terminée, fini le swing Xavier, le revoilà plus concentré que jamais sur son écran :
"Pleur' pas mon vieux.
Tu vivras et ALORS tu verras mieux
Tous les p'tits coeurs
Qui se donnent sur la rout' du bonheur."
Je ris. Xavier, brusquement, sort de sa concentration et dit : swing troubadour, en fait, il nous swingue swingue de sa voix de troubadour :
"Troublablatroubadour.".... inconsciemment ; Te voilà pris dans le filet de Trenet.
Swing ! Troubadour
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