|
|
|
Pas d'événements programmés |
|
|
|
Il y a actuellement 270 invité(e)s et 0 membres en ligne
Vous êtes un visiteur anonyme. Inscrivez-vous gratuitement en cliquant ici.
|
|
|
|
|
|
Par Elisabeth Duncker.
On prétend qu’après le décès de sa maman, en décembre 1979, Charles, pendant un ou deux ans, se cloîtra, ne voyant plus personne, n’écrivant plus, ne composant plus.
Rien n’est moins vrai : déjà, le 17 avril 1980, il se produisait en RECITAL A LIEGE (Belgique) et on le voyait régulièrement à la télévision. En plus, il préparait un nouvel album pour CBS avec douze chansons fraîchement écrites.
« ICI PARIS » : LA SORTIE DU TUNNEL
Dans son numéro 1828 du 17 juillet 1980, « Ici Paris » publiait ces lignes signées Mathieu Blanchard qui, cependant, devait tout ignorer du récital en Belgique en avril de cette même année :
C’est enfin la sortie du tunnel. Après six mois d’isolement et de tristesse, Charles Trenet redevient le « Fou chantant ». Depuis six longs mois, très affecté par la mort de sa mère, le célèbre chanteur avait préféré cacher son chagrin.
Dès le mois de septembre (sic), il entrera en studio pour enregistrer douze titres. Le disque s’intitulera « Morceaux choisis » (re-sic).
A la recherche de souvenirs dans sa maison natale près de la gare de Perpignan (re-re-sic ! Charles est né à Narbonne…), il vient de passer de longues journées à revivre sa jeunesse et son enfance. Dans ce décor familier, qui lui a inspiré des œuvres admirables, il a tout remis en ordre depuis la mort de sa mère.
SALUT TRENET !
En décembre 1980, Pascal Sevran lui rendit visite dans sa propriété de La Varenne et dans « Les Nouvelles Littéraires » No. 2767 daté du 18 décembre 1980, il raconte sa rencontre avec le« Fou chantant » :
Un nouvel album du « Fou chantant », avec une douzaine de nouveaux titres, sort le mois prochain (N.D.L. A. : Les enregistrements n’auraient lieu qu’en mars 1981 et le disque sortirait un mois plus tard).
Déjà, dans les pharmacies, au bord de la mer, sur la nationale sept, on murmure qu’il pourrait remonter sur scène, l’œil bleu et l’index pointé vers le ciel… Pour nous faire patienter, l’enfant de Narbonne a bien voulu recevoir Les Nouvelles littéraires dans son jardin extraordinaire.
Ça commence sur les bords de la Marne, loin dans nos souvenirs, un après-midi d’automne entre deux guinguettes fermées pour toujours. Le décor exact de ses chansons tristes.
Il faut du courage et de la mélancolie pour sonner chez un poète qui ne vous attend pas forcément. Mais qui peut savoir ce qu’attendent les poètes ? Il n’y a d’ailleurs pas de sonnette et la grille du jardin est ouverte à tout hasard.
Charles Trenet déjeune. Un morceau de tarte aux pommes, un doigt de liqueur de framboise, un doigt seulement car c’est de mots que je veux ici me nourrir.
Je les attrape au vol, sonores et flamboyants. On n’interroge pas Trenet, on l’écoute, magicien du verbe et du son.
Mais que peut bien faire Charles Trenet, en 1980, si longtemps après le Front populaire, quand il chantait à la TSF ? Que fait-il ?
Il achète des maisons, il roule lentement sur les routes départementales, il boit de la liqueur de framboise, il arrose ses fleurs en plastique.
Avoir vingt ans éternellement.
Trenet ne répond jamais au téléphone, il écrit des chansons pour donner de ses nouvelles. Bonnes nouvelles. J’ai entendu « L’écologiste » ; tout un programme pour Brice Lalonde. Une version 1980 de « Je chante », chanson planante, comme ils disent :
Il va lier des bâches
sans être bachelier,
Il va garder des vaches,
des moutons par milliers.
Le Fou chantant retrouvé va démoder les asthmatiques du refrain-désespoir avec « la Flûte du maire » ; il joue un morceau de choix qui va ravir les initiés.
Elle dit j’ai peur d’être mère,
je suis la fille du maire
qui joue de la flûte là-bas.
Trenet n’a peur de rien. Une santé comme la sienne donne des ailes. Il faut l’entendre s’extasier devant sa moto japonaise :
Il y a papa et maman
qui viennent voir cet engin
et pendant que maman geint
papa la plaint
et moi je fais le plein…
Facile ? Il est là, le génie de Trenet : nous laisser croire que c’est facile d’avoir vingt ans éternellement.
Dans « Lettre d’un père à son fils », quand il écrit :
Gilles, je t’achète une automobile
fais attention, elle est fragile,
mais elle fera, c’est sûr,
de l’effet sur la côte d’Azur
on rêve d’un papa aussi gai.
C’est cette chanson-là qui va déferler sur nos transistors. J’en prends le pari.
Mais toutes les autres valent le détour :
VRAI, VRAI, VRAI un catalogue surréaliste endiablé.
Marie tu dors, la complainte d’un poète fou qui a étranglé sa femme, écrite avant que l’actualité ne la rende insupportable.
La mort du chiffonnier qui était le mari de Maryvonne et pour les inguérissables de l’enfance que nous sommes, cette Ballade à Narbonne, avant d’y retourner mourir et dîner avec un ami, déchirant face à face avec le temps qui passe où le génie de Trenet frappe juste en plein cœur.
Charles Trenet, c’est le pape éternel de nos enthousiasmes et de nos nostalgies, sa muse ne couche pas avec n’importe qui.
Avant lui, la chanson faisait le trottoir. Il lui a fait découvrir la campagne de France et la mer.
Et nous sommes tous du voyage.
GUÉRI DE LA MORT DE SA MÈRE, CHARLES TRENET VA RECHANTER - Douze chansons nouvelles écrites pendant sa retraite.
C’est ce que, curieusement, ce même Mathieu Blanchard affirma dans « ICI PARIS » No. 1863 du 18 mars 1981.
Il a fallu un an à Charles Trenet pour sortir de la retraite où l’avait plongé son immense tristesse après la mort de sa mère. Durant ces longs mois de deuil, le « fou chantant » n’était plus qu’un homme brisé par l’absence de celle qu’il aimait le plus au monde.
Ses intimes s’inquiétaient de le voir sombrer dans la mélancolie. « Il ne rechantera jamais, » disait-on. Il avait, pensait-on, perdu le goût de vivre. Par pudeur, il ne voulait pas qu’on lise sur son visage sa terrible douleur.
Aujourd’hui, il est, semble-t-il, sauvé. Pendant les mois de solitude, il a écrit douze nouvelles chansons, de véritables petits chefs-d’œuvre de sensibilité et de poésie…
Dans quelques jours, il va reprendre le chemin des studios pour enregistrer un album qui marquera sa triomphale rentrée…
SOUFFLEZ, SOUFFLEZ LES BOUGIES
Mais ce que M. Blanchard devait ignorer aussi, c’est que le 29 janvier 1981 déjà, Charles était venu apporter à Tino Rossi , l’invité vedette d’un « Grand Echiquier » de Jacques Chancel, ce joyeux refrain Soufflez, soufflez les bougies, que Tino tenait à chanter ce soir-là avec son fils Laurent et dont le disque 45 tours Pathé-Marconi, verrait le jour en mars 1981. Des années après, en 2002, sortirait un CD hors commerce, SOUFFLEZ, SOUFFLEZ LES BOUGIES, chanté et commenté par Charles Trenet, « document inédit enregistré sur cassette à la Varenne en 1981, dans la maison du poète ».
MARS 1981 : STUDIO DAVOUT, 73 BIS, BOULEVARD DAVOUT, PARIS 20ème
Les enregistrements CBS se feraient à partir du lundi 16 mars et dureraient toute la semaine, le samedi 21 compris, car ce jour-là, on ferait les chansons pour le feuilleton télévisé de Jacques Ertaud « Sans famille », une adaptation très libre du roman de Hector Malot, Ertaud ayant entièrement remanié l’histoire et en changé carrément la fin.
Ce 16 mars, dans le studio récemment rénové, il y avait plein de monde, se tenant assis sur les larges marches moelleuses devant la console de mixage: Mme Breton, dite la Marquise, Eric Brucker de CBS, Michel Drucker, venu pour un « Stars Spécial », prévu fin mars au pavillon Baltard à Nogent, et Henri Chenut qui, en cachette, enregistrait sur son magnétocassette, et on peut se demander comment il a fait pour que personne ne l’ait découvert !
Ce premier jour, on faisait, avec l’orchestre sous la direction de François Rauber : Marie tu dors, Gilles, je t’achète une automobile et Y’a ma Kamabah. Cette dernière chanson avait déjà été créée en 1979 par un nommé Gilles Charbonnier sur un 45 tours de la marque Armel, avec des arrangements de Christian Rémy et cette annotation de Charles lui-même : Oui, ce garçon mérite qu’on l’écoute ! Ecoutez-le ! (Je lui ai fait une chanson : écoutez-la !) – ce même Gilles Charbonnier ayant sans doute servi de modèle pour Gilles, je t’achète une automobile.
Charles arriva de mauvaise humeur, n’ayant pas pu trouver de place pour sa voiture, il avait tourné en rond et s’était perdu.
Et il ne cesserait d’émettre des jérémiades, sur « Sans famille » qu’il disait ne pas vouloir faire samedi, et sur le « Stars Spécial » de Michel Drucker, car on le paierait après, et il exigeait d’être payé avant. Et avec la Marquise, il discuta à perte de vue sur un chèque qu’il voulait et dont il faisait tout un plat.
Mais les enregistrements n’auraient pas à souffrir de ses mouvements d’humeur ; contre toute attente il n’avait rien à redire au niveau des orchestrations, et tout se passait comme sur des roulettes.
Mardi on enregistra avec Jean-Claude Petit : Vrai ! Vrai ! Vrai !, Cœur absent et Gruissan, mes amours, et mercredi 18, avec l’orchestre de Jean Daniel Mercier, L’écologiste, La flûte du maire et La mort du chiffonnier – toutes de vraies merveilles, mais combien oubliées aujourd’hui, malgré leur réédition en compact par Sony qui, début 1991, avait repris CBS. Il faut dire que Charles n’a pris aucune de ces chansons à son répertoire de scène et au Festival « Littérature et Chanson » à Blois, le 24 octobre 1981, il n’en a interprété qu’une seule : « Que veux-tu que je te dise, maman ».
En partant, Charles, distrait comme de coutume, laissa sur la table quelques feuilles de son manuscrit de L’écologiste, dont Chenut s’empara lestement, pour en tirer des photocopies et les remettre le lendemain.
Jeudi ce fut Christian Rémy qui dirigea l’orchestre, pour Dîner avec un ami, Le temps qui passe nous a volés et Que veux-tu que je te dise, maman…
Vendredi on ne ferait que des raccords.
Dans le studio était arrivée une équipe de TF1 pour filmer une annonce du nouvel album et de « Stars », où Charles interpréterait les chansons de ce nouvel album, bien que le tournage en fût retardé pour cause de grève.
Charles, dans un pull et pantalon marine, micro au poing, très détendu, une cuisse sur la console de mixage, chanta en play-back Vrai ! Vrai ! Vrai ! et, s’accompagnant lui-même au piano, Gruissan, mes amours, prises qui passeraient au JT de vingt heures.
Le lendemain, samedi, était présent Jacques Ertaud, comme on faisait le générique de « Sans famille » avec l’orchestre sous la baguette de Christian Rémy, ainsi que l’accompagnement des chansons qui seraient enregistrées ultérieurement.
Eric Brucker ne perdrait pas son temps. “Nous avons beaucoup de confiance en Trenet,” disait-il et pour le nouvel album on ferait de la promotion tant à la radio qu’à la télévision. Déjà à la mi-avril, on passait sur France Inter Vrai! Vrai! Vrai!, ainsi que des annonces pour un direct du Magazine de Pierre Bouteiller, que Charles à la dernière minute faillit ne pas faire, ne voulant pas se rendre au studio de la Maison de la Radio, prétextant avoir un avion à prendre et en avoir assez de ces comédies, il allait dans son cher Midi. Mais la Marquise finit par arranger les choses et c’est aux Editions Raoul Breton, rue Rossini, que le 17 avril 1981 eut lieu cette entrevue, en direct sur l’antenne de France Inter.
LE MAGAZINE DE PIERRE BOUTEILLER
Pierre Bouteiller (*1) :
Le temps qui passe n’a pas de prise sur Charles Trenet qui, à quelques semaines de son soixante-huitième anniversaire, vient encore de prendre un coup de jeune et cela sous la forme d’un nouveau disque, s’ajoutant à une œuvre dont on a renoncé à dire si elle se compte en dizaines, centaines ou milliers de titres. Une œuvre telle que Charles Trenet devrait faire au moins l’objet d’un décret d’utilité publique, ou au moins être élu à l’Académie française, si du moins celle-ci n’avait pas tendance, depuis quelque temps, à se dévaloriser en élisant n’importe qui.
Un seul reproche à lui faire : ses adieux qu’il a faits au public parisien, ce qui va nous obliger à aller en banlieue, en province ou à l’étranger pour pouvoir l’applaudir sur scène, car bien sûr il n’est pas question de renoncer à voir et entendre celui à qui toute la chanson française dans son ensemble doit tout, de Montand à Brassens, en passant par Ferrat.
Nous allons passer cet après-midi en compagnie de Charles Trenet qui présente le millésime 1981 d’une cuvée toujours bonne à consommer, soit en primeur, soit trente ans après. Car c’est ça le miracle Trenet, c’est que sur lui le temps passe, mais il glisse comme dans cette chanson.
Charles: « Le temps qui passe », c’est simplement une chanson un petit peu mélancolique sur le temps qui passe. Tout le monde voit passer le temps, seulement il y a des gens qui ne le voient pas passer. Il faut prendre le temps de voir passer le temps, mais quand il a passé trop vite justement – et c’est l’histoire de la chanson - on a l’impression qu’il vous a volé en passant si vite.
- Alors, vous vous estimez volé par le temps?
- Un petit peu, oui. C’est-à-dire que depuis quelques années, j’ai appris à vivre plus lentement, plus tranquillement, et c’est normal du reste, c’est un phénomène d’âge.
- Il y a combien de temps que vous n’avez pas fait de disque?
- Il doit bien y avoir quatre ou cinq ans, mais depuis, j’ai fait beaucoup de chansons, seulement je ne pouvais pas les sortir toutes à la fois...
- Comment ça vous vient, comment vous dites-vous un jour: tiens, j’ai du matériel, comme on dit dans ce métier, et je vais faire un disque.
- C’est parce que ma maison de disques m’a dit: «Ça fait cinq ans que vous n’avez rien fait. Il faut enregistrer». Voilà. Puis on a pris rendez-vous avec des chefs d’orchestre et je suis allé au studio.
- Alors, c’est votre maison de disques qui vous force à travailler...
- Oh! ce n’est pas un travail de faire un disque.
- Au fond, vous ne travaillez jamais?
- Jamais. On peut tomber sur un mauvais public, sur un public qui n’a pas de talent, alors à ce moment-là il y a du travail. Mais c’est rare. En général le public a du talent. Mais il m’est arrivé de tomber sur des publics qui n’étaient pas du tout réceptifs, alors je travaillais.
- Voyez, vous me parlez du public. Vous n’avez pas la nostalgie quand même des salles?
- Non, pas du tout. J’ai fait mes adieux à la scène à Paris, c’est tout. Et maintenant je poursuis cette série de représentations d’adieu dans le monde. Vous savez qu’à partir d’un certain âge, on est en forme ou on ne l’est pas...
- Et là, vous êtes en forme apparemment, donc les adieux au public, vous allez les continuer, j’espère...
- C’est-à-dire que je vais dans des pays et dans des villes où je ne reviens pas. J’y ai fait mes adieux comme j’ai fait mes adieux à Paris et je ne reviens pas à Paris.
- Mais rien ne vous empêche de chanter à Montreuil, à La Varenne... Pourquoi vous vous êtes tenu à cette règle un peu stricte ? Parce que vous pensez qu’il faut savoir s’arrêter et ne pas s’accrocher à la scène, même si le public vous demande?
- Un peu pour cela, oui. Le public peut continuer à me voir grâce à la télévision...
- C’est pas pareil, vous le savez bien. Il est évident qu’il n’y a pas ce rapport direct, cette magie qui est dans une salle de spectacle et qui n’est pas la même que sur un plateau de télévision.
- Ah, c’est très bien la télévision, c’est parfait. On va chez les gens, on les remercie d’être venus me voir chez moi dans mes théâtres. C’est moi qui vais chez eux maintenant, grâce à la télévision... Ça m’amuse moi, de chanter pour six ou sept personnes. Ça vous change de chanter pour deux mille personnes. Ça permet des chansons d’un ordre plus confidentiel. Déjà les disques permettent de passer à la radio et de chanter à l’oreille des gens, chose qu’on ne peut pas faire dans une salle. A la télévision, grâce au gros plan, on est très près des gens. Ils vous voient comme autrefois nos grands-pères regardaient les artistes avec des jumelles de théâtre. J’aime bien chanter pour sept personnes, pour une famille. Je sais très bien qu’il y a quinze ou seize millions de téléspectateurs quand c’est une émission très en vue, mais c’est une autre façon de chanter, on est plus près....
- C’est comme si vous dîniez avec un ami… Comment vous est venue cette inspiration?
- Je n’en sais rien. L’inspiration c’est une chose très mystérieuse. C’est une fée qui vient frapper à la porte à n’importe quelle heure... et brusquement j’ai écrit ça dans la nuit... J’avais dîné avec un ami, on a échangé des souvenirs et j’ai pensé que la meilleure façon de m’exprimer, c’était d’en faire une chanson...
- «L’écologiste»... Je n’ai pas très bien compris là. Il y aurait comme une petite agression contre un courant politique peut-être quand même...
- Non, pas du tout. Ça m’est passé par la tête comme ça. J’ai écrit ça après un bon petit repas à Aix-en-Provence...
- Arrosé de vin local?
- Oui, gentiment, mais pas trop. Parce qu’à ce moment-là on ne peut pas écrire...
- Cela ne vous a jamais aidé, l’alcool?
- Eh non, pas du tout. Au contraire. Parce que, vous savez, des choses qu’on écrit comme ça sous une influence artificielle, au moment où on les écrit, on trouve que c’est merveilleux, mais après, quand on les relit, on s’aperçoit que ce n’est vraiment pas bon, enfin pour ce qui me concerne. Il faut avoir l’esprit clair... Alors «L’écologiste», c’est une histoire un peu farfelue quoi, mais c’est quand même quelqu’un qui veut vivre à la campagne, qui veut vivre naturellement, mais il est écologiste comme on pouvait l’être il y a trente ans ou comme on le sera dans cinquante, c’est pas du tout une idée politique.
- Il y a quand même un courant politique écologiste qui est représenté officiellement dans la campagne électorale de Brice Lalonde.
- Tant mieux. Je trouve que tous les courants politiques doivent être écologistes. Quel est l’homme politique qui va dire: je ne suis pas écologiste? C’est tout à fait naturel. On est bien obligé de l’être avec toute cette robotisation qu’il y a actuellement...
- Au fait, cela vous intéresse, la campagne électorale? (La campagne pour la présidentielle battant son plein).
- Non, je préfère la campagne provençale.
- Vous avez quand même jeté un œil à la télévision récemment...
- Ah! vous savez, ils disent tous les mêmes choses...
- Ces grands meetings vous en avez vu à la télévision, c’est monté comme des shows de professionnels de la chanson. Est-ce que vous trouvez que ce sont de bons professionnels de show, ces hommes politiques?
- Certes oui. Il faut avoir ce talent d’acteur. Du moment qu’ils passent à la télévision, qu’ils sont sur une estrade devant du monde, il faut qu’ils deviennent des acteurs.
- Quels sont ceux qui passent bien à votre avis? Je ne vais pas vous demander vos opinions politiques, mais je vous le demande sur le plan professionnel.
- Oh! je trouve qu’ils passent tous très bien. Le président de la République passe très bien (à cette époque encore Valérie Giscard d’Estaing, Mitterrand lui succéderait un mois plus tard) François Mitterrand passe très bien et Georges Marchais passe très bien. Mais tout le monde vous le dira...
- Vous ne parlez pas de Jacques Chirac?
- Si, c’est vrai, je l’avais un petit peu oublié. Il passe bien, mais il est plus acteur que comédien...
- La différence, vous la rappelez...
- La différence, c’est qu’un acteur, c’est une personnalité et il ne sort pas de sa personnalité. C’est la différence qu’il y a entre Gabin et Fresnay, si vous voulez.
- Chirac, ce serait plutôt Gabin, ou Fresnay?
- Plutôt Gabin. C’est une personnalité. Il ne nuance pas assez. Il n’entre pas dans la peau de l’autre. Il est toujours lui-même. Georges Marchais serait plutôt acteur aussi, mais le Président de la République et Mitterrand sont très nuancés, ce sont de très bons comédiens.
- « Y’a ma Kamabah » ... C’est une marque de moto que vous avez inventée?
- Absolument. C’est la réunion de trois marques célèbres pour faire un nouveau mot. C’est une histoire de moto gentille, parce que vous savez que les motards n'ont pas très bonne réputation. Moi, j’ai voulu faire quelque chose pour montrer que c’est des gens charmants, très gentils et très sains. C’est l’histoire d’un type qui a une moto et il a trouvé les moyens quand même, parce que c’est un garçon très moderne, d’avoir une fiancée qui s’appelle Daisy Belle et il emmène Daisy sur sa moto, ils se marient et ils ont une petite fille qui s’appelle Paloma. C’est gentil.
- Dans une séance d’enregistrement vous êtes célèbre - je ne sais pas si c’est à juste titre ou autrement - pour avoir des conflits, tout à fait amicaux d’ailleurs, avec les musiciens qui vous font des orchestrations sublimes. Vous commencez à rayer et ça se termine avec un piano, une basse et une batterie.
- Ça, c’est une légende. Non, quand une orchestration est excellente et qu’elle est tout à fait en rapport, qu’elle imbibe la chanson, je la garde. Mais il y a parfois des choses qu’on peut enlever d’accord avec le chef d’orchestre ou l’arrangeur, ou des choses qu’on peut rajouter. Par exemple, pour la chanson bretonne du chiffonnier j’avais mis un synthétiseur pour en faire un rappel de ding dong.
- Vous aimez ça, ces instruments ?
- Mais oui, ce sont des sonorités nouvelles, oui j’aime bien.
- Mais justement, et là je reviens peut-être à l’Ecologiste, on a l’impression qu’il y a une lassitude du public pour ces sons artificiels et un retour aux sons naturels.
- Parce qu’on en a abusé, comme de tout ; ça dépend comment c’est utilisé. Il faut simplement l’utiliser bien. Il ne faut pas en mettre toute la journée à toutes les sauces, mais ça peut apporter quelque chose .
« La mort du chiffonnier » , c’est une petite blague comme on en dit dans les villages. C’est une chanson de style un peu breton. J’ai pensé à faire une chanson qu’on peut chanter à la veillée, mais j’ai situé ça en Bretagne, pour changer un peu.
- Pourtant ce n’est pas votre région de prédilection, la Bretagne.
- Oui, mais c’est un pays de légende aussi. J’aime beaucoup la Bretagne. C’est très beau.
- Je crois que c’est une des rares régions où vous n’ayez pas de maison.
- J’ai des voitures et j’ai des maisons. J’aime bien être comme tout le monde. Tout le monde a une voiture et des maisons. C'est rare les gens qui n'ont pas de résidence secondaire maintenant... Ils ne vivent que pour ça et ils ont raison. Et puis dans le fond ils travaillent trop aussi. On serait très bien avec quatre heures de travail par jour pour tout le monde, ce serait parfait, et ça marcherait très, très bien. Seulement il faudrait économiser sur le budget de guerre, mais le jour où les hommes seront raisonnables, ils feront ça...
- Ah! vous voyez, vous avez des idées politiques...
- Mais ce n’est pas politique du tout. C’est peut-être un peu plus philosophique. Qu’est-ce que c’est la philosophie, c’est l’art de comprendre la vie, et la politique c’est pas toujours l’art de comprendre la vie. C’est l’art d’essayer de la faire comprendre aux autres peut-être...
- Et qu’un candidat viendrait à la télévision dire qu’on réduit le budget de guerre et que, comme ça, tout le monde aura une résidence secondaire, vous voteriez pour lui tout de suite ?
- Certainement oui. Mais ça arrivera un jour…
- Vous avez des visions Rousseauistes du monde… Vous pensez qu’au départ l’homme est bon et qu’on pourra arriver un jour à un monde idyllique où il n’y a plus de guerres, plus de conflits, plus d’affrontements et que tout le monde aimera son prochain... Vous y croyez?
- Pas comme vous le dites. Mais il est un fait que l’humanité ne gagnera pas à être méchante, alors elle reviendrait à l’état de bête. L’homme est bon, je vous le répète, c’est vrai. Il est capable de faire des choses très bonnes. Voyez tous ces gens qui partent pour soigner ces enfants malheureux, c’est effrayant tous les malheurs qu’il y a, et cette famine. Il y a des gens qui vont les soigner, il y a des médecins qui gagneraient beaucoup plus d’argent en restant avec leur clientèle bourgeoise, et qui vont là-bas pour presque rien... Et puis tous les vieux curés de campagne, ils enfoncent des portes ouvertes. Ils sont bons, ces gens-là.
- Le curé de campagne est un personnage qui tient une grande place dans votre vie. Mais des curés en soutane... Vous êtes contre l’habit de clergyman...
- Oh! cela m’est bien égal, évidemment ça inspirait plus ce respect de voir le curé en soutane. Une fois il y avait deux camarades de classe qui se rencontrent comme ça sur un quai de gare et ils se sont promis de se faire une vacherie plus tard s’ils se rencontraient, parce qu’ils se fauchaient chacun les premiers prix en classe. Alors l’un devient un très grand prélat et l’autre devient ambassadeur. Et un jour, sur un même quai de gare ils se rencontrent. L’ambassadeur est en grande tenue, avec un bicorne magnifique et l’autre est dans une soutane d’apparat, il arrive du congrès d’ecclésiastiques de Carthage. Et alors c’est l’évêque qui le premier va vers l’ambassadeur et lui dit: «Pardon, monsieur le chef de gare, à quelle heure part le train pour Paris?» Et le faux chef de gare, qui est l’ambassadeur, le reconnaît et répond: «Je ne sais pas, madame...»
LE TRENET NOUVEAU EST ARRIVÉ
Georges-Marc Benamou dans « Le Quotidien de Paris » No. 435 du 21 avril 1981 :
LA ROUTE EN CHANTANT
Quarante ans après, il a toujours le même public : tout le monde ; le même âge : vingt ans, les mêmes airs de jeunesse.
Revoilà Trenet. C’est le printemps. Il sort un nouveau disque, le premier depuis dix ans (Sic. Lire : 5 ans, son dernier album « Je vends des téléviseurs aux paysans » datant de 1976). On s’aperçoit que si le temps a passé sur Trenet, il a surtout glissé sur lui. Il y a dans cet album toute la folie, la simplicité et la fraîcheur de ses débuts fracassants. « Dans mon garage » (Sic. « Y a ma Kamabah ») où il se fait adolescent fougueux, ou bien « L’Automobile » (Sic. « Gilles, je t`achète une automobile ») auraient pu être écrits il y a quarante ans. Et qu’importe ! Ses morceaux de mélancolie et d’une belle émotion un peu frileuse auraient pu être écrits eux aussi avant-guerre. Et il réussit aujourd’hui le pari d’être à la mode et gai à la fois.
Réussite étrange et intemporelle à une heure où l’on ne parle que de coller « à l’air du temps », de « s’impliquer dans la réalité »… Trenet pourtant, lui, existe toujours, alors qu’il n’a cessé de faire des pieds de nez à l’époque, à toutes les époques. Fidèle à des choses sans importance. Depuis toujours, il traverse, indifférent et sautillant, le temps. Saute, hop-là, sur l’horreur. Déambule, allègre, insouciant et léger, parmi les fantômes. Ne voyant jamais le drame. Voilà Trenet. Pas de message, mais ça dure… Le « miracle Trenet » ça donne du baume au cœur. C’est toujours un enchantement. Sans vieillir. Le miracle Trenet, ce sont ces textes jolis, ces musiques agréables qui vont « ensemble » réussir à créer d’incomparables harmonies. Des mots simples, le plus simples possibles, des rêves chastes et colorés, l’appétit de la vie et la surprise à chaque mot, au détour de chaque rime. Ce sont les outils de Trenet.
« Daisy Belle » est la fiancée de motard qui aime le rock, l’écologiste. « Il va tirer des bâches sans être bachelier. » Il pirouette, il gambade, et sur des airs de swing ou sur fond de menuet. Il offre à Gilles une automobile qui aura beaucoup d’allure sur la Côte d’Azur , tout va bien, dit ce petit galopin. Farfelu et cocasse, toujours à la recherche de la folie colorée, insaisissable, toujours survolté, anti-institution et capricieux. Dans sa France idéale, où les gens sont tels qu’ils devraient être, Charles Trenet fait le plein de sa moto. On le lui a reproché, mais Trenet n’est pas un chanteur réaliste et c’est tant mieux. Cette couleur ne lui va pas.
L’INCONSCIENCE TRANQUILLE
Gérard Lenne dans « Télé 7 Jours » No. 1097 du 6 juin 1981:
TRENET DEFIE LE TEMPS.
Il est toujours aussi juvénile avec un refrain entraînant comme Vrai! Vrai! Vrai!, délicieusement désuet avec Gilles, je t’achète une automobile, humoristique quand il égrène l’épitaphe narquoise d’un chiffonnier, doucement nostalgique et ému quand il évoque le souvenir de sa mère, quand il célèbre la douceur de l’amitié, mélancolique quand il médite sur la fuite du temps. On rangera ce nouvel album, dont la pochette reproduit une très belle toile de l’auteur, auprès du coffre-souvenir de Trenet, on l’écoutera le soir à la veillée, à l’heure où tout est calme. Pour saluer un artiste qui aurait pu s’endormir sur ses lauriers, mais qui aime trop chanter...
Tandis que le «Figaro Madame» du 25 mai 1981, commentait :
Des mélodies simples et des textes délicats, subtils, le tout imprégné d’une émotion frileuse, d’une joie de vivre légère comme l’air, d’une mélancolie éparse. Fidèle à lui-même, depuis quarante ans, primesautier, gai par politesse, ce rêveur impénitent continue de faire des pieds de nez à l’air morose du temps, ignore la laideur, boude les modes, défie les morsures de la vie. Egoïste, inconscient, Charles Trenet? Non, tout simplement pudique, insaisissable, pariant sans cesse sur le bonheur et l’appétit de vivre.
“Je terminerai ma vie l’inconscience tranquille,” avoue-t-il.
Ecoutez-le, cette inconscience-là n’a aujourd’hui plus de prix.
< (*1) Pierre Bouteiller, né en 1934, débuta en 1959 comme reporter sur la jeune radio Europe No. 1, pour entrer, en 1969, à la Maison de la Radio, où, de 1989 à 1996, il fut directeur des programmes de France Inter. En 1999, il serait nommé directeur de France Musiques, jusqu’à 2004.
Les émissions qu’il anima :
- Le Magazine de Pierre Bouteiller
- Loisirs – 1974
- Le Masque et la Plume – 1982
- Au bénéfice du doute
- Embouteillages
- Quoiqu’il en soit – 1999.
Et pour la télévision, avec Charles Trenet :
* Un poète sur la 2 (1971)
* Témoins (1982) de Danièle Delorme
* Un apprentissage du bonheur, sur Arte, en décembre 1994, avec Jean-Claude Philippe.
En 1990 il fut nommé chevalier de la Légion d’Honneur.
© - 2013 - ALVOS FILMS Le site internet www.charles-trenet.net est la propriété d'Alvos Films représenté par Dominic Daussaint. Cet article et tous ceux qui y figurent appartiennent à leurs auteurs respectifs. Conformément au Code de la Propriété Intellectuelle, toute exploitation (représentation ou reproduction) de tout ou partie du site internet est strictement interdite sauf autorisation expresse et préalable d'Alvos Films - Dominic Daussaint
|
|
|
| |
|
1981, AUTOUR DE L’ALBUM : VRAI ! VRAI ! VRAI ! | Connexion/Créer un compte | 5 Commentaires |
| Les commentaires sont posté par leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu. |
|