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TRENET & CABU, LA VIE QUI VA
le 21 Fév 2018 - 12:12
Charles et la littérature par Charles Trenet et Cabu
édition établie par Vincent Lisita, sous la direction de Jean-Paul Liégeois
Editions Robert Laffont


Charles Trenet semble en perpétuelle ébullition créatrice ; son inspiration désarmante, en ce qui concerne ses chansons, est désormais célèbre ! En revanche, on connaît moins les nombreux textes qu'il a confiés, tout au long de sa vie, à différents médias.

Les plus anciens datent de son adolescence.

À Perpignan, sous l'aile de son mentor Albert Bausil, Charles Trenet construit sa culture, aiguise sa capacité d'observation, nourrit déjà la nostalgie de son enfance narbonnaise et publie ses premiers textes dans le fameux hebdomadaire, Le Coq catalan. Il s'agit de reportages, de contes et de poèmes, corpus providentiel qui permet de découvrir la genèse de son style comme de sa mythologie.







Le 22 octobre 1927, Le Coq catalan publie son enquête sur la poésie et donne, en premier lieu, la réponse du « benjamin de nos collaborateurs car elle fait honneur à ses quatorze ans », un certain C.T. :

« 1) Pourquoi ne lit-on plus les vers ?
- On ne lit plus les vers parce qu’ils n’intéressent guère la société actuelle. Le vin et le commerce, d’après les gens d’ici, rapportent beaucoup plus que la lecture des phrases rimées.

2) Quelle est votre conception personnelle en matière « d’art poétique » ?
- Chacun possède en soi un petit art poétique. La poésie est un art. Tout homme qui n’aime pas la poésie est dénué de sentiments.

3) Que pensez-vous de l’état actuel de la poésie en France ?
- Boileau est mort, n’en parlons plus. Ne nous lamentons pas sur l’affranchissement des vers modernes. Chaque siècle a eu ses bons auteurs. Chaque auteur possède un caractère différent. La poésie actuelle ne ressemble évidemment pas à celle d’autrefois. À mon avis ce n’est pas un tort. »
(Le Coq catalan, 22 octobre 1927)




Dès son arrivée à Paris en octobre 1930, Charles Trenet devient le correspondant parisien du « Coq » et signe des chroniques cinématographiques, critiquant des films que les perpignanais ne découvriront que quelques semaines plus tard ; plusieurs textes trahissent sa vision désespérée de la capitale et peuvent surprendre, si on les compare à l’image policée et quelque peu ahurie du futur Fou chantant...

« Plus on avance dans ce bar d’aujourd’hui, plus on en découvre la platitude, la stérilité. Une bêtise érigée en principe tient lieu d’esprit. Le joli monde pourri de la littérature, du cinéma, de la peinture et autres bandes de pédérastes à la noix, y évolue, s’y adule ou s’y vilipende.

Chaque jour voit naître de nouveaux centres. On déblatère de définitives théories sur l’amour, le commerce et la danse. On esquive la difficulté de l’art par une affectation de personnalité incomprise.

Mais, hélas, tous ces génies se ressemblent comme des frères. Sous le poids des mêmes sens blasés, ils agissent péniblement. Leur rythme unique dont ils se leurrent les réunit sous la même égide. D’aucuns en tissent de petites gloires. Le drame dans lequel ils se meuvent les éblouit pour un temps. Leur erreur ne provient pas d’un manque de réflexion mais d’une absence totale de candeur qui les use, les décompose, les avilit. »
(Le Coq catalan, 20 février 1932)




Devenu vedette, Charles Trenet espace ses envois au Coq catalan et se consacre à la chanson.

Il reprend sa plume de « journaliste » durant la Drôle de Guerre et signe nombre d'articles sur « l'air du temps » dans plusieurs périodiques nationaux.

« Vous vous souvenez de cette petite lampe de chevet en porcelaine à fleurs et à filets dorés qui servait à la fois de veilleuse, de chauffe-tisane et de garde-malade, dans la chambre de province où vous avez eu la fièvre scarlatine quand vous étiez petit ?

Car je ne pense pas qu’on puisse avoir été petit sans avoir eu la scarlatine et sans l’avoir eue dans une ville de province, très vieille, très tranquille, très ensoleillée, dans une maison calme, pleine d’ombres, de rats, de souvenirs, de buffets cirés, d’armoires qui sentent le moisi, la pomme reinette et la confiture de coings, avec sa pendule qui ne marche pas, ses fenêtres qui ferment mal, son grenier interdit où le berceau cassé rêve à côté de la malle aux livres, devant le lit de paille où mûrissent les nèfles... »
(Ric et Rac, 3 janvier 1940)




Dès 1946, durant sa première tournée outre-Atlantique, il confie ses impressions d'Amérique à ses admirateurs du vieux continent :

« Une impression d’ensemble : c’est de voir combien, aux États-Unis comme au Canada, on aime tout ce qui est Français. On m’aime, moi, parce que je suis Français : quand on entre dans un magasin, dès que la vendeuse entend parler Français, elle sort les quelques mots qu’elle sait, elle fait tout pour plaire, parce que la France n’a pas seulement un prestige énorme, mais aussi parce qu’elle est aimée comme on ne l’a jamais assez dit...

Je n’ai pas à vous dire comme on est surmené ici : mais je prends avec plaisir le temps de dire bonjour à Paris, bonjour aux copains. Si on est bien à Hollywood, c’est justement par les côtés où ça rappelle la France, le climat qui me rappelle Narbonne, les plages qui me rappellent le Cap Ferret de mon enfance. »
(Joie, 24 octobre 1946)


Ses Souvenirs de Prison, rédigés au printemps 1948, constituent un document unique sur le quotidien des prisonniers retenus à Ellis-Island :

« Au fait, que lui reproche-t-on à cette prison ? La vue y est magnifique. On découvre la vallée de l’Hudson dans toute sa largeur, avec sur la droite la statue de la Liberté qui nous tourne le dos, pour bien montrer qu’elle ne s’intéresse pas du tout à nous.

Sur la gauche, la pointe de Manhattan, hérissée des gratte-ciel de Wall Street. Je m’imagine la vie intense des banques, des agents de change, des ordres de bourse hurlés par téléphone, des ascenseurs ivres de vitesse, et compare avec quiétude mon île artificielle, le palais du gouvernement, société des nations émigrées qui tournent en rond comme des poissons rouges dans un bassin. »
(Samedi-Soir, 19 juin 1948)




Après la guerre, Charles Trenet devient un « client » inespéré pour les émissions de radio et de télévision : il déclame ainsi, sur les ondes, des poèmes et des chansons parfois écrits le matin-même, et dont il ne reste aucune trace par ailleurs.

C'est le cas de Colin Maillard, Enfant ta tante t'attend, ou Bonsoir la nuit :

« Bonsoir aussi les petits riens
Qui se transforment au gré du rêve
En merveilles, hélas, qui s’achèvent
Quand le jour vient... »
(Bonjour... Bonsoir la nuit, 15 août 1981, réal. J. Ertaud)



Ainsi, les textes de ce recueil viennent compléter les intégrales des chansons de Charles Trenet, tant discographiques que textuelles ; il ne s'agit en aucun cas de « fonds de tiroirs », Charles Trenet ayant choisi de les rendre publics à un moment donné. On obtient ainsi une « œuvre parallèle », certes hétéroclite mais indispensable à la meilleure compréhension d’un artiste difficile à cerner dans toute sa complexité…

Le dialogue de ces textes avec les dessins de Cabu n'est pas un hasard. Toute sa vie, Cabu a applaudi et dessiné Charles Trenet. Fin connaisseur de son œuvre et de sa biographie, il assistait à tous ses concerts depuis les années 1950 et croquait, sur le vif, toutes ses mimiques.
Cabu avouait qu'il lui était plus difficile de faire des dessins « pour » que des dessins « contre ». On découvrira cependant avec quelle facilité il a fait des dessins « pour » son idole Charles Trenet !







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