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par Dominic Daussaint
Charles, qui arborait toujours un teint fleuri, avait du coeur aux pommettes. Ses grosses joues roses contrastaient avec les billes de ses yeux couleur marine. «Quand je suis né, ma mère n'a, depuis, jamais cessé de me le répéter, j'avais déjà les cheveux jaunes et les joues rouges. En fait, j'ai toujours eu des couleurs!», racontait-il souvent.
Et coloré, il l'était aussi à table !
Les agapes de Charles sont restées célèbres... et ceux, dont je suis, qui en furent les "victimes" consentantes, en savent quelque chose ! En effet, lorsque certains soir, il avait décidé de "boire la nuit", le dîner pouvait s'achever à l'aube !
C'est à la "Brasserie Lipp" ou au "Fouquet's" que Charles avait pris ses habitudes dominicales, lorsqu'il séjournait à Nogent. Là, il trônait dans la salle centrale, fidèle à la même table, celle de son vieux camarade Marcel Pagnol à l'accent si coloré.
A 13 heures pile, accompagné de Georges, son fidèle chauffeur-secrétaire, Charles ouvrait la porte du restaurant. La mise élégante, le pas décidé, il entrait droit comme un "i", s'asseyait le dos au mur, ne quittant la table qu'au moment du dîner, après avoir fumé deux gros cigares.
Tranquillement, prenant tout son temps, l'artiste qui, dans d'autres restaurants, préférait souvent s'isoler à l'écart de la foule, déjeunait là au vu et au su du Tout-Paris. Et quelques touristes de passage pouvaient reconnaître, en ce convive joyeux et hilare, une figure lumineuse de la vie artistique de France... et d'ailleurs.
Spectacle réjouissant, en effet, que de voir ce pimpant octogénaire au solide coup de fourchette enfiler trois voire quatre plats consécutifs. Le bonhomme avait aussi une sérieuse descente et levait allègrement le coude pour déguster les nectars les plus capiteux, à lampées gourmandes. Gourmet, connaisseur et curieux, il goûtait à tout avec la même mine réjouie, évoquait les parfums, la robe, les arômes.
Tout à coup, souriant à la cantonade, l'oeil pétillant, il dessinait sur des feuilles volantes comme les anges de Cocteau. Pour la plus grande joie de ses convives, les mots drôles se succédaient. Calembours qui, aujourd'hui, font déjà partie de la légende. D'une vivacité d'esprit, d'une imagination toujours en éveil et d'une mémoire d'éléphant, Charles, toujours inventif, ne se répètait jamais.
Un réel plaisir aussi que de l'écouter lorsqu'évoquant les stars d'antan, il racontait des histoires d'un temps que les moins de vingt ans et même de cinquante ans n'ont pas dû connaître. Dans ses anecdotes, Cocteau, Prévert, Utrillo, Dali, Artaud, Chaplin ou de Gaulle cotoyait, avec la même tendresse, Dalida, Johnny Halliday, Marlène Dietrich ou Alain Delon. Car, en dépit des nombreux verres de Cointreau qui, invariablement clôturaient les agapes, le chanteur parlait d'or...
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