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par Dominic Daussaint
Pas très jojo, le "Fou Chantant" lorsqu'il évoque l'attente de Noël pour
"... les petits garçons
Qui brûlent d'impatience
Deux jours avant Noël
Et, sans aucune méfiance,
Acceptent tout, pêle-mêle :
La vie,la mort, les squares
Et les trains électriques,
Les larmes dans les gares,
Guignol et les coups de triques,
Les becs d'acétylène
Aux enfants assistés
Et le sourire d'Hélène
Par un beau soir d'été."
("La folle complainte")
Comme on est bien loin des nunucheries petit-papanoëlesques et sucrées de l'ineffable Tino Rossi ! Étrange de trouver des vers si sombres et si graves sous la plume d'un auteur communément catalogué sous l'étiquette "joie de vivre et fantaisie". Mais ce serait mal connaître Trenet : cet homme cultivait autant les paradoxes que les rimes riches et, répugnait de surcroît à "surfer" sur la vague de la mode. "Être à la mode c'est déjà être démodé", écrivait d'ailleurs son copain Cocteau.
Dès lors, ne soyons pas surpris d'entendre le poète de Narbonne aborder le thème de Noël, sans recourir à l'attirail traditionnel des guirlandes, bougies et autres "Jingle-Bêleries". Cependant, puisque même lorsque l'insaisissable Charles évoque le suicide, les tragédies humaines prennent des faux airs guillerets "("Je chante" et "Miss Emily"), Noël ne peut être abordé chez lui de façon convenue…
Dans un opus assez peu connu, ("Le Noël des enfants noirs"), ne voilà-t-il pas que Trenet, pourtant fort peu enclin à s'engager dans de grandes causes (du moins sous le feux des opérations médiatiques), dénonce à sa manière un certain esprit missionnaire et l'injustice de l'écart des richesses entre le nord et le sud. Et cela à une époque (1956) où ce discours n'étaient pas encore sur toutes les lèvres militantes.
Autre surprise, cette "Plus belle nuit" que Charles enregistra en 1961 ! Dans la lignée d'un "Minuit Chrétien", il nous propose une œuvre tout à fait atypique, empreinte d'une surprenante religiosité. Baignée dans une atmosphère très "messe de minuit", la chanson, soutenue par des chœurs, proclame la naissance d'un Jésus, "ouvrier du Seigneur parmi les ouvriers", et qui apporte la Lumière au monde. Charles Trenet était issu d'une bourgeoisie aisée et provinciale, et sa jeunesse fut baignée par le catholicisme ambiant. Outre de bien pénibles souvenirs grisâtres, les écoles chrétiennes laissèrent certainement bien d'autres traces indélébiles. Pourtant, s'il est tout à fait concevable que le poète avait la foi en un être supérieur, un grand ordonnateur, à aucun moment de sa vie, il ne se montra chrétien "militant". Son attachement à l'œuvre de l'Abbé Pierre et l'aide qu'il lui apporta, toujours avec grande discrétion, sont bien connus mais son indifférence, voire son opposition au clergé et à l'obscurantisme l'est plus encore. Ne lui avait-on pas interdit l'accès à Notre-Dame lorsqu'il voulût y chanter ? Un épisode qui marqua tellement l'artiste qu'il en fit une chanson… Une chanson que nous découvrirons sans doute sur l'album à venir.
L'Evêque auxiliaire de Paris était si peu dupe du manque de ferveur chrétienne du chanteur qui venait de décéder qu'il lui écrivit une "homélie" sans ambage, à l'occasion de ses funérailles. De surcroît, cette homélie suivait la parabole du retour du fils prodigue ! Alors, la question reste ouverte : pourquoi cette "Plus belle nuit", ce cantique aux accents de chapelle ? En fait, Trenet ne se serait-il pas bien amusé en écrivant, non sans ironie, cette œuvre d'un lyrisme digne du "Divin Enfant" ? Il en aurait tout à fait été capable : ne l'avait-il pas fait en '43, lorsqu'il composa cette "parodique" "Maman bouquet" dans la plus pure lignée des chansons mélo et qu'il donna à une chanteuse à voix de l'époque (Renée Lamy) ?
Sur le thème de Noël, le répertoire de grand Charles propose une troisième œuvre : "Chanson pour Noël" , un titre sans ambiguïté cette fois. De fait, nous y retrouvons un Trenet fantaisiste et sautillant qui fait sauter et danser les bergers et où le petit Jésus est accueilli par des bestiaux qui "lui disent bonjour, bravo !" Ici, beaucoup moins que la religion, le poète expose des thèmes récurrents, chers à son cœur : la nostalgie (des Noëls d'antan), les cloches, les oiseaux et la joie ! Sans nul doute, parmi ce bref tour d'horizon, cette chanson sera mon "maître choix" pour ce Noël.
Bonnes fêtes de fin d'année à tous !
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