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par Elisabeth Duncker, avec la collaboration de Jean Séraphin
Charles Trenet, à un moment de son tour de chant, désigna au public son accompagnateur d’un geste large et alors les applaudissements redoublèrent d’intensité. On parlait généralement peu de ce compagnon de travail. Pourtant Charles Trenet a toujours su choisir comme accompagnateurs des pianistes de grande classe et qui ont eu leur influence.
Avec cet article, voici l'occasion de rendre hommage à ces compagnons de l'ombre qui ont, chacun, contribué à des degrés divers à l'oeuvre du Maître :
Guy Luypaerts, Léo Chauliac, Henri Leca, Albert Lasry, Norbert Glanzberg, Freddy Lienhart, Christian Remy, Roger Pouly, Jacques Lalue, Pierre Nicolas, Pierre Spiers, Alphonse Masselier
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GUY LUYPAERTS se lia avec Trenet en 1939, tous deux mobilisés à Salon-en-Provence, où ils créèrent avec Tino Rossi et Albert Préjean le Théâtre des Ailes.
D’origine belge, Guy Luypaerts est né à Paris en 1917. C’est en France que dès son jeune âge se manifestèrent ses dons pour la musique. Compositeur, il a imposé au public des œuvres riches en harmonies. Parmi ses plus grands succès : Rêver, Libellule, Métamorphose, Monde.
En 1939, il écrivit la musique de Près de toi mon amour; en 1942 de Deux mots à l’oreille, La folle complainte, La chanson de l’ours, et, en 1945, de Liberté.
Son fils, Guy Claude, né en 1949, fut élève de Jean-Pierre Rampal.
Guy Luypaerts resterait l’accompagnateur de Charles Trenet de 1939 à 1941.
C’est au Théâtre de l’Étoile en mars 1961 qu’il l’accompagna encore avec son orchestre et ses chœurs, et avec Freddy Lienhart au piano.
En 1965, il était au piano pour l'émission tv La, la, la Trenet (DVD La vie qui va), puis à l’orgue à Bobino, en mars 1966 et, exceptionnellement au deuxième piano à côté de Christian Rémy et du contrebassiste Pierre Nicolas, en 1975, dans des récitals en Belgique, Roger Pouly n’étant pas disponible alors.
Avec son orchestre, il a enregistré une quantité de disques avec Charles Trenet. J’y reviendrai plus longuement dans un prochain article Charles Trenet et ses orchestres.
LÉO CHAULIAC (1913 – 1977) accompagna Charles Trenet durant une période qui commença en 1940, (on le voit dans les films La romance de Paris -1941 et Frédérica - 1942) et qui se termina à fin 1943 ou début 1944.
Léo Chauliac était incontestablement à l’époque le premier pianiste de jazz français.
Né à Marseille, la même année que Trenet et Méridional aussi comme lui, Léo Chauliac, dès l’âge de 7 ans, s’amusa à tapoter sur un petit piano dont son grand-père lui avait fait cadeau par hasard à Noël. Pris bientôt d’un goût immense pour le clavier, il étudia à fond les classiques. A 12 ans il commença à composer des polkas. Deux ans plus tard, il décrochait son premier prix au Conservatoire de Marseille. Après avoir joué d’abord dans un cabaret de chansonniers, il vint à Paris, où brusquement l’amour du rythme l’envahit .
En 1931, il monta son quintette, faisant ainsi ses débuts de chef d’orchestre. Il retourna à Marseille en 1937, où dans une boîte de la Canebière, il se trouva devoir accompagner Charles Trenet, encore à ses débuts de fou chantant . A la fin de la soirée ce dernier l’engagea aussitôt et l’emmena en tournée. En première partie de spectacle, il faisait son numéro personnel, dont le clou était une improvisation toujours brillante sur trois notes désignées au hasard par les spectateurs. Il enregistrait pour la marque Swing.
Très sympathique, vêtu d’un complet clair, veston très long comme c’était alors la mode, il paraissait de très petite taille au côté d’un Charles Trenet en bleu marine. C'était un accompagnateur remarquable.
On lui doit la musique de Marie-Marie et sa participation à celle de Bonsoir jolie madame et de Que reste-t-il de nos amours. On lui doit aussi quelques orchestrations de disques et notamment pour les chansons du film Adieu Léonard. Et bien sûr, il fut coauteur pour la musique de La mer en 1943.
En 1946, il harmonisa La cigale et la fourmi et, un an plus tard, il accompagna avec son orchestre Roland Gerbeau pour son enregistrement de Marie-Marie.
Un disque de Trenet, Douce France, lui a permis de rencontrer Albert Lasry.
HENRI LECA (1914 – 1981) était au piano dans l’enregistrement réalisé par Guy Luypaerts qui , avec pour chansons Liberté et Ding-Dong , était le premier disque d’après-guerre de Charles Trenet.
On le remarquait grâce à son jeu particulièrement brillant.
C’est en 1944 déjà qu’il accompagna le Fou chantant, interprétant La Mer pour la première fois en concert. En 1946, il épousa la fantaisiste Rose Mania, qu'il avait rencontrée à une tournée de Trenet en 1945. Il a fait son chemin depuis. Également compositeur, il écrivit de nombreuses chansons avec Francis Blanche comme parolier et, pour les productions Jacques Canetti, enregistra des versions instrumentales au piano des chansons de Gershwin et Cole Porter. Dans les années cinquante il composa de la musique de film.
ALBERT LASRY (1903 – 1975) n’avait physiquement rien pour accompagner un fou chantant et on l’aurait plus imaginé devant un bureau qu’à son piano. Ce sont des disques qui firent d’abord connaître Albert Lasry, car avant même leur sortie, à fin 1946, Charles Trenet était parti découvrir l’Amérique. L’orchestration d’Albert Lasry contribua beaucoup au succès de La mer.
Il fut très longtemps, et jusqu’à une date qui doit se situer en 1952, le pianiste attitré de Charles Trenet pour notre continent. Les éditions des chansons de cette période portent souvent la mention : harmonisé par Albert Lasry. Il fit beaucoup de disques avec Charles Trenet qui tranchaient par leur orchestration très soignée sur la production courante de l’époque. A cet égard, on peut dire qu’il a fait école.
Il apparaît au piano d’accompagnement dans le film Bouquet de joie , tourné en 1951, et son nom figurait au générique, ce qui n’arriva pas pour Léo Chauliac dans Frédérica et La Romance de Paris.
Il signa en 1948 pour la musique de France dimanche, Revoir Paris, Une noix et N’y pensez pas trop.
En 1967, il fut trésorier à la SACEM.
NORBERT GLANZBERG (1910 – 2001) fut le pianiste accompagnateur par intérim, fin des années quarante, en allant avec Charles Trenet en Amérique latine.
Né à Rohatyn en Galicie, de parents juifs, il émigra en 1911 vers Würzburg où, après des études à l’Université, il se consacra à la musique en devenant chef de chœurs au théâtre de Würzburg, puis à celui d’Aix-la-Chapelle. Il écrivit de la musique de films pour l’UFA à Berlin. Quand le régime nazi s’installa en Allemagne, il s’exila à Paris, où il fut l’accompagnateur de Rina Ketty, Lys Gauty, Tino Rossi et Edith Piaf et écrivit les mélodies de nombreuses chansons à succès.
En 1951, il accompagnerait Charles Trenet avec son Trio Ondioline Vigouroux dans quelques enregistrements de disques, notamment Ma maison et Mon vieux ciné.
FREDDY LIENHART (1923 – 1979) fut peut-être le plus fidèle mais aussi le plus anonyme des accompagnateurs de Charles Trenet. Ceci s’explique peut-être du fait qu’après Léo Chauliac, le pianiste de jazz, Henri Leca, le fantaisiste rêvant de voler de ses propres ailes et Albert Lasry, l’orchestrateur de grand talent, Freddy Lienhart était le type du pianiste accompagnateur.
On parlait très peu de lui, il était rarement dans le champ pendant les émissions de télévision, sa personnalité semblant s’effacer devant celle de Charles Trenet.
Et sans doute, n’ayant pas les ambitions d’un Luypaerts ou d’un Leca pour créer son propre ensemble, serait-il resté simple pianiste jusqu’à la fin de ses jours, s’il n’avait pas eu la chance de trouver Charles Trenet sur son chemin.
Alors, comment était-il devenu le pianiste du Fou-Chantant ?
Ce fut la question qui me brûlait les lèvres et que je lui posai le 15 août 1961, à l’issue du récital de Charles Trenet à Scheveningen, station balnéaire près de La Haye :
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“Par Jo Boyer. Je jouais pour lui et Charles enregistrait des disques avec lui. C’était en 1952. Un jour, je reçois un coup de fil : Charles me demande de venir le voir à La Varenne. J’y vais, je joue quelque chose. Il me dit que c’est bien et qu’il me rappellera. Je n’y croyais absolument pas. Quinze jours se passent. J’avais déjà oublié l’affaire, quand Charles me téléphone. De nouveau, je vais chez lui, à La Varenne. Je joue, il explique, on répète. On travaille tout l’après-midi. A sept heures et demie, je lui dis : «Ecoutez, ça fait une journée entière que je joue... Je rentre chez moi, maintenant.»
Pas question ! Il m’emmène dîner au Fouquet’s et, entre chaque plat, on se met au piano et on répète. Car il devait chanter le soir même ! C’était au Moulin Rouge, pour un gala des concessionnaires Simca.”
- “Et cela a marché?”
“Mais pas du tout ! Pas du tout ! J’étais dans le noir, je ne voyais rien ! Je me perdais dans mes brouillons! Il a chanté quand même quatorze chansons. Et le lendemain, nous voilà partis en tournée, avec un récital !”
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Depuis, Freddy ne le quitterait quasiment plus et le suivrait partout dans ses tournées. En 1969, il tenait le piano d’accompagnement au Théâtre de la Ville à Paris, avec au deuxième piano Claude Trenet, puis en 1971, à l’Olympia avec Roger Pouly et le grand orchestre de Caravelli.
Plus tard, atteint d’arthrite, il dut renoncer au piano et accepter une place à l’Administration.
On l’entend jouer notamment au Cabaret des Ambassadeurs le 17 février 1958 (CD Anthologie II – EMI Music No.854248) et au Japon (même CD).
On le voit aussi sur YouTube et sur DailyMotion dans Douce France et Boum !, enregistrements pour les 40 ans de la télévision hollandaise à Hilversum, le 30 juin 1963.
Pour l’anecdote : dans Joyeux anniversaire Monsieur Trenet le 19 mai 1993 sur France 2, on aperçoit Freddy et sa femme Lola filmés par Charles lui-même avec sa caméra 8 mm.
CHRISTIAN RÉMY (1952 - 1998) fit ses premiers pas au piano d’accompagnement en février 1975, à la séance d’enregistrement de Une dame qui joue là-haut, au studio Clarens à Vincennes.
Natif de la Lorraine, - ses parents habitaient Cutry en Meurthe-et-Moselle - après avoir parcouru le Conservatoire de Nancy, il monta à Paris et devint l’accompagnateur et l’arrangeur de Charles Trenet jusqu’à début 1996.
Comme chef d’orchestre, il l’accompagna aussi dans les enregistrements de disques et fut au pupitre à l’Opéra Bastille en mai 1993 pour les 80 ans du Fou chantant.
ROGER POULY, né en 1942, se produisit très jeune à travers l’Europe dans des concerts classiques. Il devint l’accompagnateur notamment de Bobby Lapointe et de Cora Vaucaire. Il accompagna Charles Trenet pour la première fois en 1971 à l’Olympia (avec Freddy Lienhart au premier piano).
Il fut arrangeur non seulement pour Trenet mais aussi pour Jean-Roger Caussimon. Depuis 1987 il fait des spectacles pour enfants et continue en 2013 à accompagner Marie-Hélène Féry chantant Barbara au Théâtre du Gymnase à Paris.
JACQUES LALUE fut pianiste d’Annie Cordy et accompagna Charles Trenet le 17 mai 1972 à Bobino, à côté de Roger Pouly, dans « Tour de Chant » sur la 1ère chaîne, alors encore sous le monopole d’État.
Il tenait aussi le piano d’accompagnement dans le Grand Échiquier de Jacques Chancel sur Antenne 2, du 30 mars 1978, où Charles Trenet était l’invité vedette ; puis, en septembre 1987, avec Roger Pouly au Gala Mumm au Théâtre des Champs Élysées et, après la disparition de Christian Rémy, aux derniers récitals de Charles Trenet à la salle Pleyel, en novembre 1999.
PIERRE NICOLAS, contrebassiste (1921 – 1990), fut le fidèle accompagnateur de Georges Brassens, avant de rejoindre, en 1972, Charles Trenet et son équipe. Charles avait coutume de dire, en présentant ses musiciens à l’audience :
« … et Pierre Nicolas qui nous a été prêté par Georges Brassens et que nous lui rendrons intact. »
En 1989, la maladie l’obligerait à se retirer prématurément.
Son successeur fut ALPHONSE MASSELIER.
Né en 1925 à Paris, de formation classique, il devint homme de jazz et fut engagé, en 1948, par Boris Vian au Club St Germain des Prés pour jouer avec les plus grands musiciens de jazz américains de l’époque : Charlie Parker, Sammy Davis, Lester Young….
Il fit partie du quintette du Hot Club de France avec Django Reinhardt.
Il convient de mentionner ici aussi PIERRE SPIERS (1917 – 1980). Harpiste et pianiste, il obtint le 1e Prix au Conservatoire. Ce champion de la musique douce, après avoir accompagné celui de la chanson française pendant la durée d’un de ses premiers récitals à Paris, le retrouverait fréquemment à l’occasion d’émissions radio, Sérénade par exemple pour les parfums Bourjois (avec un J comme Joie !) sur Radio Luxembourg, et ferait un seul disque avec lui : Rome.
Il l’accompagna en 1951 en Amérique-du-Sud (CD L’Intégrale Charles Trenet – Volume 6 de Frémeaux : Rendez-vous sur la Tour Eiffel ) et, en 1958, avec son orchestre, à l’Alhambra, avec Freddy Lienhart au piano.
En 1975, il dirigea l’orchestre accompagnant Joséphine Baker dans l’ultime spectacle qu'elle donna à Bobino.
Avec son Electric Mood Orchestra, il grava pour WEA un album Nos jeunes années comportant une douzaine de succès de Charles Trenet.
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