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par Marc Andry
Extrait de : RADIO 50 No. 296 du 24 juin 1950.Arrivé la veille de New York, Charles Trenet a voulu donner son premier récital à La Varenne, sa petite patrie adoptive. Avant de retrouver le public parisien au Palais de Chaillot, il a tenu d’abord à chanter pour tous ces braves gens de La Varenne et de Nogent…
Et ils se sont rués, frénétiques, vers le cinéma « Le Dôme » , où, derrière le rideau, « leur » Charles Trenet attendait qu’ils s’asseyent sagement. Le programme ne coûtait que vingt francs et le port de la cravate n’était pas obligatoire.
Charles Trenet n’avait pas osé faire comme la plupart. Il portait un ravissant nœud papillon bleu et blanc, qui allait bien avec son costume de gabardine bleu pétrole.
Quand il apparut sur la scène, on commença d’abord par l’applaudir pendant cinq bonnes minutes pour lui prouver combien on était heureux de le revoir après deux ans et demi d’absence. Lui aussi, était ému.
- Mes chers amis de La Varenne, j’ai tenu à donner pour vous mon premier concert en France.
Et il s’est mis à bavarder familièrement.
Et puis, il a chanté.
Ohé Paris d’abord, histoire de lancer un clin d’œil malicieux et amical aux Parisiens qui étaient dans la salle. Les gens de La Varenne n’ont pas eu l’air trop jaloux…
Pour ne pas froisser plus longtemps leur susceptibilité, il n’a pas tardé à annoncer Revoir Paris, où il parle d’eux avec tendresse. De sa petite maison de banlieue et de sa mère aussi.
Elle était au premier rang de balcon, maman Trenet, avec toute la famille : des cousins venus de Narbonne. Simple, effacée. Un peu orgueilleuse tout de même : « N’est-ce pas qu’il est beau, mon grand. Tenez, écoutez cette nouvelle chanson… »
Car les nouvelles chansons, elle les connaît déjà. D’Amérique, Charles lui en avait envoyé les paroles. Elle les savait déjà par cœur, avant qu’il ne surgisse hier. Mais, quand même, quelles émotions : cette arrivée par avion, tous ces journalistes à la maison, et puis ce soir, ce concert. Quand on est resté pendant des semaines sans sortir, c’est trop.
Sur la scène, Charles Trenet évoque le présent des souvenirs du Canada. Et il les illustre par Dans les rues de Québec, puis par Le Voyage au Canada.
Nous irons à Toronto
En auto,
Nous irons à Montréal
A cheval…
- Vous voyez, comme c’est fin, dit-il, mais, voulez-vous reprendre en chœur avec moi ?
Le public ne demande pas mieux. Les jeunes filles en sont roses de plaisir. Un vieux monsieur, dur d’oreille, et qui n’a pas compris, hurle : « En vélo… », mais ça n’a pas d’importance.
Après cette note bouffonne, Charles Trenet retrouve son air de grand collégien sentimental. Il lève un peu la tête. Il serre son chapeau gris dans sa main droite et il parle de Marie, un amour de ses vingt ans.
- A cette époque-là j’habitais à Paris. Et j’y passais mes vacances aussi. C’est là que j’ai connu Marie. Elle était blonde et frêle, avec des yeux bleus. A présent, elle est mariée et elle a dix enfants. Ils ne sont pas de moi, mais ils sont beaux. Le dernier s’appelle Charles et cela me fait plaisir…
Cette fois, le public conquis a retrouvé vraiment Charles Trenet. Les chansons nouvelles, ça vous déroute un peu. C’est à force de les répéter le dimanche, en canotant, qu’on les aime. Alors, quand Charles Trenet reprend les anciennes, là, on lui fait un malheur. De La Polka du roi (la ravissante) à Formidable (l’explosive), elles vont toutes s’envoler de lui, ces chansons.
- Je la survolais hier en pensant à vous.
C’est La Mer, bien sûr !
C’est après Le Débit de lait (l’ironique), Que reste-t-il de nos amours ? (la sentimentale), J’ai ta main (la poétique).
Après plus de deux heures, le public trépigne, tape des pieds. C’est un roulement de tonnerre dans le petit cinéma de quartier. Un tremblement de terre. Une frénésie de joie. Et l’on crie des titres. On hurle si fort qu’il ne comprend pas, lui, sur la scène. Il semble un peu perdu. Il voudrait tant leur faire plaisir à tous.
Y’a d’la joie.
Près de moi, Johnny Hess est un brin mélancolique. Dame ! c’est l’une des premières chansons de Charles, peu de temps après que Charles et Johnny se sont quittés pour suivre chacun, seul, leur route. Leurs jeunes années… Et, tout à l’heure, quand nous irons ensemble dans la petite loge un peu délabrée (on n’est pas à New York ici, et c’est beaucoup mieux), ils se serreront la main comme deux vieux copains qui se retrouvent et qui s’aiment bien.
Crédit photos : André Gardé |
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