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par Gaston Careau
A la retraite, Monsieur Gaston s'étant mis à l'Internet, nous fait profiter de sa science dans la préparation des truites et du pain-maison.. Il n'est pas avare en coups de gueule non plus, Monsieur Gaston ! Serait-il un tantinet grincheux ? Dans son ouvrage "Souvenirs et divagations de Monsieur Gaston", il nous transporte au début des années '50, dans une petite bourgade québécoise, au bord du Lac Saint-Jean où Charles Trenet donne un concert. Avec l'aimable autorisation de l'auteur, voici cette anecdote pittoresquement narrée ...
J'ai déjà rencontré Charles Trenet en chair et en os. Je n'avais à l'époque que vingt ans. J'étais très impressionné d'aller l'entendre en concert. Je n'étais pas encore blasé des vedettes locales, nationales et internationales que j'allais rencontrer plus tard, au cours de ma carrière, comme représentant, directeur de la promotion et finalement directeur des ventes pour les compagnies de disques pour lesquelles j'ai travaillé.
"Dolbeau, Lac St-Jean."
J'étais alors représentant pour une compagnie de cigarettes, la "Rock City Tobacco". J'y faisais mes premières armes comme vendeur.
Le soir venu, à Dolbeau, c'était la mort dans la ville. "On roulait les trottoirs pour la nuit", comme l'on disait. Personne sur la rue, à peine un ou deux restaurants ouverts, pour y prendre un café avant d'aller se coucher.
Je logeais alors à l'Hôtel Manoir, qui était tenu par Jos Dufour. Il mesurait cinq pieds et trois pouces, était gras comme un boudin, jovial, toujours le sourire aux lèvres et la repartie facile. Il ne se gênait pas pour servir du vin et de la bière "sous la table," car il n'avait pas de permis de vente de boissons alcoolisées. C'était aussi l'endroit idéal pour manger du "steak des bois", comme il disait, sa façon à lui de désigner la viande d'orignal. Son congélateur en était toujours rempli. Je crois que c'était sous l'oeil bienveillant des policiers de la police provinciale et des garde-chasses, qui de temps en temps se permettaient de venir en déguster un repas à son hôtel.
Monsieur Trenet lui, couchait à l'Hôtel de la Compagnie de Papier, hôtel de luxe, qui hébergeait des employés de passage, surtout des membres de la direction, mais, était aussi ouvert au public. Un endroit chic.
Trenet donnait ce soir-là un spectacle au théâtre local. La salle était bondée. Des dignitaires de la ville, des commerçants, et des gens qui étaient venus de plusieurs villages à la ronde pour rencontrer leur idole.
Le spectacle, qui débute avec quelques minutes de retard, se déroule sans anicroche. Trenet interprète ses plus grands succès, c'est le délire. Vient "l'intermission". Je me rends à l'arrière du théâtre, où l'on vend du chocolat, du mais soufflé, et des liqueurs douces.
Et qui arrive au comptoir?
Monsieur Trenet en personne.
Il commande un Coca-Cola, qu'on lui présente dans sa bouteille d'origine et là, il s'écrie avec son accent méditerranéen: :«Mais qu'est ce que c'est ça ? On ne peut pas avoir de verre ici ? Mais les gens d'ici, ce sont des sauvages. On ne boit pas à la bouteille comme ça. Allez me chercher un verre !»
Il n'y avait pas que des dignitaires à ce concert.
Il y avait aussi des bûcherons, et de vrais sauvages comme il disait, des Indiens de la réserve de Mistassini, qui eux aussi étaient venus assister au concert. Un des bûcherons, bâti comme une armoire, le prends par le devant de sa veste, le soulève de terre :
«On va te montrer si on est des sauvages "icite", maudit Français. Tu ne viendras pas nous montrer comment vivre chez nous.»
C'est un Charles Trenet, à moitié mort de peur, que ses gardes du corps ont récupéré, afin qu'il puisse terminer la deuxième partie de son spectacle, après s'être excusé. Je crains qu'il n'y ait plus jamais eu le même enthousiasme à Dolbeau, lors de ses spectacles subséquents.
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