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par Lucien J. Heldé
J'aime beaucoup les chansons de Trenet, MAIS…
Pendant près de dix ans il n'y a presque rien à jeter chez le jeune Charles. De 1936 à 1945, Trenet "trenette" avec bonheur, non seulement dans les archi-connus "Y'a d'la joie" , "Boum !", "Fleur bleue" , "L'héritage infernal" et autre "Débit de l'eau, débit de lait" , mais aussi dans d'autres œuvrettes plus confidentielles comme "Pigeon vole", "Annie, Anna", "Tout me sourit" , "Sur le fil" , etc… Toutes chansonnettes d'une qualité stupéfiante, textes novateurs et musiques "jazzy".
Même la très contestable "Terre !" se laisse écouter avec plaisir, même si, dans la grisaille de France pétainiste de 1942, Trenet s'y exclame avec un optimisme de fort mauvais aloi : "Comme Colomb sur son bateau, nous voguions à la dérive. L'eau était sale. Oh ! quelle sale eau ! (ou "quels salauds !") Oh ! quel méli-mélo ! Et puis un jour, tour revint beau, tout revint clair sur la rive : le monde riait,, le monde dansait, tout le monde chantait…" Drôle de guerre…
Et puis…
Et puis, hélas, Trenet, comme asticoté par une muse qui n'était pas la sienne, se mit à commettre des chansons "lyriques", dans le genre de "La mer" ou de "Douce France"… Des chansons "inutiles", où une orchestration pompière parvient à peine à masquer l'indigence des paroles !
Crime de lèse-Trenet ? Pas du tout ! Réécoutez "La Mer" : Pendant trois longues minutes, ladite mer ne fait que gigoter au bord de golfes clairs, outrageusement fardée de reflets d'argent ! Une seule image ingénieuse, celle des "blancs moutons" que paît cette "bergère d'azur" qu'est la mer, suffit-elle à racheter cette scie ?
Quant à "Douce France", mis à part le titre, heureux souvenir moyenâgeux du preux Roland de Roncevaux, le "trenetophile" restera sur sa faim : dans la version originale, après un couplet et un refrain seulement, la plume du poète s'assèche désespérément. Le reste n'est que remplissage musical et redites… Au cas où le public serait sourd ou obtus ?
Exagération ? Nullement ! Trenet lui-même ne semblait pas pleinement satisfait de ces chansons. Ne laissa-t-il pas "La mer" dans ses cartons pendant une dizaine d'années avant de se résoudre à chanter cet opus sans doute encore inachevé ? Et quand, plus tard, il reprit "Douce France", il eut soin d'y ajouter une strophe ("J'ai connu des paysages, tout là-bas sous d'autres cieux", etc), histoire sans doute de meubler l'indigence de la première version.
Hélas (bis), le grand public, qui, on le sait, a toujours raison, fit un triomphe à ces chansons "inutiles" et Trenet continua à forcer sa muse pour en produire d'autres, tout aussi indignes de sa muse badine !
Les exemples foisonnent. Ne citons, que "L'histoire d'un monsieur" . Du mauvais sous-Piaf ! Cela raconte la vie d'un pauvre gars frappé par toutes sortes de malheurs. On y cherche désespérément un "second degré". On espère parfois le trouver, mais, à ce moment, Trenet rajoute une couche de mélo ridicule. Un extrait, rien que pour rire : "Blessé en campagne, mais rien de fatal. Il trouve une compagne dans un hôpital. Elle est infirmière, ils s'aiment, quel malheur ! (…) La guerre est finie, l'infirmière meurt d'une maladie dite "de langueur". La première femme est morte elle aussi, mais alors quel drame, les fils se marient…" Et tout cela proféré avec un sérieux papal.
Mais le pompon revient à la chanson "Eve" . Le texte, mon Dieu, n'est pas plus catastrophique que pour d'autres chanson du même acabit… Mais l'interprétation !… "Éééééveuh, je vous revois dans rééééveuh !" bêle Trenet comme s'il voulait pallier le silence de tous les agneaux d'Hollywood ! Une parodie de chanson "à voix" des années 30 ? Point du tout ! Pas la moindre trace de dérision dans cette panade presqu'aussi horripilante que cette "Danse des canards" de si gigi-lionesque exaspérante mémoire…
Heureusement que, pendant toute sa longue carrière, Trenet continua inlassablement à nous régaler de petits bijoux truffés du "surréalisme magique" qui lui est propre : par bonheur, comme antidote à l'indigeste "Histoire d'un monsieur", il suffit de déguster "Ding, dong", une chanson sur le même thème, mais plus ingénieuse ô combien…
J'adore Trenet, mais… il est dommage qu'il ne se soit pas toujours rendu compte que Verlaine, même s'il n'avait pas le "souffle" du père Hugo, n'en était pas moins un tout aussi grand poète !
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LA MER... DANSE COMME UN PIED ! | Connexion/Créer un compte | 12 Commentaires |
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