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par Elisabeth Duncker
Albert Bausil fut l’ami des jeunes années de Charles Trenet.
Madame Caussat-Trenet souligne l’importance de cette amitié dans les souvenirs qu’elle a publiés : Ses jeunes années (Radio 50, 51 et chez Robert LAFFONT – 1978) :
On trouvait Charles plus souvent à l’imprimerie du Coq Catalanqu’en train de faire thèmes ou versions.
Son père se fâchait – il avait raison.
Mais quelle joie de voir un poème à soi s’étaler en beaux caractères en première page ! Cela ne valait-il pas toutes les semonces ?
Il y avait aussi les rôles à apprendre – Albert Bausil écrivait des revues – les répétitions et les soirs palpitants des « premières ».
Ces souvenirs sont chers à Charles. Si je les évoque aujourd’hui avec une indulgence souriante que j’étais loin de manifester à l’époque – moi aussi, je le grondais souvent – c’est que le recul des années, l’expérience de la vie et surtout la plus grande connaissance que j’ai du caractère de mon fils me font comprendre ce que représentaient pour lui alors, cette envolée première, cet élan poétique qu’un ami favorisait.
Cet ami est mort.
Charles a gardé son souvenir et ne passe jamais à Perpignan sans aller se recueillir sur sa tombe.
Charles lui-même définit fort bien le rôle et l’influence exercés sur lui par Bausil à Perpignan, ville d’art, de poètes, de farceurs enthousiastes, d’adorateurs du soleil, dans ces quelques lignes autobiographiques insérées dans le programme de Bobino 1966 :
Je compris vite à Perpignan, au contact d’Albert Bausil, figure inoubliable et illuminante, que j’étais fait pour la vie imaginative et fleurie avec, par-ci par-là, des inspirations musicales.
Bausil me dit : Ce n’est qu’en quittant Perpignan que tu le comprendras. Monte à Paris ! »
J’avais dix-sept ans, un cahier plein de poèmes. C’était mon cœur.
Mais sans doute le plus bel hommage à cette étape éblouie de l’adolescence de notre poète réside dans ce poème dédié à ses quatorze ans.
SOUS LES CLOCHES D’ICI
Pour Charles Trenet
Le Jeudi Saint,
les jardiniers ont apporté dès le matin
de gros bouquets de quarantin
qu’ils ont posés sur le coussin
de velours noir, où dort dans la crypte dévote
le vieux Christ espagnol dont on compte les côtes.
L’ombre, où le cœur rouge d’un vitrail palpite,
sent le cierge, l’encens et l’éponge bénite
dont les petits pénitents frisés se sont servis
pour laver les pieds du bon Dieu, mercredi.
Au fond de la chapelle de sainte Thérèse,
les marchands de chaises
dit le chapelet avec des yeux clos, des soupirs,
toute l’extase des confesseurs et des martyrs,
en songeant à sa soupe-à-l’ail et à Madame Courtois
qui lui doit quatre sous de la dernière fois.
Ce soir, les jeunes gens du quartier Saint-Jacques,
parce que c’est le samedi de Pâques,
iront chanter les goigs dels ous, sous les fenêtres
de Monsieur de Lazerme, qui leur donnera peut-être
cent sous, pour aller voir « le Fils de Zigoma »
au cinéma.
O samedi de Pâques ! mandolines
dans les rues d’argent pâle, où l’on devine
à l’ombre de la lune et des balcons chantants,
des amoureux blottis qui serrent le printemps !
Et puis, demain ce sera Pâques.
Ah ! sonnez, cloches de Saint-Jacques !
et vous, cloches de la Réal,
dans l’air bleu et matutinal !
et vous, clocher plus bas et plus proche de Dieu,
humble clocher de Saint-Mathieu !
et vous ! et vous ! rempli de cloches baptismales,
vieux clocher de la Cathédrale !
Sonnez, cloches, sur les maisons,
sur les cœurs qui ont plus de foi que de raison,
sur le perron, sur la fontaine, sur la grille,
sur la chambre de la jeune fille,
et sur le lit étroit et blanc, où les petits
dorment de si bon appétit !
Sonnez sur le rire aigu des premiers lilas
qu’on voit pointer à la porte de la villa,
et sur la chaste, tendre, et plaintive glycine,
qui tord les bras comme une princesse de Racine.
Sonnez sur moi, sonnez sur moi, cloches réveillées,
qui sentez l’herbe, le muguet, l’ombre mouillée,
et toute l’ivresse de l’air,
jusqu’à la mer !
Sonnez sur moi, sonnez sur moi, ailes battantes
des cloches ressuscitantes !
Faites pleuvoir le ciel et le jour palpitant
sur mon cœur nu qui vous attend,
sur mon cœur nu qui a vingt ans, qui a vingt ans,
ô cloches de tous mes printemps !
Albert BAUSIL
Poème paru dans « Le Coq Catalan » du 16 avril 1927 et repris dans le recueil « Poèmes » (Sous-titre : « Chansons du Roussillon ») 1929.
Albert Bausil a souvent été cité dans les articles qui figurent sur notre Portail des Amis de Charles Trenet mais, pour les curieux, les trois articles suivants lui sont plus spécifiquement consacrés :
PRIMEROSES ET RIMES ROSES - LA PREMIERE FOIS QU'ALBERT BAUSIL AVOUA SON TALENT...
COQ CATALAN – PARTIE 1
COQ CATALAN – PARTIE 2
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