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REVUE DE PRESSE mars-avril 1964
le 03 Avr 2015 - 12:04
Charles et la chanson Extrait de "Y A D'LA JOIE" n° 81
par Jean Séraphin

CHARLES TRENET À AIX-EN-PROVENCE les 21 et 22 février 1964
TRENET AU PUBLIC AIXOIS : « VOUS M’ENLEVEZ UN POIDS ! »
« Le Provençal Dimanche» du 23 février 1964 :
par Raymond GIMEL

« Fleur bleue », « Y a d’la joie », « La mer »…
Costume bleu marine très classique, œillet rouge fiché en boutonnière, cheveux d’or ondulant comme les blés, l’œil en bille d’agate et le sourire imitant celui de ses dessins : allant d’une oreille à l’autre, Charles Trenet, longuement, interminablement acclamé, rappelé, venait de reprendre, pour terminer son récital par un feu de joie, ses chansons de vingt ans, ses chansons de toujours.

Nous le retrouvions tel qu’ à nos seize ans. Seuls manquaient le petit chapeau gris, l’index dressé, et le roulis d’un pied sur l’autre…

Les magnétophones des radios périphériques faisaient vrombir leurs petits moteurs au promenoir. De leur foudre, les flashes des photographes transformaient en petit enfer, capitonné de rouge, la salle très gentiment bourgeoise du Théâtre d’Aix-en-Provence.




Les potineurs parisiens – ceux-là mêmes qui grossirent le scandale voici quelques mois – affûtaient leurs regards sur ces loges « très provinciales », préméditaient leurs « mots ».
« Gendarme, tu m’as sauvé de l’ennui, gendarme, je te remercie »… Pendant ce temps Trenet, en guise d’adieu, nous redonnait son seul message : « Je chante »…

Applaudissements, saluts… Rappels encore… Ban… Le rideau restait fermé… Trépignements… Il se rouvrit… Couché sur le dos, le « fou chantant », qui avait troqué sa veste contre un maillot bleu ciel de gymnaste, un haltère de 50 kilos à bout de bras, se livrait à quelques « développés ».
A 51 ans. Et après 31 chansons placées, comme lui, sous le signe d’une éternelle jeunesse.




« CETTE SOIRÉE SERA UN DÉPART »

Un instant, on avait cru que ce récital serait le dernier. Dès son entrée en scène, Trenet mit les choses au point :
« Je suis venu ce soir en ami. Vous avez toujours été gentils avec moi. Dernièrement, vous avez eu l’occasion de me confirmer cette gentillesse. Je vais m’efforcer de vous montrer ce que je suis encore capable de faire sur une scène, à mon âge. Cette soirée sera peut-être le départ d’une nouvelle carrière »…

Je ne crois pas, malgré tout, qu’il ait abordé cette soirée sans un trac particulier et fort compréhensible. N’y avait-il pas, au demeurant, quelque crânerie de sa part à donner ce récital à une centaine de mètres de la prison ?
Mais dès la fin du premier quart d’heure, l’enchantement joua. Comment en eût-il été autrement avec l’extraordinaire « matériel » dont il dispose : ces couplets qui surgirent en 1938 « au moment où la Chanson française se noyait dans ses propres larmes », et qui, bannissant résolument les amours malheureuses, les filles abandonnées, le cafard sous toutes ses formes, inventèrent l’apesanteur, créèrent un monde gentil où le bonheur est toujours à deux pas, où les fantômes sont de joyeux fantaisistes, où les diables dansent la java, un univers qu’on peut découvrir, la nuit, dans un jardin extraordinaire, ou qui peut contenir dans une noix…


Charles Trenet a donné une jeunesse au rossignol, à la pluie, au clair de lune, au vent, à la vague, qui n’étaient plus, jusqu’à lui, que les accessoires d’un romantisme affligeant. La chanson faisait grise mine : il lui a redonné une frimousse.

S’adressant une deuxième fois à la salle, l’auteur de « La mer » lui dit :
« Merci pour ce témoignage, ce témoignage de sympathie. Vive le gentil public aixois et vive la ville d’Aix que j’adore. »


FOULE POUR TRENET A AIX-EN-PROVENCE
titrait « France-Soir » du 23 février 1964

Pour la première fois depuis ses « ennuis » de l’été dernier, Charles Trenet chante à Aix-en-Provence : hier-soir au Théâtre Municipal archicomble, ce soir, nouvelle vague d’admirateurs fidèles qui ont déjà réservé les 800 places du théâtre.
Et Trenet continue à chanter. Ses prochaines étapes sont Nice, Lyon-Charbonnières, le Portugal, les Etats-Unis…


Et « L’Aurore » de la même date de jubiler :
NOMBREUX RAPPELS CETTE NUIT A AIX POUR LA RENTREE DE CHARLES TRENET

Charles Trenet a fait, cette nuit, à Aix-en-Provence, sa rentrée sur une scène. Dans la salle de l’Opéra municipal, 625 places sur 700 étaient occupées par un public de jeunes et de personnes d’âge moyen qui accueillit l’artiste dès son entrée par des applaudissements nourris. Entrecoupé de nombreux rappels, son récital le voyait enchaîner d’une chanson à l’autre, tenant la scène avec le brio qu’on lui connaît, devant une salle rapidement chauffée à blanc.



Paul Bonnecarrère dans « France-Dimanche » No. 914 :
CHARLES TRENET PARDONNÉ

« VOUS M’AVEZ RENDU LA JOIE DE VIVRE »

Charles Trenet croyait assister à son exécution, la semaine dernière. Il a vécu un triomphe. L’épreuve qu’il s’était imposée, pour savoir si son public l’aimait encore après sa condamnation pour détournements de mineurs, a effacé d’un coup toutes ses craintes.
Son gala à Aix-en-Provence, devant une salle archicomble, s’est terminé par dix rappels.

Charles Trenet marcha vers le théâtre ce soir-là, comme on va à l’échafaud. Un quart d’heure avant son entrée en scène, la salle était bondée et on refusait du monde à l’entrée.
Et les télégrammes d’encouragement affluaient. Ils étaient signés : Bécaud, Eddie Constantine, Aznavour, Sacha Distel, Dalida, Georges Brassens, Juliette Gréco…
Malgré toutes ces preuves d’amitié, Charles Trenet était quand même mort de trac en pénétrant sur scène. Pendant deux secondes, ce fut le silence. Puis quelques applaudissements fusèrent, bientôt suivis par un tonnerre de bravos.

Trois heures plus tard, étourdi par les bravos, les applaudissements, les cris d’enthousiasme, Trenet revenait sur scène, rappelé pour la dixième fois.
Ce fut du délire.
Quand le silence fut revenu, Trenet s’est approché du micro et il a dit, d’une voix brisée par l’émotion :
« Je vous remercie. En me prouvant que vous aimez toujours mes chansons, vous m’avez rendu la joie de vivre. Grâce à vous, je suis peut-être à l’aube d’une nouvelle carrière.»



Et dans « ICI PARIS » on lisait :
CHARLES TRENET REPREND COURAGE

Un journal écrivait il y a quinze jours : « Charles Trenet n’a pas gagné son pardon. » Eh bien ! le public lui-même s’est chargé de lui infliger un démenti.
Vendredi et samedi, Charles a remporté un triomphe à Aix-en-Provence où il a été jugé en janvier dernier.

Après chacun de ses deux récitals, le public se bousculait à la porte de sa loge remplie de fleurs et de télégrammes d’encouragement. Même ceux qui l’avaient accusé et ceux aussi qui l’avaient jugé, venaient le féliciter.



CHARLES TRENET À NICE le 13 mars 1964
AU NOUVEAU CASINO : RÉCITAL CHARLES TRENET
(A.L dans « Nice-Matin » du 15 mars 1964)

Charles Trenet, c’est l’enfant fou, l’enfant poète de la chanson française.
C’est aussi l’enfant chéri du public. On en a une nouvelle preuve (si besoin était) avec son récital triomphal, vendredi soir, au Nouveau Casino de Nice.
Miracle de l’éternelle jouvence du « fou chantant » : Trenet, présentant un tour de chant partiellement renouvelé, est apparu presque rajeuni. Cet homme est pour le moins étonnant. Tout en contrastes. Plus le temps passe et moins il a l’air de se prendre au sérieux : c’est fort sympathique.

Donc, hier soir, Trenet a émaillé son récital de trouvailles scéniques qui apportaient comme un sang nouveau à des succès fort anciens et à d’autres plus récents.
Ses chansons ont agi comme un souffle magique sur le public qui n’a pas hésité à lui faire une bonne demi-douzaine de rappels… La formidable vague d’acclamations saluant la fin du spectacle constitue ici un critère.
Elle venait couronner l’optimisme, la gentillesse, le merveilleux dynamisme, la poésie magistrale et l’humour exquis d’un Charles Trenet des grands jours.


CHARLES TRENET À LYON-CHARBONNIÈRES du 14 au 22 mars 1964
par Jean Séraphin
Extrait du Numéro 81 de « Y a d’la joie » le Journal des Amis de Charles Trenet, de mars/avril 1964.

« Charles Trenet triomphe pendant une heure vingt au casino de Charbonnières »
Ainsi titra la presse lyonnaise du 15 mars. Et si je dis que Charles Trenet est un artiste étonnant, j’emploie un terme que la réalité dépasse de beaucoup.

Voici ce qu’écrivit Christian Defaye :

Ses chansons n’ont pas d’âge – lui non plus – ses personnages n’ont pas de visage, ses paysages ont la couleur floue de l’évasion et les notes de sa musique sont autant de prétextes pour chanter Lison et l’ombre bleue des rues.

Chanter à propos de tout, chanter à propos de rien, faire alterner le clin d’œil et la pirouette, jongler avec des cœurs, des mots, flâner quelque part, n’importe où, humer l’odeur des feux de bois à travers les dernières fumées hivernales, dialoguer avec les petits oiseaux : voilà tout le talent de Charles Trenet et que le casino de Charbonnières accueille pour une semaine.

Vendredi soir, trois générations de spectateurs lui ont fait une ovation chaleureuse et cela ne surprendra pas si l’on sait que l’univers de « Monsieur Charles » est accessible aux enfants du charleston et aux fans du twist.
Là commence le sortilège.
Au début on l’écoute avec curiosité – en 1938 bon nombre ont dû avaler leur dentier – puis peu à peu le sourire naît sur vos lèvres et, à la sixième chanson, il vous a mis dans sa poche. Il est impossible de se défendre contre cette mer qui danse le long des golfes, il est impossible de ne pas se retourner quand « elle » passe sans le voir, il n’est pas possible non plus de ne pas rechercher dans l’ombre de la salle le temps perdu ou l’âme du poète.
Le sortilège le gagne lui aussi et l’apprenti sorcier est à son tour victime de sa science.

Alors le ton monte, l’accompagnateur s’accroche à son instrument et c’est Boum, Y a d’la joie, Je chante.
Quel merveilleux cocktail, une aile d’hirondelle, une mansarde couleur printemps, un bonheur qui fait crédit et une route enchantée où l’humour n’est jamais trop triste, parce que c’est celle d’un incomparable poète.

Il a chanté dix-huit chansons dont très peu sont nouvelles. Cela n’a pas d’importance, car Trenet est un agenda de rêve. Tous les ans on change les pages intérieures et l’on est à jour.

Depuis plus de vingt-cinq ans la couverture demeure. Elle est encore toute neuve.


« En toute fausse modestie »…

Une heure vingt, c’est aussi le temps qui sépare Lille de Lyon par Air-Inter. C’est curieux comme l’avion fausse les distances. Il me faudra plus de temps, dans quinze jours, pour aller à Boulogne-sur-Mer en voiture.

Je n’ai pourtant pas effectué ce voyage avec le sentiment d’être entièrement raisonnable. Mais il m’était par ailleurs nécessaire de l’entreprendre si je voulais être enfin complètement rassuré, tant sur l’état d’esprit de Charles Trenet après une telle épreuve que sur celui de son public.

Etant venu, j’ai vu et je puis vous dire avec joie que Charles est bien décidé à mener tambour-battant sa nouvelle carrière. Quant à son public, il ne demande que cela et il lui a conservé toute son amitié.

On parle beaucoup du lancement de « Charles Trenet junior », une boutade qui dit vrai. Toujours aussi jeune et sportif, notre Poète tient la grande forme.

Ce qui est arrivé pour la première de ce tour de chant à Lyon, je ne l’avais jamais vu. Je ne m’attendais pas non plus à une performance. La Foire de Lyon allait débuter le lendemain. La vaste salle du «Grand Cercle » était remplie, mais l’ambiance était mondaine et les spectateurs n’avaient manifestement pas le genre à crier d’enthousiasme et à faire bravo avec les pieds en même temps qu’avec les mains. Quant à Charles, il avait donné la veille son Récital à Nice et rejoint Lyon en voiture dans la journée, ce qui lui donnait le droit d’être fatigué.

Nous étions six amis à occuper une table, tout à côté de la scène. Charles paraît et tout se déclenche. Il est peut-être un peu contracté. Mais il chante, il chante. Je regrette de n’avoir pas, pour une fois, noté les titres au fur et à mesure. Après dix-huit ou vingt chansons, on pense que le tour de chant va se terminer ; Freddy Lienhart quitte la scène ; les applaudissements se prolongent et Charles rappelle son pianiste. Et, lorsqu’après la dernière chanson nous regardons l’heure, nous restons stupéfaits : il a chanté près d’une heure et demie ! Mais le temps n’a pas paru s’écouler.

Nous rejoignons notre héros dans les coulisses. Il est frais et dispos et content de nous voir. C’est lui qui nous annonce : vingt-six chansons. Et il a la gentillesse d’ajouter : « J’allais en chanter sept ou huit et partir, et puis je vous ai vus : c’est pour vous que j’ai chanté ».
Je rapporte ce propos en toute fausse modestie.

Le dimanche soir, Charles se sentait tout à fait chez lui au casino de Charbonnières. On avait prolongé la scène et il en avait pris possession, très décontracté et plein d’humour. Il m’avait promis de nous chanter « Une noix » et je lui avais demandé aussi « En ce temps-là », qu’il a reprise depuis peu et dont j’avais justement entendu le titre le matin. Quant au « Piano de la plage », il était inattendu, même de Freddy Lienhart et sa section rythmique.
Charles, imperturbable, après avoir annoncé le titre, se retourna vers Freddy qui compulsait ses partitions : « Numéro trente-cinq » lui annonça-t-il.

J’ai noté ce soir là une modification dans « Moi, j’aime le music-hall » : … et s’il y a toujours Maurice Chevalier, Tino Rossi et … les yéyé

En tout vingt-deux chansons. Un seul petit incident, celui du guitariste. Au moment où Charles annonce « L’âme des poètes », Freddy Lienhart lui fait un signe désespéré. Charles comprend tout de suite : « Nous devons d’abord attendre que le guitariste ait repris sa place ». Rentrée du guitariste. Et Charles se retourne vers la salle en confiant d’un air indulgent : « Il faut comprendre que tout le monde peut avoir besoin de faire pipi. »

Charles va chanter toute la semaine et le dimanche suivant encore à Lyon-Charbonnières.
L’ambiance est bonne, je puis rentrer tranquille. Et je ne resterai pas longtemps sans chansons.

CHARLES TRENET À BOULOGNE-SUR-MER, le 28 mars 1964

En cette veille de Pâques, le casino de Boulogne avait invité Charles Trenet à l’occasion de sa réouverture pour la saison.

C’est un casino tout neuf et qui a beaucoup d’allure. On n’y a lésiné que sur un point : le piano vient du marché aux puces. Si j’ajoute qu’il n’avait pas été accordé depuis l’année dernière et que, par ailleurs, aucun des cinq micros ne fonctionnait de façon satisfaisante, les musiciens de l’orchestre étant de leur côté un peu faibles, vous comprendrez que le public ne pouvait prétendre ce soir là à du grand art.

A nouveau la salle était remplie et l’assistance était composée en majorité de jeunes. L’enthousiasme a remplacé la technique. Freddy Lienhart a modifié son accompagnement pour utiliser les notes les moins fausses de son instrument.
Charles est allé d’un micro à l’autre : « Celui-là, laissons-le pour Sylvie Vartan… » ; il a interrompu « La mer » au milieu de la chanson pour la reprendre entièrement après un réglage des amplificateurs, « pour la chanter d’une façon qui soit plus digne de vous… et de moi ». Et ce fut le triomphe d’un tour de chant de vingt-deux chansons encore, parmi lesquelles j’ai noté : Les vacances de Poly, La polka du roi, Les bœufs, que je n’avais pas entendues à Lyon.

La nuit s’avance et il reste encore à rejoindre Lille. Monsieur Hebey m’a communiqué les prochains projets. Quand je les avais vus, avant la représentation, ils les fignolaient tous deux encore et ils dessinaient les futures affiches.

Les prochaines étapes seront réservées au Midi (Marseille, Perpignan, Béziers. Montpellier, Narbonne). Mais j’espère et je crois fort que Charles ne s’en tiendra pas là.






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