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L'ADIEU AU POETE
le 23 Fév 2015 - 12:15
Sur l'homme... PARIS HONORE LE DERNIER TROUBADOUR"

Par Elisabeth Duncker

Ce 19 février 2001 pour lui le rideau tombe définitivement, les feux de la rampe et les projecteurs s'éteignent à jamais, ses vagabondages sont finis. Il est parti rejoindre les étoiles.

Lui qui n'aimait pas les mondanités, pour son ultime voyage, eût-il, peut-être, préféré quitter la scène en catimini et se retirer "sans bruit" du côté de Narbonne, le pays de son enfance.

Pourtant, il a souhaité offrir à son public la possibilité de le faire entrer dignement dans le cercle des poètes disparus, par une cérémonie toute simple en l'église de la Madeleine.





Le matin du vendredi 23 février les organisateurs entreprennent de sonoriser la place de la Madeleine, où, au pied des colonnes, s'amassent les bouquets, témoignages d'anonymes ou de proches. C'est à 14h45 que commenceront les obsèques officielles et populaires, car le public sera admis à l'intérieur de l'église. Vers 13 heures, sous la grisaille et bravant le froid, la pluie et le vent, le peuple de la Douce France commence à se rassembler sur les marches de l'église, pour rendre un dernier hommage à l'auteur de L'âme des poètes. Les fidèles sont arrivés les premiers, exemple Yvette 70 ans, elle ne cache pas son émotion.

"C'était un grand, grand chanteur et un grand poète et puis c'est ma génération qui s'en va les uns après les autres - et il n'y a rien après - il n'y a plus qu'Aznavour. Et je sais que par la suite il n'y aura plus jamais des chanteurs qui chantent vraiment de la poésie. Plus jamais !"

"On vient saluer un ami," dit Grégoire, venu de sa lointaine banlieue tout exprès.

"Je le suis depuis 1937," avoue Annette, une Parisienne émue, " il a accompagné toute ma vie, les événements heureux comme les malheureux."

Paul : "Charles Trenet, je l'ai toujours aimé, je l'ai toujours écouté. Il m'a donné de la joie au coeur. Il savait communiquer une joie extrème aux gens et je retiens cette image que j'ai de lui."

Jacques : "J'ai 74 ans et pendant la guerre Charles Trenet m'a apporté une aide qu'aucune personne d'autre n'avait pu m'apporter. J'avais 14 ans dans les années quarante, c'est vous dire que dans ces quatre années-là avec un père prisonnier et six enfants à la maison, c'était pas le bonheur tous les jours. Par conséquent, avec tout ce que Charles Trenet m'a apporté, je lui dois énormément".

A 13h30 la place de la Madeleine est bouclée à la circulation, un cordon de policiers permettent d'accueillir les personnalités attendues, les ministres, le père Bernard Mollat du Jourdain, le curé de la Madeleine, Bertrand Landrieu, représentant le président de la République.

Jacques Chirac a fait envoyer une magnifique gerbe de fleurs aux couleurs du drapeau tricolore. Mais ce sont des mimosas et des oeillets rouges, les fleurs préférées de Charles, qui ornent le cercueil de chêne clair.





A l'intérieur de l'église, au premier rang, à gauche, les intimes, les membres de la famille, Lucienne Trenet, la demi-soeur de Charles, seule survivante d'une fratrie de 4 ; à droite les officiels, des personnalités de la politique : Lionel Jospin, Catherine Tasca, Jack Lang, Bertrand Delanoë, Jean Tibéri, le maire de Paris, venus lui rendre un dernier adieu. Et puis il y a la pléiade d'artistes-confrères : Charles Aznavour, visiblement très éprouvé, Hugues Auffray, Georges Moustaki, Chantal Goya, Guy Béart, Eddie Barclay, Fred Mella, le ténor-soliste des Compagnons de la Chanson ; les figures connues du théâtre, de la télévision, du cinéma, de la littérature: Guy Lux, Claude Piéplu , Patrick Préjean, Pascal Brunner, Francis Huster , Yves Simon, Jean-Claude Brialy, Jean-Michel Boris, directeur de l'Olympia.



Les grandes orgues annoncent l'arrivée imminente du cercueil. Les Petits Chanteurs à la Croix de Bois sont en place, ainsi que le groupe vocal de Philippe Mazet qui chantera tout au long de la messe concélébrée par le père Letron , aumônier des artistes, le Requiem de Gabriel Fauré.

Mille personnes ont réussi à entrer ; dehors, plusieurs milliers d'anonymes, d'admirateurs de la première heure ou de simples curieux, qui derrière les barrières suivent avec ferveur la messe d'une heure et demie, grâce aux haut-parleurs installés à l'extérieur de l'église.

Derrière les barrières, l'un d'eux a écrit un poème :

Charles Trenet nous a quittés,
La Douce France est endeuillée
Mais ses poèmes vont nous rester
Charles Trenet nous a enchantés
de joie et d'amitié
Charles Trenet, il va nous manquer.



"Au revoir, à bientôt, mes amis"

Dans son homélie, Mgr Di Falco, évêque auxiliaire de Paris, rappelle tout d'abord:

"Nous ne sommes pas ici réunis pour un dernier spectacle de Charles Trenet, mais pour une prière. Il va de soi que tout le monde a éteint son portable," avant de poursuivre : "La mort d'un homme est toujours un événement, qu'il soit célèbre ou inconnu, l'Eglise le confie à la miséricorde de Dieu, car chacun se présente devant lui avec ce qui fut beau et grand dans sa vie, mais aussi ce qu'il y eut de pauvre et de misérable. L'annonce de la mort de Charles Trenet a déclenché un déferlement d'éloges. Unanimement on a reconnu le talent exceptionnel de l'artiste qu'il a été et qu'il restera. Il a su toucher les coeurs en répandant l'optimisme, la joie de vivre et en redonnant l'espoir.
Chacun a besoin que ses frères qui sont encore sur la terre s'écrient dans la ferveur de leur espérance : "Seigneur, prends pitié !"
Cet appel est le nôtre aujourd'hui. Ceux qui ne partagent pas notre foi se recueillent. C'est l'amitié pour Charles qui nous rassemble en une seule famille.
Dans la nuit de dimanche à lundi il s'est placé sous le regard de Dieu dans la vérité de ce qu'il a été. Sans masque !
Ces masques dont nous savons habilement nous parer pour donner l'apparence de la joie là où se trouve la détresse, le doute, l'angoisse et le désarroi.
N'est-ce pas ainsi dans chacune de nos vies, pétries dans les larmes de la douleur et dans celle de nos éclats de rire.
Dieu se réjouit lorsque nous mettons à la disposition des autres les dons que nous avons reçus.
Charles Trenet l'a fait largement. Notre assemblée et la foule rassemblée à l'extérieur en témoignent.
En revanche, la notoriété, les décorations et les titres ne pèsent pas lourd dans la balance divine. Pour Dieu, il n'y a pas d'espace VIP où seuls quelques privilégiés auraient le droit de pénétrer. Si cet espace VIP existe, tout le monde y a sa place, car aux yeux de Dieu tout être humain a le même poids : le poids de l'amour. Ne nous trompons pas, il ne s'agit pas de n'importe quel amour. Le Christ le décrit ainsi : "Il n'y a pas de plus grandes preuves d'amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime."

Charles Trenet, comme tout être humain, a rêvé d'aimer et d'être aimé. Sa passion pour la vie s'exprimait comme une soif d'infini, un désir absolu.
Ne pourrait-on y voir un avant-goût de la vie en Dieu ? Dieu seul peut donner cette plénitude pour apaiser nos passions, non en les niant, mais en leur donnant tout leur éclat, tout leur sens. Seule la vie en Dieu, que la mort inaugure, abolit les limites de la sensibilité, du temps et de l'espace.
Pas plus que chacun d'entre nous Charles Trenet n'a été un saint. Une célébration religieuse n'est pas une canonisation, une récompense pour Chrétiens exemplaires. On pourrait débattre s'il avait une foi pleine d'assurance, mais nous ne sommes pas ici pour justifier un homme. C'est pourquoi j'affirme au nom de l'église : "Charles, Dieu vous aime !"
N'oublions pas cette phrase de la Bible : "Si ton coeur te condamne, Dieu est plus grand que ton coeur".
Au revoir, mes amis, ces lignes que Charles Trenet écrivait en 1952, il nous les adresse aujourd'hui :


"Au revoir mes amis,
Au revoir, à bientôt, j'espère !
Au revoir, bonne nuit,
Que vos rêves soient choses légères."




On peut regretter qu'il n'y ait pas eu d'hommage rendu par l'un ou l'autre de la grande famille des artistes pourtant présents, et que la cérémonie ait laissé peu de place à la vie et la carrière du poète, tout comme on peut se demander où est passée la gaieté du fou-chantant au regard de sa personnalité.

Georges Moustaki : "C'était une cérémonie un peu formelle pour un homme qui était plein de fantaisie, mais c'était beau, l'émotion était réelle, les Petits Chanteurs ont très bien chanté, vraiment, c'était un bonheur."

Quant à Guy Lux, il n'est pas venu les mains vides, pour l'ancien animateur télé Charles Trenet incarne ses jeunes années :
"J'étais venu avec un chapeau, vous voyez, un coup de chapeau que je donne à Charles. Il a tout chanté, alors qu'est-ce qu'on chanterait derrière lui. Cela va nous donner à réfléchir sur les chansons actuelles et en priant le bon Dieu qu'il y ait des successeurs à Charles Trenet."

C'est en entonnant Mes jeunes années que les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, réunis dans le choeur, à la fin de la cérémonie saluent une dernière fois le poète tandis qu'à la sortie de l'église, le public - son public - applaudit longuement au passage du cercueil, sur lequel on a déposé un coussin avec ses décorations. Quelques roses rouges lancées au vent en tout dernier hommage lorsque sur une version de La Mer par l'organiste de La Madeleine, le convoi funéraire prend la direction du cimetière du Père-Lachaise, où sa dépouille sera incinérée dans la plus stricte intimité.
Ses cendres seront ensuite transportées à Narbonne, où une autre cérémonie religieuse aura lieu lundi.

"Il était encore plein de projets"
Gilbert Rozon, son manager depuis vingt ans.

(Alain Morel dans "Aujourd'hui en France")

- Etiez-vous préparé à la mort de votre ami Charles Trenet ?

- Il y a presque un an, quand il a été hospitalisé, nous avions eu très peur. Mais après chaque alerte, il retrouvait bonne mine et comme il n'a jamais perdu une once de son esprit, nous reprenions confiance. Pendant les deux semaines des vacances de Noël, nous n'avons pas cessé de rire. Il était encore plein de projets.

- On dit pourtant qu'il évoquait sa mort de plus en plus souvent ?
- Il l'évoquait, mais avec un étrange mélange d'humour et de philosophie. La dernière fois, il m'a fait plusieurs dessins sur des morceaux de carton et, à la place de la date, au-dessous de sa signature, il a juste écrit : "Charles Trenet, le 000000". C'était une façon pudique de nous dire au revoir.

- Quel souvenir gardez-vous de vos vingt ans de complicité ?
- D'abord, sa fabuleuse intelligence - il avait plus de 200 de quotient intellectuel -, ensuite son ahurissante érudition.

- On le disait dur en affaires, près de ses sous, capricieux et volontiers méchant.
- En fait, il y avait deux Charles. Celui du travail, qui ne se pardonnait aucune erreur. Avant un spectacle de trente-deux chansons qu'il connaissait par coeur, il s'imposait encore cinq jours de répétition et de vocalises. Il appliquait à sa vie une discipline quasi militaire, à commencer par sept ou huit kilomètres de marche quotidiens. Et puis il y avait l'homme privé, qui était adorable.

- On dit qu'un album de chansons inédites pourrait très vite voir le jour...
- C'est vrai, mais cela n'est nullement lié à son décès. Quand nous avons signé avec sa dernière maison de disques, nous l'avons fait pour quatre albums. Trois sont déjà sortis. Charles devait annoncer en avril la venue du quatrième. Certaines chansons prennent aujourd'hui un relief tout particulier. Dans Le manège du temps et surtout Soleil d'octobre, il parle de la vieillesse. Il y écrit notamment : Quand on croit voir l'aurore et que le jour s'en va, on peut sourire encore.

Ce CD "posthume" ne verrait le jour qu'en ... 2006, avec onze titres, dont Le visage de l'amour et une version parlée de Fais ta vie. (Pour plus de détails consulter SA DISCOGRAPHIE).


Narbonne mon amie

Si tu n'aimes plus Narbonne
Comprends que je m'abandonne
Parfois
A son charme millénaire,
A son sourire débonnaire
Et je crois
Que mon voeu sera sans doute
Quand j'aurai fini ma route
Celui
De dormir au cimetière
Près de toi, petite mère,
Sans bruit

(Que veux-tu que je te dise, maman)



A Narbonne, sa ville natale, dans la cour de sa maison 13, avenue Charles Trenet, près de la statue du jeune artiste narbonnais Olivier Delobel, les habitants de la ville, des amis, des admirateurs, se sont donné rendez-vous pour prendre ensuite la direction du cimetière de l'Ouest, dernière étape d'un parcours funéraire qui a commencé à Paris vendredi dernier.

Une urne sphérique verte représentant une mappemonde, contient les cendres, avec ces mots gravés dessus :

Charles Trenet
1913-2001



Au cimetière, qui ce lundi 26 février a été sonorisé pour l'occasion avec des chansons du poète, c'est dans la brièveté et la sobriété que se déroulera la cérémonie à laquelle assistent un millier de personnes. Beaucoup de cheveux blancs, avec des oeillets rouges et des mimosas jaunes, et des mamans avec leurs enfants.

Il y a des chansons, un beau soleil froid, du vent marin dans les cyprès dans ce jardin extraordinaire où Trenet était le roi, et les mots de l'abbé Delpech, chanoine de Saint-Just, en déposant les cendres dans la caveau familial où reposent sa mère, son frère Antoine et la tante Emilie, et puis un "à bientôt" plutôt qu'un "au revoir".

La tombe est garnie de magnifiques gerbes : du président Chirac et de l'Olympia, et cet épitaphe avec ces mots tout simples : Charles Trenet - poète.

Jean-Jacques Debout, que Charles considérait un peu comme son fils spirituel, a préféré se rendre à Narbonne plutôt qu'à la Madeleine : "Il n'est pas mort, il s'est simplement endormi auprès de sa maman dans ce cimetière "où dort tante Emilie", mais je sais que nous réécouterons encore longtemps, longtemps ses chansons... Charles, on t'embrasse du fond du coeur et on t'aime pour longtemps, longtemps..."


POSTFACE

Lundi 19 février 2001, il est à peu près 8 heures et demie lorsque les rédactions de France apprennent le décès de Charles Trenet. La plupart des radios et télévisions bouleversent alors leurs programmes.
France Inter dédie une journée entière au fou chantant tout comme France Info, France Bleu, Radio Nostalgie ou RTL ; de La Mer à L'âme des poètes, en passant par Y a d'la joie, ce jour-là, près de 136 chansons seront diffusées sur les ondes, ce qui représente selon les sondages 83 millions d'écoutes.

Le soir, c'est la télévision qui prend le relais, d'abord dans les journaux de 20h plus longs que d'habitude, France 2 a aussi programmé une émission spéciale de 2 heures autour de Charles Trenet, un hommage qui a fait un score d'audience honorable, environ 3 millions et demi de téléspectateurs.

Ensuite, c'est l'industrie du disque qui embraye : EMI met sur le marché 14 références, essentiellement des compilations, en attendant chez Warner un album posthume avec 12 inédits.






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Re: L'ADIEU AU POETE
par Perpignan (Envoyez un message) le 10 Mar 2015 - 12:29
Merci Elisabeth Duncker pour cet article.

Nous attendons toujours, et avec impatience, la sortie de la chanson "Le manège du temps"...

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