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PASCAL SEVRAN et "LA CHANCE AUX CHANSONS"
le 28 Mai 2014 - 09:40
Charles et la chanson par Elisabeth Duncker

Le 9 mai 2008 nous quittait Pascal Sevran, l'ardent défenseur de la chanson française et présentateur de notamment "La Chance aux chansons".  Il a animé aussi Laissez passer la chanson (1983), Sevran en chantant (1996), Surprise Party (1997-1999), Chanter la vie (2001-2007) et Entrée d'artistes (2004-2007).

Né le 16 octobre 1945 à Paris dans le quartier de la Bastille, il s'appelait Jouhaud et il venait d'avoir 18 ans (comme dans la chanson qu'il a écrite pour Dalida) quand il a décidé de changer de nom. Il a choisi ce nom de ville en feuilletant un annuaire. Pascal Sevran, il est resté quand, après quelques 45 tours oubliés, il est devenu auteur de chansons, journaliste et écrivain. Lui qui a appris à aimer la chanson en écoutant sa mère fredonner et en écoutant Radio Luxembourg entre 9 et 13 ans, a conquis aussi le marché du disque : deux albums, et des galas en France et en Belgique.



LA CHANCE AUX CHANSONS

Cette émission est née en mars 1984 à TF1, alors chaîne du service public, puis se poursuivit à A2 et France 2 pour durer jusqu'à décembre 2000.

"Il faut défendre la chanson française".

Pascal Sevran se confie à Carole Sandrel (Télé 7 Jours No. 1253 du 2 juin 1984)

Jusqu'à sa retraite l'an dernier, mon père était chauffeur de taxi à Paris. Ma mère avait été petite-main chez Schiaparelli, avant de se consacrer à l'éducation de mes deux sœurs, Christiane et Jacqueline. Je suis allé à l'école communale du XIe arrondissement. A 14 ans, ma mère m'a conseillé de devenir coiffeur parce qu'elle pensait que ça me servirait dans l'armée. Au régiment, on a eu effectivement besoin de moi pour que je ne coupe pas les cheveux trop courts. C'était le temps du yé-yé et j'ai enregistré un disque de rock en 1964, puis un autre avec des chansons d'amour en 1968.

J'allais sans cesse écouter Mireille et son Petit Conservatoire de la Chanson. Mireille m'a invité à aller ramasser des pommes chez elle, à Cauvilly en Seine-et-Marne. J'ai rencontré son mari, Emmanuel Berl qui est devenu un ami. Je me suis mis ensuite à écrire des chansons. Georgette Lemaire en a chanté vingt-cinq, dont
Vous étiez belle, madame, puis Mireille Mathieu et Dalida ont interprété mes textes. Je me suis aussi passionné pour la politique à travers François Mitterrand. J'aimais son ironie, ses traits de plumes et ses combats solitaires. Je l'ai rencontré après mai 1981, à la suite d'un dîner avec Roger Hanin et Mme Danielle Mitterrand. Jack Lang, le ministre de la Culture, m'a demandé un rapport sur la chanson qui a amené le 13 décembre 1984 la création de la première école de formation pour les jeunes chanteurs : le studio des Variétés.

"La chanson française c'est ma passion. "

La chanson française, la vraie, c'est ma passion et je voudrais produire d'autres émissions. Ma philosophie : pas de hit-parade, pas de tremplin pour un nouveau disque, pas de racisme à l'égard de l'âge.

Les gens aiment encore énormément Marie-José, Maria Candido, Patachou, Jacqueline François, Rosalie Dubois et on me les réclame de semaine en semaine.

J'ai écrit une Anthologie du Music-Hall français mais surtout des romans.
Vichy Dancing est devenu un téléfilm avec Colette Renard. Je prépare un autre roman et même si je trouve encore le temps d'écrire dans les journaux, je pousserai toujours mon cri de guerre : "Vive la chanson française".


"TF1 , C'EST DALLAS !"
Myriam de Faveaux dans Télé 7 Jours du 11 septembre 1991

"La Chance aux chansons"  revient sur A2

En vacances dans sa maison, entre Bellac et Limoges, "Monsieur chanson française" ne ménage pas la Une et défend, avec une grande fougue, son émission.

Bureau ultramoderne, murs blancs, mobilier noir. Stores baissés pour se préserver de la chaleur de l'été. Le téléphone ne cesse de sonner. Pascal Sevran est aussi un homme pressé quand il est en vacances dans sa maison, à Morterolles. Il prépare son arrivée sur A2, avec "La Chance aux chansons", après huit mois de privations.

"C'est moi qui ai quitté TF1. J'en avais assez d'être ballotté d'horaire en horaire. La dernière trouvaille, après la suppression de "La Chance aux chansons", en janvier dernier, a été de me reléguer au samedi après minuit, pour un bavardage intimiste et charmant. Vu les audiences que j'ai réalisées, je n'ai pas de raison de vivre en exil. Les amoureux de la chanson française me retrouvent sur A2, les lundi, mardi, jeudi et vendredi, à 15h30. "

Pascal n'a aucune rancœur envers la chaîne qui l'a hébergé sept ans. "Je les laisse à leur conscience. Ils savent qu'ils ne se sont pas bien conduits avec moi. Il a dû y avoir des raisons occultes à l'éviction de "La Chance aux chansons". Prétexte officiel :  cette émission ne correspond pas aux critères de la C.S.A. (le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) sur les œuvres de création française. Ridicule, quand on sait que mes programmes sont composés à 90% de créations faisant partie de notre patrimoine."

Explication de Sevran : "Je ne vais pas à Roland-Garros, je déteste la Formule 1, je ne déjeune pas en ville, j'aime l'accordéon et les chanteuses qui chantent pour de vrai. Ça fait beaucoup de vulgarité pour un seul homme. Et pour couronner le tout, j'escalade la Roche de Solutré avec le président de la République. Alors avec mes 40% de parts de marché, je faisais mauvais genre sur TF1. Vous savez, TF1, c'est Dallas ! On y manque un peu de cœur dans les couloirs. Ce qui m'a aidé, c'est le soutien du public. "

Pour la première fois dans l'histoire de la télévision, son émission sera la seule à ne pas changer de nom en changeant de chaîne.
"La Chance aux chansons" c'est un titre qui m'appartient. C'est un succès de Charles Trenet qui me l'a offert par amitié."

Pascal entame sa rentrée en fanfare. Il part en guerre contre le snobisme de ceux qui le traitent de ringard.
"Il est de bon ton de revoir les films des années cinquante. Aznavour, Bécaud, Brel, Brassens, Piaf, Montand ne valent-ils pas Signoret ou Gabin ?  A la télé, le rire et la nostalgie atteignent des audiences record. Les programmateurs le savent. Avec des émissions sur Coluche ou Le Luron, ils font coup double. Et on ose dire que je suis rétro !"

Encouragé par son succès au Casino de Paris, Pascal compte donner de nombreux spectacles en France. Rien d'étonnant à ce que le président Mitterrand lui remette l'Ordre national du mérite pour "services rendus à la culture et à la chanson française".



LES INÉDITS DE FRANKLIN DIDI
Télé 7 Jours No. 1626 du 27 juillet 1991.

Pourquoi avez-vous décidé de quitter TF1 ?
Je ne m'accommodais pas de mon exil nocturne. Mon émission est passée de l'après-midi au matin, puis du matin à la nuit. TF1 a joué avec mes nerfs. Dix ans sur cette chaîne, ça suffit. Je me console en pensant à tous ceux qui m'ont précédé dans le charter de l'émigration : Christine Ockrent, Yves Mourousi, Bruno Masure, Antoine de Caunes, Frédéric Mitterrand…

Vous étiez si malheureux que ça ?
J'ai été heureux neuf ans et malheureux huit mois. Par pudeur, j'ai caché mes blessures.

De quoi avez-vous le plus souffert ?
D'un sentiment d'injustice. Mon émission marchait bien. Elle avait de l'audience. J'étais devenu un personnage populaire. La preuve : les imitateurs m'imitent !

L'histoire de votre passage sur A2 ?
Hervé Bourges qui avait créé "La Chance aux chansons" du temps où il dirigeait TF1, avait deviné mon désir de changer d'air. Grâce à lui, je vais continuer à défendre la chanson française.

Votre ami Jack Lang n'est pour rien dans ce transfert ?
Hervé Bourges n'est pas homme à recevoir des ordres.

Vous comptez reprendre, sur A2, le titre "La Chance aux chansons". Et si TF1 s'y oppose ?
Ce titre n'appartient pas à TF1 mais à Charles Trenet. Lui seul peut en interdire l'utilisation. Il ne le fera pas.



Télé 7 Jours No. 1653 du 1er février 1992.

Pourquoi dites-vous que "La Chance aux chansons"  est devenue la plus importante émission de variétés ?
Je parle là en termes quantitatifs – qui d'autre, chaque semaine, consacre quatre heures à la chanson, française de surcroît ? J'ai doublé mon audimat en quatre mois. Je vais promener mon émission en province. Pour commencer, Blois, puis le Limousin, le Nord, l'étranger aussi, la Belgique, Tunisie…

Première étape à Blois parce que son maire est de vos grands amis ?
Que Jack Lang occupe ce poste n'a pas compliqué les choses, c'est sûr.

Ferez-vous chanter Jack Lang ?
Non, mais danser peut-être. La valse.

Vous pensez donner des regrets à TF1 de vous avoir laissé partir ?
Ces gens-là sont au-dessus des regrets. Ou, s'ils en ont, ile ne le diront pas.



SA PASSION DE LA CHANSON
(Geneviève Coste dans Télé 7 Jours No. 1677 du 20 juin 1992)

A deux pas du Bateau Lavoir, Pascal Sevran habite l'immeuble où Picasso a installé en 1900 son premier atelier parisien. Le salon-bar, au premier étage, donne sur la place Jean-Baptiste-Clément, l'auteur du "Temps des cerises". C'est aussi sa discothèque.

Combien de disques dans cet appartement ?
Au moins quinze mille. Tous les genres de la chanson française depuis les années trente. Les 30 cm et les disques compacts sont dans ma maison de Morterolles, dans la Creuse. Je garde ici tous les 45 tours dont j'ai besoin dans mes émissions. Tous ceux qu'on ne trouve plus.

Quel a été votre premier disque ?
J'en ai eu quatre : trois 45 tours, de Louis Armstrong, de Gloria Lasso, de Marcel Amont et un album des Platters que m'a offert, à 12 ans, ma grand-mère paternelle.

Quelles chansons emporteriez-vous avec vous sur une île déserte ?
Quelques-unes de Renaud, Francis Lemarque, Lucienne Delyle. Beaucoup de Trenet et d'accordéon pour me mettre un peu de gaieté au cœur. Et puis Aznavour, Patachou, Nat King Cole que j'aime passionnément.

Comment est née votre passion de la chanson ?
En entendant ma mère chanter "Revoir Paris"  de Trenet.

Votre premier rêve ?
Je voulais être Gilbert Bécaud.

Qu'est-ce que c'est pour vous, une bonne chanson ?
Une chanson qu'on fredonne encore dans la rue, trente ans après.

Vous n'êtes pas tendre avec ceux que vous n'aimez pas… Invitez-vous des chanteurs que vous n'appréciez pas ?
Jamais. Et eux-mêmes n'auront pas envie de venir. Mon plaisir est d'entendre les interprètes que j'aime.

Combien de jeunes talents avez-vous découvert en 1300 émissions ?
Découvert, c'est un peu prétentieux. Mais j'ai reçu le premier, sur mon plateau, Jean-Luc Lahaye, Rose Laurens, Patricia Kaas et, cette saison Dany Brillant, Renaud, Liane Foly et Bruel qui étaient connus mais pas très célèbres.

Vous avez toujours des projets ?
Chanter en Belgique et à Bercy.





 LA CHANCE AUX CHANSONS – LES DIX ANS.
(Télé 7 Jours No. 1769 du 23 avril 1994)

Pascal Sevran : "Mon éternel parrain Charles Trenet".

Il pourrait chanter, comme Souchon, "J'ai dix ans"  pour l'anniversaire de son émission, la seule "variétés" quotidienne existant en Europe.
Il est devenu, avec "La Chance aux Chansons", la figure de proue du combat pour la défense de la chanson française.
"Je suis le premier étonné que cela dure depuis dix ans, mais aussi le premier ravi. Au début, je n'imaginais pas que défendre la chanson française puisse être un combat. Cela me paraissait tellement naturel."

Comme lui paraît naturel que le ministre de la Culture se batte pour notre langue.

Dix années de "La Chance aux Chansons", traduites en chiffres, signifient plus de six mille artistes invités et plus de vingt mille chansons interprétées. Dix années sous le parrainage de Charles Trenet. "Le plus grand, cela va de soi. Le proclamer n'est pas très original. Chaque jour, sa voix annonce mon arrivée sur le plateau.
Comme le dit souvent en boutade Charles Trenet lui-même : "Comment voulez-vous que je n'aime pas Sevran. Avec le générique de son émission, je touche des droits d'auteur deux fois par jour !"
Pour l'enregistrement de cette émission anniversaire, en cadeau pour Pascal, il a même chanté, pour la première fois, La Chance aux chansons devant les caméras.

Ce qui impressionne le plus Sevran chez le créateur de "La Mer", c'est l'humour :
"Ça fuse sans cesse et ça cache beaucoup de secrets, de pudeur. Dès qu'on l'interroge, il s'en sort avec cet humour, sa poésie, son génie des mots."

 "On me disait gentiment rétro, je vais être d'avant-garde. Rock et musette réconciliés. Chaque jour, je m'insurge du racisme envers l'âge. La démagogie à propos de la jeunesse m'écœure."

Si d'un cri du cœur, ses détracteurs sourient souvent, Pascal n'hésite pas à avouer :  "J'ai besoin qu'on m'aime", ajoutant aussitôt :  "Je suis bien décidé à ne pas plaire à tout le monde."  Comme aux maisons de disques par exemple :  "Quand les marchands veulent imposer leur choix, ils sont dans leur rôle mais moi je suis dans le mien en n'en faisant qu'à ma tête. Mes rapports avec eux sont strictement diplomatiques par collaborateurs interposés. "

Les artistes ne semblent pas s'en plaindre, les plus grands les premiers. Aznavour a ainsi réservé à Pascal une surprise pour cette émission exceptionnelle : la venue de Liza Minnelli.

Aznavour : "Tu es le défenseur de la chanson".

"Pascal, tu es le défenseur de la chanson, pas forcément française. Celle qui a encore un texte, une mélodie, une manière de s'exprimer. La Chance aux chansons est même la seule émission de variétés que l'on peut voir à l'étranger régulièrement puisqu'elle passe sur TV5 !"



UN SUPER COLLECTIONNEUR DANS L'OMBRE DE SEVRAN.
(Jean Poggi dans Télé 7 Jours No. 1764 – du 19 mars 1994)

André Bernard. Deux prénoms pour un nom figurant au générique de "La Chance aux chansons". Ce n'est pas un pseudonyme. Pascal Sevran le considère comme l'un de ses plus fidèles complices sur France 2 : "Je suis l'un des trois programmeurs de l'émission. "

André Bernard est dans la fièvre du dixième anniversaire de l'émission.
"Je reviens de l'INA. Pascal m'a demandé, pour un hommage, de répertorier tous ceux qui sont passés dans l'émission et ont disparu depuis. J'ai visionné pendant des heures pour retrouver des images de Betty Mars, Anny Flore, Jean-Claude Pascal et d'autres encore." Jean Sablon, notamment.
"Nous venions de sortir un CD de ses chansons quand nous avons appris sa mort." André Bernard dirige une série chez Music Memoria-Virgin "Les Etoiles de la chanson" : "Jean Sablon est le vingt-deuxième CD après un Yvonne Printemps. Au catalogue, nous avons Damia, Rina Ketty, André Claveau, Lucienne Delyle… Ce sont des repiquages de grande qualité car le son est "nettoyé"".

André Bernard possède une collection étonnante de douze mille 78 tours. "Ça paraît insensé mais sinon je n'aurais jamais pu me lancer dans cette série de CD. Sablon était ravi de mon initiative. Il l'a encouragée. Je le voyais souvent dans son pied-à-terre parisien".


SEVRAN : "À QUI AI-JE CESSÉ DE PLAIRE ?"

(Le Figaro du 14 novembre 2000)
Pascal Sevran vient de prendre connaissance de la – tardive – confirmation de l'arrêt de La Chance aux chansons le 22 décembre. Les raisons de cette décision émanant de Michèle Cotta, directrice de France 2, semblent toujours étranges au producteur qui fait les beaux après-midi de France 2 depuis maintenant 17 ans, pour un coût relativement modeste.

Le Figaro : Comment avez-vous réagi à l'annonce définitive de l'arrêt de votre émission ?
Pascal Sevran : Sans aigreur. On ne peut qualifier la décision de scandaleuse. Disons qu'elle me paraît un peu précipitée. Il n'y avait aucune urgence à la supprimer, et si on observe les chiffres d'audience, ils ne dénotaient aucune lassitude de la part des téléspectateurs. J'avais bien prévenu Michèle Cotta que  nous allions nous faire engueuler par eux !

Comment la chaîne a-t-elle justifié cet arrêt ?
J'ai beaucoup d'estime pour Michèle Cotta. C'est elle qui a pris la décision. Quant à la vraie raison, je ne la connais pas. On m'offre une émission de variétés le dimanche après-midi à partir de septembre 2001 pour que les musiciens et les chanteurs qui venaient chez moi puissent encore s'exprimer à l'antenne. Mon équipe d'une trentaine de personnes seront au chômage vendredi soir, dernier jour de tournage. Sans compter les milliers d'artistes qui perdent du travail. Où vont-ils aller chanter maintenant, si ce n'est dans le métro ?

Avez-vous reçu beaucoup de soutiens ou de témoignages d'amitié ?
Oui, énormément. Je suis désarmé face aux gens qui m'interpellent dans la rue pour me demander de continuer. J'ai également reçu des témoignages de Juliette Gréco, Charles Trenet, Gilbert Bécaud, Charles Aznavour, Patrick Bruel.

Qu'allez-vous faire en attendant l'été prochain ?
Je vais changer de vie. Je vais quitter Montmartre pour l'île Saint-Louis, terminer le deuxième tome de mon journal. Je pars sans aigreur, le cœur serré. Une seule question demeure : à qui ai-je cessé de plaire ?


"IL Y A UNE VIE APRÈS LA TÉLÉVISION !"
ICI PARIS No. 2890 du 27 novembre 2000 - Propos recueillis par Stéphanie Lohr.

Le papa spirituel de l'émission fétiche La Chance aux chansons n'a pas dit son dernier mot.

ICI PARIS : Comment expliquez-vous cette décision ?
Pascal Sevran : Justement, je ne me l'explique pas et je sais que les gens ne vont pas comprendre. Moi, je suis à une période de ma vie et de ma carrière où même si tout ça me touche, je le prends sereinement. Du coup, je regarde faire : il paraît que les journaux sont submergés de lettres, le public se révolte ! Je ne m'attendais pas à un tel torrent d'amour !

Estimez-vous votre sort aussi injuste qu'il a pu l'être pour Danièle Gilbert, Patrick Sabatier ou Jacques Martin ?
Chaque situation est particulière. Je suis tout – sauf un martyr ! Ce sont les téléspectateurs et les artistes qui sont à plaindre. Ce n'est pas moi la victime dans cette histoire.

Quel est votre état d'esprit actuellement ?
Il est entre l'amusement narquois et la tristesse, en pensant à ces belles années que j'ai vécues avec les téléspectateurs… Il y a une vie après la télévision. J'ai mes galas, mes vacances d'hiver à Montréal. Je réaménage complètement ma maison de campagne. Je vais donc être très occupé. Et je ne suis pas encore interdit de télévision à vie ! Je ne suis pas sur un siège éjectable – je change de trône, c'est tout.

Avez-vous l'impression d'avoir reçu une grande claque ?
Au vu des réactions, ce n'est ni une grande claque, ni une épreuve. C'est une période que je regarde avec ironie. Je me laisse porter par la vague d'amour de mon public.



SON PREMIER ALBUM.

Non content de présenter "La Chance aux Chansons", il a enregistré son premier album en février 1992 : "Succès français" (chez Epsilon-Phonogram)  Seize chansons – françaises bien sûr, dont : Que reste-t-il de nos amours de Trenet, qui pour Pascal Sevran est " la plus belle chanson du monde. "



PASCAL SEVRAN ÉCRIVAIN

Extrait de son Journal paru sous le titre : "La vie sans lui" (Albin Michel – 2000).

Paris, 17 mai 1999 :

Charles Trenet a quatre-vingt-six ans. Je l'appelle à tout hasard sur le portable de Georges, son secrétaire, et je le joins dans un restaurant chinois de Nogent ; enjoué, profitant de la vie avec gourmandise. Diable d'homme, on ne sait jamais comment on va le trouver, dans quelle humeur, ni où. La semaine dernière, il s'impatientait en faisant les cent pas dans le hall d'entrée du studio Gabriel où il devait tourner une émission pour son anniversaire.
- Je m'en vais, me dit-il, on ne s'occupe pas assez de moi…
Et il est parti aussi sec, laissant Michel Drucker les bras en croix sur le trottoir, interloqué mais bon prince, et qui n'en revenait pas.
- Sacré Charles ! On ne le changera pas, me dit-il.
- Ça non, il est trop tard.
Cent fois je l'ai vu faire demi-tour quand quelque chose ou quelqu'un lui déplaisait, un détail, une fleur fanée, un courant d'air, un gendarme distrait, une guirlande défraîchie, une poussière, des riens charmants que seuls les poètes et les fous remarquent en passant.

- Et puis, me dit-il, il y avait deux grosses dames peintes qui sont comiques paraît-il, mais moi je ne les trouvais pas drôles, et puis une autre fumait en me parlant.

Trenet a quatre-vingt-six ans ! Il se tient bien à table et sur scène, si longtemps après avoir fait danser nos grands-pères. Ils sont tous morts maintenant, sauf lui qui a fixé l'échéance lui-même.

- Je mourrai dans cinq ans, a-t-il annoncé tranquillement à Patrick Poivre d'Arvor en direct au journal télévisé de TF1 hier au soir. Ce sera assez…

PPDA prend date. La séquence repassera, soyons en sûrs. Quand ? Trenet parle toujours légèrement des choses graves. En attendant ce jour maudit, il ne faudra pas laisser traîner devant lui des cendriers pleins ou des femmes mal coiffées. Nous y veillerons, Drucker et moi, et avec nous tous ceux qui savent que les caprices de poète ne sont vraiment que des espiègleries.

Extrait de son Journal II : "Des lendemains de fêtes" (Albin Michel – 2001)

Morterolles, 24 avril 2000 :

Toutes les rédactions et la direction de France 2 savent où me joindre si Trenet meurt ce lundi de Pâques. L'alerte a été donnée vendredi dernier vers midi, il était en réanimation à l'Hôpital américain, Depuis, les médecins "réservent leurs pronostics", ce qui signifie que le pire est possible, un miracle aussi. . .


22 mai 2000 :

Charles Trenet est toujours à l'Hôpital américain. Georges me demande de lui adresser un bonjour au cours d'une des mes émissions.
- Ça lui ferait plaisir, il te regarde tous les après-midi. Il ne marche plus, il a beaucoup maigri, c'est terrible…

Trenet ne chantera plus qu'au ciel, il aura bien besoin des ailes que Cocteau lui avait accrochées dans le dos pour s'envoler jusqu'au paradis.



PASCAL SEVRAN dans "PARIS MATCH" No. 2701 du 1er mars 2001 :


La dernière fois que je l'ai rencontré, je lui ai dit mon bonheur de le voir marcher. Tout doucement, il m'a glissé à l'oreille : "Oui, une marche funèbre".

Il a différé sa sortie, comme sur scène quand il retardait indéfiniment l'instant où il mettait son chapeau de feutre mou un peu en arrière sur ses cheveux trop blonds. Malgré son extrême fatigue, il avait conservé son humour et son sens de la repartie. Combien de fois en lui téléphonant je risquais un : "Je te dérange, tu te reposes ?" Sa réponse fusait : "Non, c'est quand tu ne m'appelles pas que tu me déranges."

Cet été dans son appartement de Nogent-sur-Marne, je lui propose mon bras pour faire quelques pas dehors. Il me fixe :
"Je ne veux pas de canne, me dit-il. Je veux aller à Cannes. " Nul doute que, pour sa dernière pirouette, Charles n'a pas eu besoin de béquilles, il s'en est allé sur un bon mot improvisé dans l'urgence ou préparé de longue date.

Jusqu'au bout, son esprit est resté d'une parfaite clarté. Mais son ton était devenu faussement enjoué, son élocution lente, molle. Il bavait les mots plutôt qu'il ne les disait, mais on le comprenait.

Il avait repris ses habitudes dans un restaurant chinois de Saint-Mandé, trop agacé par les institutions spécialisées où on lui avait demandé de se reposer.
"Là-bas, je me fatiguais, ces endroits qu'on appelle maisons de repos ne sont pas du tout reposantes, et elles sont mal remboursées par la Sécurité sociale…" Entendre Charles Trenet se plaindre de la pingrerie de la Sécu, le jour même où la SACEM vient de lui verser des droits d'auteur qui devaient lui permettre de s'offrir une pharmacie, était un plaisir surréaliste…

La dernière fois que je l'ai rencontré, je lui ai dit à quel point j'étais content de le voir marcher. Tout doucement, à l'oreille, en confidence, il m'a répondu :
"Oui, une marche funèbre." C'est peut-être le seul air qu'il n'ait pas interprété ; jusqu'à ce funeste lundi 19 février.



En 1978, Pascal Sevran a publié chez Olivier Orban une anthologie "Le Music-Hall français (de Mayol à Julien Clerc)". Puis en 1986, chez Michel Lafon, un 2ème volume, revu et complété, le DICTIONNAIRE DE LA CHANSON FRANÇAISE. En voici un extrait :

CHARLES TRENET, Narbonne 1913,
auteur-compositeur-interprète.


Fils de notaire, il fait ses études à Béziers, puis à Perpignan où il publie, dès l'âge de 15 ans, ses premiers poèmes dans le journal "Le Coq catalan".

En 1928, après avoir ébauché des études d'art à Berlin, le jeune Narbonnais s'installe à Paris pour vivre de peinture et de décoration.

Sa rencontre avec Johnny Hess donne naissance à un duo (Charles et Johnny) qui durera jusqu'en 1936. Lors de son service militaire, il écrit
"Y'a d'la joie" que l'éditeur Raoul Breton recommandera à Maurice Chevalier.

En 1937 il se produit seul et obtient le Grand Prix du Disque en 1938 avec
"Boum !". Il est alors, avec Mireille et Jean Nohain, un des principaux responsables du renouveau de la chanson française. Toute la jeunesse s'identifie à ce fougueux jeune homme qui sera surnommé le «fou chantant». Pour son passage à l'ABC en 1938, la critique est enthousiaste. Sa carrière devient alors internationale et diverse. Il a créé près de 600 chansons, tourné des films : "La Route enchantée" et "Je chante" en 1938, "Frédérica" (1942), "Adieu Léonard" (1943).

Poète simple et plein de jeunesse, il peut être virtuose avec les mots, charmeur et tendre, pétillant, plein d'humour, témoin d'un lieu, d'une enfance ou de personnages pittoresques , ou bien encore surréaliste. Nanti  d'un sens de la mélodie extraordinaire, Charles Trenet rythme les mots sur les tempos de jazz qui n'ont rien à envier aux Anglo-Saxons. Après la guerre, les thèmes qu'il aborde sont liés au souvenir et à une certaine nostalgie du temps passé.

En 1969 il obtient un triomphe au Théâtre de la Ville ;
"Il y avait des arbres" remporte un grand succès en 1970, il crée "Fidèle" à l'Olympia en 1971, raffermissant la légende de son «éternelle jeunesse». Dans la salle, les anciens, mais aussi de nombreux jeunes. Il est le seul auteur-compositeur-interprète de la chanson française à avoir pu garder un auditoire presque universel. De 1936 à 1977 beaucoup de modes se sont succédé sans altérer ses œuvres, au contraire. Comme tout ce qui est exceptionnel échappe toujours un peu à l'analyse, on peut dire qu'il y a un "phénomène Trenet".

Le music-hall et la chanson française se divisent en deux parties. Avant et après Trenet. Avant lui, la guimauve, le mélo, le couplet patriotique ou rigolard sont rois. Avec lui se lève une ère nouvelle qui trouve son prolongement de nos jours.

L'avènement de Charles Trenet coïncide avec l'Histoire. On ne peut pas dire le Front populaire sans évoquer l'une ou l'autre de ses chansons. Elles répondent en écho au formidable soulèvement de joie qui monte des usines en fête. Elles  s'intègrent parfaitement au mouvement de ces années-là. Elles disent : la mer, le soleil, les fleurs et les petits oiseaux, la mousse des bois, les vacances (que la majorité des Français découvrent pour la première fois), un air de liberté passe sur le pays. Charles Trenet le fait chanter, et sur la route des congés payés, des millions de poitrines  reprennent en chœur. Doté d'une insolente santé, rien ne résiste au "Fou chantant" : l'œil bleu, l'œillet rouge, le cheveu blond, le chapeau mou, le doigt pointé vers le ciel, il respire la vie, et la jeunesse lui emboîte le pas allègrement.

Déjà avant guerre, Charles Trenet était écologiste et hippy sans le savoir. Son œuvre est si dense, si riche, qu'elle annonce tout ce qui va suivre. De Ferrat à Brel, en passant par Brassens, il n'en est pas un qui ne se réclame de lui. Il faut remarquer que ses chansons (aussi bien que les textes et la musique), adaptées à tous les systèmes, à toutes les orchestrations, résistent aux modes. Pas une faille, pas une ride. Charles Trenet sera au programme des écoles de l'an 2000. Un génie.





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