Thread: A LA MEMOIRE DE JACQUES CHANCEL

Duncker - 22/12/2015 à 12:38

qui nous a quittés le 23 décembre 2014

Un extrait de “Le Psychiatroscope » du docteur Amoroso :

Jacques Chancel, c’est la très grande classe de journaliste, je l’ai connu lorsqu’il exerçait son industrie à « Paris-Jour », c’est l’affabilité, la courtoisie, je crois même teintée d’une certaine bonté. Il est courtois, je l’ai dit, mais également poli, et comme dirait Alain, « il salue tout, même les chaises ». A-t-il, comme il veut bien le montrer, cette bonté qui serait comme un attendrissement universel pour tout ce qui vit (Schopenhauer) ? pratique-t-il l’altruisme : « cet art de se servir des autres en ayant l’air de les aimer… »(Dubreuil) ? je crois qu’à bien l’observer, le personnage habile, plein d’opportunité dans ses interventions (je n’ai pas dit d’opportunisme) a réalisé au plan professionnel une destinée justifiée largement par ses mérites. Hélas, trois fois hélas, j’ai suivi sa progression depuis une dizaine d’années, et même depuis Nice, muni d’une longue lunette astronomique, j’ai définitivement perdu de vue cet astéroïde déjà flamboyant de « Paris-Jour » » venu définitivement s’inscrire sur le firmament stellaire de la courbe présidentielle. A ce jour, je n’hésite pas à le dire, même s’il demeure le personnage probe et lucide que j’ai connu, le nostalgique pyrénéen, et cela n’est pas pour me déplaire car j’aime les gens du terroir. Chancel est définitivement accablé par une nouvelle maladie neuropsychiatrique que j’appellerai le syndrome amnésique antérograde à point de départ giscardien. Je m’explique. Comme d’autres, qui eurent affaire au numéro un de notre pays (et je pense à l’excellent Michel Droit qui a su, après la mort du Général, retrouver les pieds sur terre) Jacques Chancel a beaucoup changé avec son entourage. Lorsque je parle d’amnésie antérograde, je veux dire par là qu’il a totalement oublié tout ce qui s’était passé avant les interviews que le Président de la République lui a accordées, aveuglé par la sympathie et la puissance qui ont découlé de ces rencontres. J’ai le privilège, par mon métier, de voir beaucoup de monde, et tous ont été frappés par ces modifications comportementales, ces fameux « voulez-vous me rappeler votre nom, cher ami » ou bien « je crois bien vous avoir vu quelque part », ou bien « téléphonez-moi quand vous voulez… » etc. ; j’ai rassuré tous ces petits copains, et ils sont nombreux, versés définitivement dans l’oubli chancelien : l’irruption de notre Président a été fatale, elle a provoqué au niveau du néo-cortex de notre grand maître échiquier des modifications neuronales, localisées, s’accompagnant probablement de lésions irréversibles, c’est-à-dire pour parler plus simplement frappées d’incurabilité. Ce syndrome est rarissime dans la pathologie médicale, il est donc impossible d’en prévoir et la gravité et le pronostic ainsi que son accessibilité aux thérapeutiques modernes. On ne peut tout de même pas souhaiter la mort de M. le Président de la République pour voir M. Jacques Chancel recouvrer l’intégralité de ses fonctions amnésiques. Je puis en tout cas ass urer dans mon propos que l’impact de cette interview a été unilatéral ainsi que les troubles qui l’ont suivie, car je ne sais pas, à ma connaissance que le comportement de M. le Président de la République ait beaucoup changé depuis sa rencontre avec Jacques Chancel, je pense d’ailleurs que son extraordinaire harmonie intellectuelle, ainsi que son équilibre naturel, le mettent à l’abri de ces égarements. Je ne soulignerai pas que le confort et le réconfort de sa position le rendent beaucoup moins vulnérable à l’éclosion du syndrome sus-cité.
Le deuxième élément clinique que je vais citer découle-t-il du premier ? la chose n’est pas impossible ; des esprits malins m’ont ass uré que Jacques Chancel serait également accablé – le mot n’est pas trop fort - d’une affection nouvelle surajoutée. Il s’agirait d’un syndrome hallucinosique matinal, lui aussi à point de départ giscardien ; je m’explique : dès son réveil, comme tout un chacun, Jacques Chancel se livre à ses ablutions quotidiennes et, comme tous les hommes, doit subir le douloureux calvaire du rasage. Il utilise pour cela un sabre, autant dire un rasoir à main. Et là est le drame, littéralement imprégné par l’image du vis-à-vis présidentiel, dont il n’a pu se défaire, il superpose à sa propre image que lui renvoie le miroir celle de notre Président, la ressemblance étant loin d’exister trait pour trait, la superposition se faisant mal, il en résulte des coupures successives qui l’ont contraint peu à peu à délaisser le sabre pour le rasoir électrique. On se rend compte par ces détails que la situation est beaucoup moins grave que pour le syndrome précédent. Malgré ce, ces hallucinoses matinales le gênent, même si elles peuvent être encore réduites par une manutention grandement simplifiée, sans conséquence pour la vie de l’intéressé. Dernier détail morphologique et esthétique, Jacques Chancel subit comme nous tous la perte progressive de son capital capillaire et, sur ce terrain, notre Président l’avait depuis longtemps dépassé. Nous avons tous donc constaté au dernier « Grand Echiquier » que Jacques Chancel ramène soigneusement sa faible réserve capillaire du côté gauche vers le côté droit, mais je crois que c’est très opportunément et en toute inconscience que Jacques Chancel va ainsi de la gauche vers la droite, ce détail tenant à la génétique et non à de basses réalités démagogiques.
L’homme redescendra-t-il sur la terre ? C’est douteux ; il a tellement perdu le fil avec ses semblables que même celui du téléphone est devenu inexistant et que les P.T.T. eux-mêmes ne peuvent plus le joindre. Chancel définitivement isolé ? A peine accessible aux ultra-sons présidentielles ? Amnésique à éclipses et à de certains moments ? J’ai dit tout à l’heure, après Alain, qu’il saluait tout, même les chaises ; c’est bien vrai qu’il crispe des millions de gens lorsqu’il appelle familièrement « comment allez-vous mon petit Gyorgy, vous sentez-vous bien, mon petit Yehudi… ». Je ne crois pas que cette politesse ass ez excessive soit en l’occurrence une indifférence organisée, elle s’inscrit plus simplement dans la génétique d’un personnage anti-bouvardien, même s’il est l’ami de notre pamphétaire numéro un. Les extrêmes se touchent. Au-delà de ces détails de mimiques, je reprends la pensée d’Alain et je ne crois pas qu’il soit un dos courbé, sa politesse étant une gymnastique contre les passions dans une société dite polie. La vraie politesse est une joie contagieuse… la réussite de ses émissions et mieux que cela, la pérennité dans le succès, compensent largement son amnésie antérograde à point de départ giscardien.
Qu’il soit définitivement rassuré, ce dernier type d’affection régressé avec le quatrième âge, lorsque les désordres organiques se mêlent de se substituer, et ce de façon irréversible, au désordre fonctionnel.
Le très grand équilibre intellectuel de Jacques Chancel, la rigueur de sa vie privée, disons-le aussi son instinct de conservation particulièrement préservé, semblent le mettre à l’abri de cette fameuse sénescence biologique, lot fatal des grands vieillards et incident hypothétique de quelques pré-vieillards, ceux précisément parmi lesquels on n’est pas près de rencontrer Jacques Chancel. « L’amnésie fonctionnelle » que j’ai évoquée passera, sinon avec le Président, tout au moins avec le temps. Je le vois très bien dans sa retraite pyrénéenne qui semble lui être très chère, évoquer ses « jeunes années » sur un rythme de Charles Trenet, car la nostalgie et, partant, la sensibilité ne sont pas étrangères à ce personnage, beaucoup plus mystérieux qu’il ne veut bien le laisser croire et finalement bien sympathique malgré quelques oublis.


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