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LES GRANDS MOMENTS - 5 : 1961, RECITAL A L'ETOILE - LE SECRET DE TRENET : IL EST FOU SANS ETRE DEMENT
le 04 Mai 2013 - 07:56
Charles et la chanson par Elisabeth Duncker


Dès le commencement de 1961, Charles préparait sa rentrée parisienne au Théâtre de l’Étoile.

Après avoir rodé son nouveau récital pendant une dizaine de jours en Suisse, au meilleur de sa forme - il aurait quarante-huit ans en mai de cette année - il affronta le public parisien le 3 mars, avec sur la scène de l’Étoile vingt-cinq musiciens et choristes sous la direction de Guy Luypaerts et, quelque peu perdu parmi les instrumentistes, Freddy Lienhart au piano d’accompagnement. Mais, au bout de quelques semaines, la mise en scène allait subir quelques modifications. Ainsi, l’orchestre se trouvait, comme en 1958, à l’Alhambra, derrière un rideau transparent, et on avait réhabilité Freddy, comme il le méritait, en l’installant, avec son piano, à sa place habituelle sur le plateau, côté jardin.

Dès les premiers jours aussi, Charles apporta quelques changements à son répertoire ; désormais, au lieu de Dis-moi quel est ton nom, sa chanson d’entrée serait Bonsoir jolie madame, une chanson lente, “car”, disait-il, “personne n’écoute une chanson d’entrée. Ils regardent si j’ai grossi, si j’ai bonne mine, si j’ai changé de coiffure...”



Charles faisait deux fois soixante minutes de scène : dix-sept chansons avant et dix-huit après l’entracte, et même certains soirs au total trente-sept chansons. Parmi les nouvelles : Orphée, Les voix du ciel, Narbonne mon amie..., et les déjà moins récentes : Sacré farceur, Le jongleur, Le piano de la plage, Les relations mondaines, Nuit d’hiver, Le jardin extraordinaire, puis les succès de toujours : La route enchantée, Boum, Une noix, La folle complainte, La mer, Revoir Paris, Je chante, L’âme des poètes, Le soleil et la lune. Parfois, en fonction de l’ambiance de la salle, il en remplaçait quelques-unes par : Les bœufs, La légende de Sainte-Catherine, La cigale et la fourmi.

Ce soir du 3 mars, notre poète eut un peu de mal à démarrer, il avait le trac, le double trac, comme il n’hésitait pas à annoncer devant la salle archicomble et, en même temps, devant les caméras de télévision, le début du récital étant retransmis en direct dans «Cinq colonnes à la Une», un magazine à l’époque de grande audience.

La presse, une fois de plus, ne tarit pas d’éloges. Ainsi, François des Aulnoyes dans «Combat» écrivait :
Trenet est l’auteur-interprète, le grand, le vrai. Il commence, en homme bien élevé, son récital à neuf heures trente. Il ne veut pas s’imposer. Il “démarre” doucement. Peu à peu le public entre dans son jeu. Nous observions les jeunes gens présents dans la salle. Après une demi-heure, réellement envoûtés, ils oubliaient les contorsions de nombreux chanteurs de rock and roll, puis applaudissaient respectueusement, puis réclamaient des chansons. Un vent de poésie les emportait vers le large…




QUAND LE THÉÂTRE POÉTIQUE FAIT SALLE COMBLE

Georges Baelde dans «Centre-Presse» du 21 mars 1961 :
Charles Trenet mérite qu’on le visite. Il évoque pour nous, en une soirée, tout un univers. Ajoutez la qualité de l’interprète, la sympathie qu’il dégage et vous renverrez faire leurs classes tous les Gilbert Bécaud et autres Léo Ferré ou Charles Aznavour, dont je reconnais les qualités certaines, mais qui sont tellement, tellement loin derrière Charles Trenet...




SEPT MINUTES D’OVATIONS

Jacqueline Cartier dans «France-Soir» :
Charles Trenet a papilloté des paupières, a sauté sur ses pieds comme un enfant devant l’arbre de Noël, les mains serrées sur son cœur: on venait de l’ovationner pendant sept minutes, montre en main... Sept minutes que lui offrait son public, heureux de le retrouver. Les spectateurs, insatiables, se sentaient très bien : ils avaient oublié les contingences de ce monde, l’heure qu’il était et le poids des ans. Le monsieur de 48 ans qu’ils applaudissaient, rose et frais, éblouissant, en a d’ailleurs sempiternellement 20.

Moi, j’aim’ Charles Trenet !
s’exclama Paul Carrière dans «Le Figaro» du 10 mars 1961 :
L’extraordinaire, chez lui, est sans doute cette façon de jongler avec le temps. Plus d’une génération a vécu depuis ses premiers succès qui n’ont pas une ride. Sa fidélité à la chanson, la chanson la lui rend bien. Il n’a pas besoin, lui, de mise en scène ou de si peu .En fait, la mobilité de son visage où règnent ses yeux ronds, lui permet de se dispenser presque de tout geste. Cette mimique souriante gomme les à-peu-près, les jeux de mots qu’il se permet parce qu’il joue franchement le jeu de la fantaisie.


IL EST FOU SANS ÊTRE DÉMENT

Max Favalelli dans «Paris-Presse» du 13 mars 1961 :
Bleu, jaune, rose, les trois couleurs de Charles Trenet n’ont pas changé... Les poètes défient le temps et les modes. Les autres chanteurs hoquettent, hurlent, vocifèrent, aboient, miaulent, jappent, s’entortillent autour du micro, se roulent sur le sol, mordent les tapis ; Charles Trenet se contente, lui, de semer à la volée la tendresse, la fantaisie, l’humour et les rêves. Le secret de Trenet? C’est justement qu’il ne force jamais son talent; que sa façon originale de voir les choses et les gens n’est pas truquée, qu’il ignore l’outrance, le paroxysme et n’exprime que des sentiments simples, que la poésie qu’il secrète, comme le pin la résine, dédaigne les tournures et les mots savants ; qu’il peut être fou sans être dément et qu’il peut s’attendrir sans être mièvre. En outre, il ne délivre aucun message, il ne se croit investi d’aucune mission sociale. Si poussé par la seule joie de chanter il écrit un hymne, c’est celui du music-hall.


LE TRÉSOR DE TRENET : SON ENFANCE

Guillaume Hanoteau dans Paris-Match No. 612 du 11 mars 1961 :
“Qu’est devenue la Madelon ?“ 
 Le nouveau chef d’œuvre de Charles Trenet, qui fait sa rentrée au théâtre de l’Étoile.
En quelques phrases il sait évoquer une après-guerre tremblotante, un 1918 aux gestes saccadés, des officiers en bandes molletières bleu horizon, des petits garçons aux cheveux coupés à la Jeanne d’Arc, des costumes marins et leurs culottes bouffantes, des dames évasées comme des lampes que l’on retrouve parfois dans certains films muets. Ou dans les souvenirs. Merveilleux arsenal où sans cesse Trenet va emprunter ses trésors.

« L’Aurore » : Pour le « fou chantant » toute la soirée était placée sous le signe de la joie. Nu-tête, dans son costume bleu éclairé d’un œillet rouge, Trenet retrouvait la capitale avec un répertoire de choc : trente-deux chansons dont une bonne douzaine de toutes nouvelles. C’est au moins pendant trois ou quatre minutes que les spectateurs ont salué ce retour du poète de la chanson.
Dernier cadeau de Charles Trenet  à ses amis : un microsillon, enregistré le soir de la première de son récital.





FSX 139… OU LA LEÇON D’UN RÉCITAL – par Jean Séraphin
(Extrait du Journal des Amis de Charles Trenet, No. 51 – avril 1961)

Il n’y a rien de secret dans ce numéro : c’est celui d’un disque.
En bref, cela veut dire :
« Charles Trenet – Récital 1961 – Théâtre de l’Étoile »

La grande pochette bleue était déjà exposée aux vitrines dans l’après-midi du 3 mars. C’était encore une pochette surprise puisqu’il restait à faire le disque. Ce fut chose faite le soir même ; la semaine suivante, il était mis en vente.

Le disque neuf crépita lorsque j’y passai un chiffon pour le débarrasser de sa poussière et je sus qu’il serait un fidèle reflet de cette Première « électrique ». Et quand j’entendis, après les trois coups, l’air de « La Madelon » interprété en ouverture par l’orchestre Guy Luypaerts, je me revis dans la salle.

Tous les admirateurs de Charles Trenet se doivent de conserver ce souvenir dans leur discothèque : il est celui d’un Récital qui aura fait date.
Le disque restitue parfaitement le Récital et donne une idée de l’ambiance dans la salle. Pour bien mesurer l’ampleur de l’enthousiasme des spectateurs, il fallait y être.
Comme il ne pouvait être question d’éditer l’enregistrement intégral des 35 chansons interprétées ce soir-là, il a fallu faire un choix : 14 chansons, mais il en manque encore 21. On peut être tenté de discuter le choix, de déplorer l’absence de telle ou telle œuvre. Mais, lorsque Charles Trenet, sur scène, a terminé son Récital, là aussi, 35 chansons ce n’est pas assez, on pense à d’autres titres, encore et toujours. Et, au-delà des bravos, c’est un hommage que rendent ses spectateurs au vrai Poète de la chanson française.
Reflet fidèle, si incomplet, FSX 139 n’est qu’un disque. Du Récital lui-même, une grande leçon se dégage.

Nous étions quelques amis à assister à la Dernière du 9 avril. En fait, nous avons assisté à une véritable apothéose. Notre ami est décidément dans une forme éblouissante. Son tour de chant, pendant la durée de son passage à l’Étoile, il l’a entièrement recomposé ; avec à peu près les mêmes chansons il a fait quelque chose de tout neuf.

Guy Luypaerts avait, de son côté, remédié aux petits défauts des premières représentations qui dévalorisaient son orchestration. La vive admiration que je porte à Guy Luypaerts me met à l’aise pour dire que son orchestre et ses chœurs n’ont rien apporté au Récital.
Le simple fait qu’il soit présent suffit à Charles Trenet pour tenir toute une scène et aussi longtemps qu’il le désire. Un pianiste de la classe de Freddy Lienhart pour tenir l’accompagnement, une petite section rythmique à la rigueur ; le reste est superfétatoire.

Les critiques de presse ne se sont pas trompés sur l’événement qu’a représenté ce Récital. L’unanimité s’est faite sur le talent de Charles Trenet. On comprend que la comparaison ait été faite au détriment des autres vedettes et qu’on les ait renvoyées, en bloc, « faire leurs classes ».
Charles Trenet, c’est mieux qu’un exemple pour ses confrères, mieux qu’un grand compositeur, mieux qu’un grand poète, mieux qu’une gloire internationale, c’est … Charles Trenet et comme il est unique, qu’il n’y en a pas eu un autre avant lui et qu’il n’y en aura pas non plus après lui, on n’a jamais songé à inventer les mots qui pourraient le définir. Il n’est pas en tout cas de meilleure médication que son tour de chant : Charles Trenet déborde littéralement de puissance vitale et la communique à ses spectateurs : les plus mal fichus s’en vont tout ragaillardis.
Lorsqu’après avoir chanté 37 chansons, il nous a laissés en nous abandonnant gentiment la loge, il s’en allait à la radio … pour chanter.




LA RENTRÉE D’UN POÈTE – par Claude Fachard.

Ironique, tendre, exquis, Charles Trenet commence son récital à 21h 30 précises au théâtre de l’Étoile à Paris. Pendant plus de deux heures, il occupe la scène à lui tout seul. Son tour de chant, composé avec soin, fait alterner la poésie, la cocasserie et l’émotion. Il prouverait, s’il en était besoin, que la formule du one man show est valable quand l’artiste est de qualité. C’est un exploit qui place Trenet à son véritable rang : le premier !
Privilège des poètes ? Charles Trenet prouve tous les soirs, qu’il n’a rien perdu des qualités de sa jeunesse. Il ne hurle pas, ne se roule pas sur le tapis, ne vocifère pas. Doucement, sans procédé, il conquiert a salle. Comme son visage, ses chansons n’ont pas de ride. On les écoute avec plaisir, parce qu’elles font naître la joie.


Ce soir, je reçois des amis.

Allant à contre-courant, il évite d’être triste et s’en explique volontiers :
« Mes chansons ne sont pas tristes, car j’ai peur d’embêter les gens. Il m’arrive d’être morose ou d’avoir l’humeur chagrine, mais ce n’est pas parce qu’on est triste qu’il faut faire partager sa tristesse par le monde entier. Quand je suis triste, je pense : « J’ai des ennuis, mais, ce soir, je reçois des amis et je leur chanterai des chansons gaies ! » Quand j’écris une chanson, c’est souvent pour oublier le monde extérieur qui n’est pas tellement beau… Quand j’entre en scène, j’ai l’impression de prendre un bain. Je me lave dans mes chansons. J’y laisse toute la crasse physique et morale de ma journée. »

Charles Trenet ne délivre aucun message. Il ne se croit investi d’aucune mission. Sa seule ambition est de distraire et de faire rêver. Il chante l’enfance, l’amour, le rêve. Avec des mots simples et de bien jolies mélodies. D’abord surpris, car – hélas – ce n’est plus la mode, le public se laisse vite séduire par la gentillesse, la naïveté et la fantaisie de l’interprète. Et quand, dans la salle, les lustres se rallument, les yeux des spectateurs brillent…




CHARLES TRENET - ÉTOILE 1961
Extrait de « La Discographie Française » No. 91 du 1er mars 1961

Dans le grand studio, au milieu d’une forêt de micros débranchés, en bras de chemise, accoudé au piano, Trenet 1961.
Il est huit heures du soir. Il est là depuis une heure de l’après-midi. Il vient d’enregistrer quatre chansons nouvelles. Il est d’excellente humeur. De l’autre côté du piano, un monsieur
(N.D.L.A. : Guy Luypaerts) lui parle orchestrations. Le monsieur veut du bruit, beaucoup de bruit. Charles lève les bras au ciel.
Le monsieur et lui mettent au point le pot-pourri qui précède l’entrée en scène de Charles.
Le 3 mars. Au Théâtre de l’Étoile.
Le monsieur demande un tintamarre, un grabuge, un vacarme, un fracas…
- Enfin, il faut les réveiller !
- Ce n’est pas l’orchestre qui doit réveiller les gens, dit Charles…, ils arrivent à neuf heures moins le quart pour se montrer les uns aux autres, ils sont en pleine forme. Ils n’auront pas sommeil à neuf heures ! Et puis, c’est moi qui les réveille, non ?
Il éclate de rire.

Le monsieur demande à Charles où l’on doit glisser dans le pot-pourri les quelques mesures de « Revoir Paris » qu’il semble croire indispensables.
- Non ! dit Charles. (Résigné) Tout le monde a SA chanson sur Paris, SES chansons sur Paris ! Je veux me payer le luxe de chanter trente-deux chansons à Paris sans en chanter une seule SUR Paris. Avec vingt nouvelles.
Il sort de sa poche une liste de chansons. Il la regarde.
- Mais c’est une liste infernale ! Tout est mélangé là-dedans.
Il remet la liste dans sa poche et pénètre dans la cabine technique où il demande qu’on lui repasse une copie de sa chanson d’entrée. Une chose extraordinaire : « Orphée ».

Charles Trenet met sa veste, son manteau.
- Je veux, dit-il, en s’emparant d’une minuscule valise en toile bleue, que mon tour de chant ait un public de vingt ans, quelque soit l’âge des spectateurs… Ceux qui ont eu vingt ans à la « Route enchantée » , ceux qui ont eu vingt ans à « Verlaine », ceux qui ont eu vingt ans à la « Java du diable » , ceux qui ont vingt ans à la « Madelon »… Je n’aime pas les gens qui disent : c’était le bon temps… Pour moi, le bon temps c’est maintenant ! »

Il contemple la pochette de son dernier disque.
(Chansons classiques toujours modernes, en Mono, déjà paru en octobre 1960 en Stéréo sous le titre « Je rechante mes anciennes chansons en stéréo ! ») Au verso, sur fond noir, en lettres d’affiche : LE MEILLEUR TRENET.
- J’avais lu à Milan sur un disque : « THE BEST OF SINATRA » Ça m’a plu. Mais comme Presley se contente d’Elvis tout court, la prochaine fois, je ferai mettre T…
Il éclate de rire et sort.

Devant le studio il se plie dans une 2 CV Vespa et met le cap sur la gare de Lyon. Il est 9h30. Quelques personnes le rejoignent. Charles prend le train dans une heure. Le buffet de la gare est fermé. Charles se fâche tout rouge :
- On se sent fier d’être français ! … Comptez sur moi que tout ceci reste entre nous, dit-il au maître d’hôtel qui, visiblement, n’y compte pas.
Il désigne ses compagnons :
- D’ailleurs ces messieurs sont journalistes…
Charles trouve une table libre dans la brasserie et commande une choucroute. Comme il n’y a pas de vin d’Alsace à la brasserie de la gare de Lyon, ni d’ailleurs de vin blanc sec, il boit du vin rouge avec sa choucroute.
Après la choucroute il attaque une assiette anglaise, deuxième et dernier fleuron de la carte de la brasserie de la gare de Lyon.
- Ce que je chanterai avec le plus de plaisir ? Tout, bien sûr. Peut-être « Orphée » et la « Madelon ». J’en ferai quelque chose de spécial, de nouveau…
Dans le disque enregistré cet après-midi, outre « Orphée » , il y a un « Noël » : « La plus belle nuit », les « Voix du ciel » et (attendri) « Narrrrbonne mon amie »… Tout ça chez Chappell.

On lui apporte une glace. Surprise, elle est excellente.
Il finit sa glace. On lui parle encore de son récital.
- Le problème du récital est différent pour chacun de nous. Un jour, Montand m’a dit une chose un peu naïve. Il hésitait à faire un récital parce qu’il ne savait pas mettre un texte de liaison entre chaque chanson. Je lui ai dit : ne dis rien… C’est tout simple.
Il est 10h18. Charles Trenet dit au revoir à tout le monde, donne rendez-vous à son imprésario, le 1er mars à 14 heures, au Théâtre de l’Étoile pour répéter, et va prendre son train tout seul avec sa petite valise bleue.

SONORAMA publia en avril 1961 un enregistrement sonore en 33 tours pour présenter les Grands de la chanson dans leurs Récitals : Léo Ferré qui présente Juliette Gréco, Gréco qui présente Charles Trenet, Trenet qui présente Édith Piaf. Le thème est : « En dehors de votre rentrée, quoi d’autre à signaler à Paris ? »

Juliette Gréco : « La bombe des bombes ! Charles Trenet, plus jeune que jamais, qui bondit sur la scène du théâtre de l’Étoile dans une gerbe de poésie et de gaieté. » (on entend alors le deuxième refrain des Voix du ciel)
À Charles : « Votre rentrée fracassante est-elle le seul événement à Paris ? »
Charles : « Non, il n’y a pas que moi, il y a d’autres événements. Il y a d’abord le printemps, un printemps comme jamais je n’ai vu. Et puis un phénomène tout à fait extraordinaire, plus extraordinaire que mon jardin, vraiment, une chose incroyable, c’est un miracle. C’est Édith Piaf à l’Olympia qui du reste va s’appeler, forcément : l’OLYMPIAF ! »




CHARLES TRENET SANS LÉGENDE
Par Maurice FLEURET – extrait du Journal Musical Français – avril 1961


Tous les soirs, en cinquante (sic) chansons, Charles Trenet amuse, attendrit, séduit, enthousiasme le public le plus dur de Paris. On vient au Théâtre de l’Étoile pour se souvenir, pour retrouver les refrains de sa jeunesse et l’on en sort avec une nouvelle jeunesse, bien différente de l’autre, pleine de rythmes, des poésie aiguë, d’insolite fantaisie : l’éternelle jeunesse de Charles Trenet.

Avec le temps, la voix a mûri, elle a la souplesse d’un instrument longtemps poli, la tenue de scène réussit le difficile équilibre entre un naturel familier et des attitudes drôles ou émouvantes mais toujours stylisées, enfin l’immense répertoire, s’il favorise au hasard du choix de l’auteur ou des exigences du public quelques inégalités, renouvelle singulièrement le personnage : non plus seulement l’auteur de
La Route enchantée, de Y’a d’la joie, de Boum , de La Mer et de L’Âme des poètes, mais celui des Voix du ciel, de Narbonne, mon amie, des Relations mondaines, de Ma philosophie et d’Obéis au bey. C’est le triomphe de la poésie qui n’en a pas l’air. Sous prétexte de jeux de mots (ou de syllabes) fort cocasses, ou bien alors de belles images tendres, Trenet parle avec simplicité le langage rare de la poésie surréaliste. Jean Cocteau l’a dit : « Il fait descendre la chanson dans la rue sans qu’elle se casse la figure en se jetant du troisième étage… » Qu’il le fasse aujourd’hui est bien, qu’il l’ait fait il y a vingt-cinq ans est encore mieux. Sans lui, sans ses trouvailles, sans ses audaces, les Brassens, les Aznavour, les Bécaud, tous ceux qu’il célèbre si gentiment dans J’aime le music-hall, ne seraient pas ce qu’ils sont.



À CŒUR OUVERT

Charles Trenet ne vient pas de se voir décerner le Grand Prix de Rome et pourtant il habite la ville Médicis ! Une villa Médicis des bords de Marne où déjà tout est soleil et fleurs. C’est un morceau de son Midi natal imposé à son Île-de-France d’élection. La franchise et la gaieté du décor sont le reflet de l’âme qui l’habite. Sous le grand parasol coloré ce n’est pas le raffiné supplice de la question, ce sont deux amis qui bavardent :

- Comment êtes-vous venu à la musique ?
- C’est la musique qui est venue à moi ! Je n’ai pas cherché mes chansons, elles se sont imposées à moi, elles m’ont « obligé ».
Mais je préfère la musique à la chanson. Dans la chanson, la musique est en prison.
- Vos études musicales ?
- Aucune ! Je ne connais pas un traître mot de solfège. Les idées mélodiques me viennent, je les dicte, quelquefois je les reprends, je les modifie. Mais en général je conçois la musique en même temps que les paroles, elle n’en est pas dissociable. Il m’est arrivé de mettre systématiquement des textes en musique, mais il m’est beaucoup plus difficile de faire le contraire et c’est pourquoi j’ai dans mes cartons de nombreuses musiques abandonnées.

- Vos premiers succès ?
- Ce n’était pas à proprement parler des succès. Dans « Je chante » que j’avais faite en 1936, pendant mon service militaire et que je créai l’année suivante, on racontait que je disais n’importe quoi. En vérité, on ne comprenait pas du tout les paroles de mes chansons, on n’y voyait qu’une élucubration farfelue : j’étais le « fou chantant ». Maintenant que le surréalisme est entré dans les mœurs et que Prévert et l’existentialisme sont passées par là, tout ça ne pose plus de question, on m’a adopté un peu comme La Fontaine. Ma musique aussi choquait bien des traditions à l’époque de mes débuts. Les jeunes de maintenant découvrent le rock, mais le rock ce n’est pas autre chose que la vieille chanson de cow-boys qui était déjà fort démodée en 1938. Le vrai jazz, c’était une autre histoire et on n’avait pas encore osé s’en servir pour la chanson « à chanter » et non pas seulement « à danser ». Quand je mis en musique « Chanson d’automne » de Verlaine, j’étais presque un profanateur.

- Pourtant, ne pensez-vous pas que vous êtes le chanteur d’une époque ?
- L’époque, c’est la mode et je n’aime pas la mode, du moins chez moi. Les modes ce sont les « métamorphoses du vide ». La guerre m’en a sauvé, elle m’a donné une forme classique, en m’obligeant à me taire, à réfléchir, à écouter le silence. Mais je sais bien que la mode c’est aussi la jeunesse et quand cette jeunesse mûrit en conservant ses qualités, elle abandonne à son tour la mode. Georges Brassens est venu me voir l’autre jour. Je l’estime, je l’admire, voilà un véritable artiste de son époque et de tous les temps !
On croit que parce que le public qui vient m’applaudir tous les soirs est celui pour lequel je représente des souvenirs de jeunesse, je n’ai jamais chanté que l’époque de cette jeunesse. On oublie que le style a peu changé depuis hier et que si je débutais aujourd’hui il y aurait de grandes chances pour que la jeunesse actuelle voit elle aussi son propre reflet dans mes chansons.
Savez-vous que « La Mer » qui a été mon gros succès de l’après-guerre, avait été écrite en 1939, essayée en 1941, abandonnée en 1942 et, finalement, sur les conseils de mon éditeur, reprise en 1947 ?
À New York où je chante surtout au cabaret, mon public est fait de gens de tous âges qui comprennent généralement le français mais pour lesquels je ne représente pas des souvenirs, ils viennent seulement pour ce que je chante.

DE WAGNER À STRAWINSKI

- Quelle place la musique du passé tient-elle dans votre vie ?
- Pour moi, il n’y a pas de musique du passé. Il y a la musique qu’on joue et celle qu’on ne joue pas, celle qui vous apporte quelque chose et celle qui vous laisse indifférent.
Dans mon enfance, à Perpignan, j’ai vu la « Tétralogie du pauvre », j’en ai acquis un grand respect, une admiration un peu effrayée pour l’opéra et ses pompes. Ce qui n’empêchait pas que nous allions entendre Meyerbeer… pour rire ! Mais je ne suis jamais allé à l’Opéra de Paris, c’est pour moi une sorte de temple inaccessible ; si j’y pénétrais je craindrais d’être déçu, je préfère en avoir un peu peur.
Chez moi, tranquillement, j’écoute Tchaïkovski, Wagner. Je n’aime pas tout, mais il m’arrive de passer des heures inoubliables avec ces musiques amies.

- Et la musique du présent ?
- C’est d’abord le concert. Aux États-Unis, où j’ai plus de loisirs qu’ici, je ne m’en prive pas. Je suis un habitué du Carnegie-Hall. J’y ai applaudi Menuhin, Heifetz et, tout récemment, j’étais avec Darius Milhaud au dernier concert de Pierre Monteux.

- Vers qui vont vos préférences ?
- Très nettement vers Stravinski. J’adore « L’Histoire du soldat », il y a là une poésie et une force auxquelles on ne peut échapper. J’aime tellement ce genre de musique que, l’autre jour, à la Monnaie de Bruxelles, pendant la représentation du « Sacre du Printemps », je me surprenais à fermer les yeux pour goûter seulement la présence de la musique. Mais Ravel m’enchante aussi, surtout son Concerto en sol, que je mets ou sommet des productions du vingtième siècle et dont le mouvement lent me bouleverse. Savez-vous que j’y ai trouvé le thème de « L’âme des poètes » ?

- Que trouve-t-on dans votre discothèque ?
- Un peu de tout, de Jean-Sébastien Bach à Georges van Parys, mais, en aucun cas, mes disques. Une chanson ne m’intéresse que lorsqu’elle est en gestation ; après, quand elle est finie, quand je l’ai chantée en public, quand elle est enregistrée, elle ne m’appartient plus.
Dans ma propriété d’Aix-en-Provence, où je n’ai jamais eu la chance de passer des vacances au moment du Festival, les disques sont mes compagnons favoris.

L’ÂME DU POÈTE

Il est moins facile qu’on l’imagine de pénétrer l’art de Charles Trenet. Quand vous riez avec Dans les pharmacies, Le jardin extraordinaire vous fait monter sournoisement une larme au coin de l’œil. Une pirouette toujours inattendue sauve Trenet du catalogue : ni chanteur de charme, ni fantaisiste, mais poète d’abord.

Le réalisme de Trenet est tout intérieur.
- Je chante mes chansons en société, mais elles ne me sont pas inspirées par la Société. Les événements collectifs ne m’inspirent pas. Je fais une chanson quand l’événement me concerne personnellement. Quand j’écris une chanson, c’est souvent pour oublier ce monde extérieur qui n’est pas tellement beau. J’ai l’impression quand j’entre en scène de prendre un bain. Je m’y lave dans mes chansons. J’y laisse toute la crasse morale ou physique de la journée.

Mais l’excuse littéraire ou sentimentale n’est pas tout. La qualité musicale des chansons de Trenet étonne lorsqu’on sait qu’elle est le fruit d’une science infuse. La courbe mélodique d’une franche et souple carrure porte déjà en elle les riches modulations d’une harmonie originale. Elle se prête aussi à tous les développements. Les vastes orchestres américains l’ont bien compris qui en font souvent de véritables symphonies dans le goût cependant discutable d’un jazz symphonique à mi-chemin de Tchaïkovski, de Debussy et de Gershwin.

Pourtant Charles Trenet ne cherche pas si loin. Il veut simplement, humblement « faire plaisir » et en cela il est éminemment français. Léger sans inconséquence, sensible et non sentimental, vrai sans être réaliste, il s’efforce à remettre tout en question chaque soir. Il cherche ces subtiles régions de l’âme collective où les mots sont plus réels que la réalité qu’ils décrivent et où la musique dégagée de tous les styles, s’épanouit en chacun comme un chant intérieur. Il observe son public et son public l’observe. Le miracle commence quand ils se sont trouvés. Laissons à Charles Trenet le dernier mot :
- Le public et moi, nous nous imposons mutuellement nos goûts. C’est un échange. Il me donne et je lui donne. Il n’accepte pas toujours, ni moi non plus du reste. Mais ce que nous acceptons mutuellement est finalement le meilleur.



Le Théâtre de l’Étoile, 35 avenue de Wagram, s’ouvrit en mars 1928, baptisé « Folies Wagram », avec 1500 places, très moderne pour l’époque et destiné à la représentation de grands spectacles (opérettes et revues).

Après des périodes difficiles, des fermetures et une suite de successions de directeurs, souvent incompétents, le théâtre se consacra au music-hall, avec des programmes renouvelés tous les quinze jours.

Pendant l’Occupation, le théâtre continuait à fonctionner avec un succès inégal.

Ce fut à la Libération qu’il connaîtrait enfin la consécration, avec toujours de grands noms à son affiche : Lilian Harvey, Édith Piaf, Henri Salvador, Marlène Dietrich, et, naturellement, les fameux récitals de Charles Trenet et Yves Montand, ainsi que des ballets et opérettes modernes.

En janvier 1964, l’Étoile ferma définitivement ses portes pour être transformé en immeuble d’affaires.




** LIRE PROCHAINEMENT : TRENET – L’ENCHANTEUR
À BOBINO EN 1966 **



 
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SONORAMA - 33 tours d'avril 1961 (Les grands de la chanson)
par Dominic (Envoyez un message) le 16 Mai 2013 - 10:13
Sonorama - 33 tours - 1961 Pour écouter l'enregistrement dont il est question dans cet article, c'est ici : SONORAMA - avril 1961 - Les grands de la chanson

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