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RÉCITAL À L’OLYMPIA - du 9 avril au 7 mai 1975
par Elisabeth Duncker
« MES ADIEUX AU MUSIC-HALL ME PRENDRONT 3 ANS »
Ses adieux à la scène, oui, parlons-en.
Déjà en 1972 il avait dit à Jacques Chancel dans un «Grand Echiquier» :
“Je ne dirai jamais adieu. D’ailleurs, je pense que ce n’est pas à l’artiste de dire adieu ; c’est le public qui dit adieu à l’artiste”.
A la question de Jacqueline Cartier de « France-Soir », en mars 1975: “Entre nous, Charles, ce seront de vrais adieux ?”, il répondit, catégorique: “Absolument. Mais le temps de les faire partout où je suis passé, cela me prendra bien trois ans !”
Et, à la veille de sa rentrée à l’Olympia, il déclara à Jacques Ourévitch d’Europe 1 : “Très franchement je me retire de la scène de Paris (puisque Paris est sur Seine) et je ne pense pas avoir l’occasion d’y revenir. Au mois de mai je vais avoir soixante-deux ans. Si je reviens dans quatre ans, songez à l’âge que j’aurai! Je n’aurai peut-être pas le souffle pour chanter les chansons que j’aime chanter maintenant. Alors je pense qu’il vaut mieux terminer en forme.”
- Et si, dans quelques années, vous avez encore le souffle?
“Je ne crois pas tellement au succès d’estime. Moi je veux le gagner, ce succès. Je veux que ça se passe bien et que les gens me jugent par ce que je fais et non pas par ce que j’ai fait.”
Enfin, le 24 juin 1975, lorsqu’il se produisit au Royal Albert Hall à Londres, on pouvait lire dans le «Daily Telegraph» : Truly adieu... Charles Trenet has arrived on a farewell tour. «It will last three years, because the world is still a big place, but will, unlike Sinatra’s, really be adieux.»
Mais chacun sait que ce serait un faux départ. “Charles n’arrêtera jamais,” m’avait affirmé Freddy Lienhart aussi un jour. Il ne croyait pas si bien dire !
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SES ADIEUX, IL LES COMMENCE LE 9 AVRIL À L’OLYMPIA, en avant-première pour les lecteurs de France-Soir. Jacqueline Cartier a vécu la préparation de cet événement.
(France-Soir daté 28 mars – 2 avril 1975)
Nous sommes dans le bureau de l’éditeur, maintenant disparu, Raoul Breton, orné d’unepeinture de Trenet, là où il a toujours aimé répéter. Pour sa rentrée à l’Olympia, la Marquise l’a installé dans le bureau des petits formats, étrange bibliothèque qui aligne des dossiers pleins des quelque cinq cents chansons de Trenet éditées, ne représentant qu’une partie de sa production, car il y en a cent ou deux cents inédites, restées griffonnées, ici ou là, n’importe où, au dos d’une facture, ou sur un coin de nappe en papier.
Il pleut dehors et il fait soleil dans la chambre aux petits formats où il y a tout juste la place pour les deux pianos, les deux pianistes, Rémy et Pouly.
Je le regarde sans complaisance, car la lumière entre à ce moment à flots . Certes, il a quelques rides au coin des yeux, celles qu’on appelle d’expression et qu’on voit parce qu’il sourit tout le temps.
Aujourd’hui, il a répété son tour en entier, les chansons inédites, récentes, anciennes. Il m’explique que derrière ses deux pianistes il y aura cinq musiciens, à la percussion, à la batterie, à la basse.
« Y a d’la joie ? Bon, oui… Je la chanterai si vous y tenez. Mais alors, en bis. S’il y en a. »
Pour la énième fois il refait son programme : dix-huit chansons en première partie et seize en seconde : « Il y aura un peu de tout. Je commencerai avec un cru 1972 :
J’aimerais bien échanger
Un samedi soir usagé
Contre un dimanche matin
Plein d’entrain.
Elle fait partie de la douzaine que je n’ai jamais chantée à Paris. Vous ne la connaissez pas ? « Les pelouses vertes », vous ne la connaissez pas non plus. Elle est inédite et en alexandrins. »
Rémy et Pouly attaquent et Charles détaille :
J’ai retrouvé l’odeur des pelouses sportives
Où tombe la sueur des athlètes complets.
Il enchaîne avec une autre qui joue au contraire avec trois ou quatre syllabes et qui parle de la dame qui joue là-haut et fait des gammes sur son piano. C’est l’agilité et la diversité de sa versification qui a toujours ravi.
Il se met au piano. Il chantonne :
Ce soir je viens dîner chez vous…
Il est 19h45. La sept centième mélodie de Charles Trenet est née.
- Avant ses « adieux », le fantaisiste de la chanson dialogue avec le maître surréaliste
TRENET–DALI : EN TOUTE FOLIE « SUR LE FIL »
Par Paul Carrière – (« Le Figaro » du 8 avril 1975)
Avant son retour sur la scène de l’Olympia, nous avons établi le dialogue entre le Fou chantant et le surréaliste de la peinture, deux personnages et deux « pays ».
De vieux amis : deux Catalans, l’un de Figueras, l’autre de Narbonne, tous deux fils de notaire, tous deux adeptes du pinceau.
Bref, à l’heure où le compositeur de La mer s’apprête à prendre ses distances avec la scène pour mieux se consacrer au chevalet de sa jeunesse et à la poésie pure qu’appréciaient Max Jacob et Paul Fort, une rencontre-interview s’imposait…
Salvador Dali étant retenu à New York, elle aura lieu sur le fil. Aux Editions Raoul Breton, où Charles Trenet répète. Nous voilà donc rue Rossini, un fameux temple de la chanson. La charmante Mme Breton, plus connue sous le surnom de « la Marquise » , nous prête ses appareils. Dali est tout de suite au bout du fil. Les deux artistes ont une vieille habitude des conversations transocéaniques.
Trenet – Allo, le Divin ? Ici, le Fabuleux ! Je pensais vous voir à Paris. On me met devant un téléphone. Que faites-vous ? Toujours de la peinture ?
Dali – Je fais du Dali. N’est-ce pas suffisant ?
Trenet – Je pense que la peinture qui se passe de la parole, sauf quand vous voulez bien en parler, est plus internationale que la chanson…
Dali – La peinture est un film muet que tout le monde peut voir et surtout entendre. Les couleurs sont des mots et même des phrases. Un simple rouge est une tragédie – à plus forte raison s’il s’agit du rouge Dali dans toute sa magnificence faite de splendides flammes infernales mêlées au sang du soleil qui incendie la gare de Perpignan.
Trenet – Moi, je suis surtout un faiseur de chansons, et j’ai constaté que les chansons passent bien les frontières, grâce à leur musique.
Dali - La chanson n’est pas de la musique pure et elle peut donc être éloquente, comme l’opéra normal. Voilà pourquoi je suis en train d’apprendre l’harmonie pour composer un opéra ou plutôt pour transformer une tragédie en opéra normal.
« Du pays de la tramontane »
Trenet – M’y ferez-vous chanter ?
Dali – Sans doute, si Dali n’accepte pas d’y tenir tous les rôles. Nous en reparlerons à Paris avec lui.
Trenet – Quand rentrez-vous ?
Dali – Dans deux semaines. J’irai sûrement vous voir à l’Olympia. En attendant, n’oubliez pas de saluer de ma part Monsieur Coquetriste. Et surtout, souvenez-vous que, pour des gens comme nous, qui sommes tous les deux du pays jésuitique de la tramontane, le problème primordial est de faire cocu le public afin qu’il soit persuadé que nous avons du génie, même si ce n’est pas apparent tous les jours.
Nous reprenons le téléphone et demandons au Divin :
« Allo maître, il nous faut encore savoir ce que vous pensez de Trenet. »
- Ce que j’aime chez Trenet, c’est son excès de vitalité. Une vitalité de grande actualité à l’occasion des fêtes de Pâques. Ici, à New York, on remplit les vitrines de Bugs Bunny. Chaque fois que je vois un de ces lapins aux oreilles dressées et aux dents qui brillent, je pense à mon ami Charles. Dites-le lui tout de suite, s’il n’est pas déjà parti pour me rejoindre en laissant tomber son récital à l’Olympia, une chose moins importante, tout de même, que l’épanouissement d’un Bugs Bunny.
Trenet était déjà parti, effectivement, mais pas loin. Il avait rejoint ses musiciens dans la pièce voisine où trône son piano, un mini-droit peint en bleu, tout rayé mais sonnant juste. Très en forme, Charles s’est mis à chanter, allant et venant, dansant presque dans le petit studio où le pianiste égrène des airs qui nous sont chers comme L’oiseau des vacances, Le grand café ou La folle complainte, ou Le piano de la plage… Et d’autres, tout neufs, comme Une dame qui joue là-haut. Et voici que la porte s’ouvre et que surgit un garçon blond et un peu rond. En guise de présentation, Trenet s’exclame :
- Tiens voilà le gros Bill… qui revient de son village natal…
Quelqu’un remarque : « C’est un départ de chanson. »
- Mais oui, dit Trenet et il bouscule son pianiste, s’assied à sa place, fait deux ou trois accords sur : « Tiens, voilà le gros Bill… » et deux ou trois arpèges.
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Des refrains qui ne prennent pas d’âge
La mélodie est née. Il place ses mots dessus. Il continue à chanter : « Dans une automobile… » Les phrases s’enchaînent, la mélodie se déroule naturellement : « Tiens, voilà le gros Bill qui revient en fête… Fortune faite… à la ville ». L’air est vif, allègre et bien rythmé. C’est un couplet. Nous sommes tous en fièvre. Le vrai gros Bill ouvre de gros yeux. Charles écrit son texte et il enchaîne tout de suite sur le deuxième couplet.
Assez content de son improvisation, il la fait répéter à son pianiste et il nous l’interprète une deuxième fois, puis une troisième en changeant le ton à chaque coup. Cela fait tout un morceau, divers et suffisant. Mais le vrai gros Bill n’est pas content. Puisqu’il a inspiré la chanson, il veut qu’elle continue et que l’auteur parle un peu de son village natal, quelque part dans la Meuse. Trenet, lui, heureux d’avoir fini, l’envoie promener. Car la chanson s’arrête là, aux deux couplets sur trois tons. La Marquise approuve…
Cette chanson vous l’entendrez à l’Olympia telle que je l’ai entendue naître. Et telle qu’elle aurait pu naître il y a vingt ou trente ans, car le grand art de l’auteur c’est précisément de faire des chansons qui ne prennent pas d’âge.
Ne changez-vous pas, suivant la mode, les tempos de vos anciens morceaux ?
- Jamais. Je cherche toujours à mettre l’accent tonique sur la syncope. « Il y avait des arbres » est un modèle du genre. Ce n’est pas facile avec la langue française, mais c’est très possible. Je le prouve. Si les auteurs-compositeurs s’efforçaient de la même façon, nous serions moins envahis par la chanson étrangère.
- Comment travaillez-vous d’habitude ?
- Comme aujourd’hui. Sur une impression, une sensation. Le texte démarre avec la musique. Quand je trouve une musique sans paroles, elle risque de rester en panne très longtemps.
Ce qu’il ne nous dit pas, mais que nous savons bien : il est un harmoniste aussi exigeant qu’il peut être un mélodiste raffiné. Ses colères homériques, il les prend quand on lui attribue une harmonie qu’il n’a pas voulue. Son invention reste incroyable. Jeune Trenet. Heureux Trenet…
- CHARLES TRENET : ADIEU AU MUSIC-HALL, BONJOUR À LA LIBERTÉ !
Par Pierre Julien (« L’Aurore » du 5 avril 1975)
« Tiens ! voilà le gros Bill qui revient dans son village natal et dans une automobile… »
C’est la sixième fois que Charles Trenet reprend la dernière-née de ses chansons, avec ses musiciens.
Vêtu de Prince de Galles clair, chemise à gros carreaux discrets, cravate tricolore bordeaux, bleu (l’œil), blond (les cheveux) et rose (le teint), tel qu’en lui-même, Charles Trenet s’interrompt à chaque instant. « Non, là, il faut que ça fasse vieux style, » lance-t-il à son pianiste Roger Pouly qui est également le chef d’orchestre. « Reprenons « Tiens voilà le gros Bill « – oui, c’est beaucoup mieux… « qui revient dans son village natal »… Alors, là, mes enfants, allez-y, il faut un petit clin d’œil cocasse… Allons-y. « Tiens voilà le gros Bill… »
Cela fait trois heures que Charles Trenet répète, remet sur le métier, va d’un musicien à l’autre, rectifie un temps. Rien ne lui échappe, pas une remarque qui ne soit justifiée. Les musiciens épuisés ne peuvent que s’incliner devant son irréfutable professionnalisme. Avec lui, le ras-le-bol n’a pas cours : il sait le métier de tous mieux que chacun.
Sept chansons ont défilé depuis que je l’attends dans l’ombre de la salle : La famille musicienne, La tarentelle de Caruso, Fidèle, Ne cherchez pas dans les pianos, Que reste-t-il de nos amours…, et pour chasser la mélancolie, le tout nouveau Gros Bill.
La voix est la même, immuable, puissante, claire et ensoleillée, le geste précis, la prunelle étincelante, le bonheur de chanter ; seule la silhouette accuse, mais avec légèreté, le goût de la cuisine catalane. Le Charles Trenet de 62 ans (aux prochaines cerises) ressemble à celui de toujours.
En trois enjambées il est près de moi. La forme, quoi !
- La marche à pied, un peu de culture physique et, l’été, de la natation. A part ça aucun régime…
Il m’entraîne à l’écart d’un filet de fumée qui provient de la première cigarette que grille le guitariste depuis le début de la répétition :
- Quand on a la gorge en feu, il faut faire très attention au tabac, dit-il, c’est là qu’arrivent les catastrophes. Il faut savoir tous ces trucs.
- Ces adieux, lui dis-je, qu’en est-il au juste ? C’est une blague ? Vous n’allez tout de même pas quitter la scène comme ça alors que vous êtes mieux que jamais !
- Mais si, mais si, c’est décidé, et c’est précisément parce que je suis dans cet état que je m’arrête : je veux laisser un bon souvenir au public et ne pas avoir l’air de m’accrocher. Il faut savoir s’effacer et laisser la place aux jeunes. Bien sûr je continuerai à chanter, mais pour la télévision, pour des soirées exceptionnelles, j’enregistrerai de nouveaux disques, je composerai, mais ce que je ne ferai plus c’est précisément ce que je vais faire ici pendant quatre semaines : chanter quarante chansons tous les soirs. Je suis pour la retraite à soixante ans et comme vous voyez, je déborde légèrement. La chanson c’est un sport et les sportifs eux s’arrêtent bien plus tôt. Je détesterai laisser l’image d’un « has been ».
Que ces adieux à la scène soient ressentis par ses milliers, ses millions pourrait-on dire d’admirateurs, rien de plus normal et cela le touche infiniment :
- Mais, dit-il, je suis mordu pour la chanson à 80% seulement. Il y a tout le reste. Jusqu’ici j’ai vécu uniquement pour le public ; j’ai rêvé ma vie, maintenant je veux vivre mon rêve, vivre tout simplement. Et puis, je ne veux pas mourir idiot. Tout ce que je sais, je l’ai appris entre 16 et 19 ans, les livres que j’ai lus, c’est à ce moment que je les ai lus. Depuis je n’ai rien pu faire d’autre que chanter ou composer. Maintenant je vais pouvoir reprendre Rousseau, essayer de relire Proust, ne serait-ce que pour vérifier si ça m’ennuie autant qu’avant, car j’ai le courage de le dire, « La recherche du temps perdu » m’a toujours assommé. Je suis comme un potache qui vient de passer son bachot et qui du jour au lendemain quitte sa famille pour se lancer à la conquête d’autre chose. Ma famille, c’est le music-hall, la chanson ; j’aspire maintenant à la liberté. J’ai dix-sept ans à partir de demain.
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JEUDI 10 AVRIL 1975 À 21H.15 À L’OLYMPIA
Extrêmement bien dosé, le récital comportait quarante chansons pour cette Première, dont, en guise d’aide-mémoire, les titres étaient inscrits sur un grand panneau posé à ses pieds devant lui et en plus, comme d’habitude, pour chaque chanson, l’on préludait au piano les premières mesures : Samedi soir usagé, Y a un grillon dans la maison, Le mécène, Au bal de la nuit, L’oiseau des vacances, Les chiens-loups, Le revenant, Kangourou, Rachel dans ta maison, Que reste-t-il de nos amours, Le gros Bill, Il y avait des arbres, La famille musicienne, La tarentelle de Caruso, Mamzelle Clio, Fidèle, Joue-moi de l’électrophone, - Entracte - Ne cherchez pas dans les pianos, Les oiseaux me donnent envie de chanter, La dame au piano, De la fenêtre d’en haut, Une noix, La java du diable, Où sont-ils donc, La folle complainte, Le grand café, Qu’est devenue la Madelon, Le jardin extraordinaire, Le serpent python, A la porte du garage, Le soleil et la lune, La route enchantée, La polka du roi, La mer, Y a d’la joie, Je chante, L’âme des poètes, Douce France, La romance de Paris, La vie qui va...
Plus tard, au fil des jours, il serait légèrement modifié: des quarante chansons de la Première, trente-six resteraient, Douce France et La vie qui va ayant été supprimées, et la chanson finale était devenue Je chante ou quelquefois La romance de Paris.
L’accompagnement en petite formation: accordéon, batterie, guitare, avec à la contrebasse Pierre Nicolas et aux deux pianos Roger Pouly et Christian Rémy, était remarquable, très soigné. Pas de choristes, ni effets de lumières : Charles simple et tout seul sur la scène. Une salle bondée qui criait son enthousiasme, avec aux premiers rangs, les invités de marque: Tino Rossi, Gilbert Bécaud, Guy Béart, Marie Laforêt, Jean-Pierre Aumont, Jean-Claude Brialy, Catherine Deneuve, Micheline Presle, Claude Lelouch, Régine Crespin, Daniel Ceccaldi, Salvator Dali, Michel Droit, Mme Breton...
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Tout au long du récital, une horde de photographes s’agitait et des caméras ronronnaient inlassablement pour un téléreportage, images diffusées plus tard sur TF 1 dans «L’âme d’un poète nommé Charles Trenet » de Claude Barrois, et que l’on verrait aussi, des années après, éparpillées au fil d’autres émissions : «Y a d’la joie », «Les 100 ans de l’Olympia », «Un siècle de chansons»..., extraits qui apparaîtraient également, plus près de nous, dans YouTube et Daily Motion.
Pour voir un extrait, suivez ce lien : « La mer » - version 1975
Si les commentaires, le lendemain matin, à la radio et dans la presse, n’eurent certes pas la même ampleur qu’en 1971, partout on vanta ses mérites :
UN JEUNE HOMME CHANTAIT
«Le Parisien» du 12 avril 1975 :
Incroyable Trenet! Il réussit à donner à ses plus vieux admirateurs l’impression de le découvrir. A 61 ans, et après quatre décennies, il « faut le faire ». Il ne cherche plus à faire jeune. Il est jeune.
UN RETOUR POUR UN ADIEU
Guy Silva dans «L’Humanité»:
Charles Trenet a le mérite de la franchise. Il annonce que ses adieux dureront trois ans. Procédant par étapes, il veut d’abord prendre congé du music-hall où il a débuté il y a quarante ans. C’est à peine crédible, lorsqu’on le voit évoluer sur la scène, l’œil bleu toujours aussi pétillant, le geste précis et tenant parfaitement la distance des quarante chansons. Ses succès d’avant-hier subissent l’épreuve du temps, sans dommage.
LE BONHEUR DE CHANTER
Norbert Lemaire dans «L’Aurore»:
Charles Trenet c’est la pudeur des sentiments, la délicatesse de l’âme, la sérénité face aux musiques électrifiées qui secouent les nerfs et qui n’agissent que sur l’hystérie d’une salle. Chez lui, rien que de la chanson à l’état pur; une variation musicale sur une mélodie aimable, une évocation nostalgique du bout des lèvres, un émerveillement devant le quotidien et les joies simples.
Qu’elles soient nouvelles ou anciennes ses chansons n’ont pas d’âge. Elles sont de toujours, car la magie d’un air et l’ambiguïté d’une parole signés Trenet sont hors de mode. Du premier titre au dernier le bouquet est divin. Jamais Trenet n’a chanté aussi bien, d’une voix aussi éblouissante et sans aucune fatigue apparente. On l’écouterait des heures entières nous conter ce monde féerique que seul le magicien et l’authentique poète peuvent créer.
Quant à sa présence scénique, elle demeure intacte, mieux, elle s’est affinée. Il bondit encore, mais uniquement quand le texte le justifie : pour mettre en scène son petit kangourou, ou pour rendre plus extraordinaire son jardin.
Trenet a beau nous dire adieu, on ne l’oubliera jamais. Sa poésie est immortelle, Trenet demeurera, car il est unique et ne doit rien aux emprunts. Non pas adieu, Charles Trenet, mais à toujours.
« LA RENTREE–ADIEUX » DE CHARLES TRENET À PARIS : UN TRIOMPHE
«Nice Matin»:
Cinq rappels, des ovations en rafales, c’est l’autre nuit à l’Olympia où un jeune homme de soixante-et-un ans faisait sa rentrée. Maître de son art, de sa poésie, de ses musiques, il a interprété une quarantaine de chansons et ne semble nullement au bord des adieux.
Le public ne s’y est pas trompé: debout, il ne voulait plus le laisser partir.
UN POÈTE CHANTEUR
«Le Nouvel Observateur» No. 545 :
Son retour n’est pas la performance d’un monsieur âgé qui veut montrer qu’il est encore capable de tenir en scène. C’est la preuve que l’adolescence peut être éternelle.
CHARLES TRENET : FIDÈLE À LUI-MÊME
Claude Fachard dans «Le Pèlerin» No. 4819:
Toujours jeune, même s’il est moins trépidant, s’il se confie moins volontiers, s’il ferme sa porte aux impudents qui viennent l’importuner, il gagne encore une fois la partie.
Les modes ont passé. La guerre est venue, puis l’après-guerre. Trenet est toujours là. A 62 ans, il reste fidèle à lui-même avec sa joie de vivre, l’absence feinte de problèmes graves et la volonté délibérée d’ignorer que le monde tourne. Optimiste oui ! ce vieux jeune homme veut montrer qu’il a l’espoir chevillé au cœur. Le secret de son inaltérable réussite, c’est sans doute le goût de la chose bien faite. Il a su remplacer des refrains totalement stupides par des paroles intelligentes et mettre ses chansons sur une musique qui à ses débuts était encore balbutiante en Europe: le jazz.
CE N’EST QU’UN AU REVOIR
Edgar Schneider dans «Jours de France» No. 1062:
Charles Trenet a décidé de faire ses adieux et une fois de plus le public a marché: Trenet à l’Olympia fait salle comble. Comme quoi le coup des “adieux” marche à tous les coups. Maurice Chevalier, recordman de l’épreuve, avait réussi à faire les siens pendant dix ans.
TRENET : OUI, NOUS NOUS REVERRONS
François Truffaut dans « Le Point » No. 135
Dans le domaine du music-hall, le mot « adieu » n’est pas forcément coloré de tristesse. Ces adieux, Charles Trenet est bien décidé à les étaler sur trois ans ; ils rempliront au moins mille soirées à travers la France et c’est bien ainsi.
Nous connaissons des artistes prétentieux, des artistes modestes et d’autres faussement modestes. Charles Trenet échappe à toutes ces catégories, il est simplement un artiste heureux. Oui, c’est évident, il est heureux d’être là, heureux de chanter et forcément heureux de voir devant lui mille têtes qui s’illuminent et lui renvoient son sourire content.
Puisqu’il a décidé de faire ses adieux au music-hall, nous irons lui dire adieu souvent.
TRENET : NOTRE PRINCE CHARLES DE LA CHANSON
Paul Carrière dans « Le Figaro » :
La philosophie du sourire : une des plus difficiles à pratiquer et, sans doute, la plus utile à l’homme d’aujourd’hui. C’est cela même que Trenet, notre prince Charles de la chanson, nous a fait ressentir tout au long de son nouveau récital où se côtoient en se confondant – car il n’y a pas d’âge chez lui, les années ou plutôt des millésimes. Trente-huit refrains criblés d’acclamations par un public où les jeunes se sentaient aussi à l’aise que leurs ainés. L’humour de Trenet, comme sa poésie, avec laquelle il le marie volontiers, ne s’embarrasse d’aucune contrainte. Il se joue des idées comme des mots, il est primesautier et narquois, comme on ne sait plus l’être. Son secret : une juste mesure de sagesse et de folie. La chanson ne sortant pas de son rôle naturel : détente de l’esprit ou pincement du cœur. Et surtout pas un matraquage d’idées ou de sonorités outrecuidantes. Cela étant, comment ne serait-il pas dispensateur de joie ?
Avec six ou sept nouveautés, Trenet 75 reste rigoureusement dans le sillon qu’il a tracé depuis quelque quarante ans.
Jamais il n’a autant réellement chanté. L’ampleur de sa voix le dispense de déguster le micro comme il est trop de mode. Il révèle tout à fait à la foule le facétieux amuseur qu’il a toujours été pour ses intimes. Avec les yeux très ronds et les dents qui brillent du lapin-mascotte cher à Dali, un geste lui suffit pour toute une illustration.
Un prince, je vous dis.
CHARLES TRENET : Y A TOUJOURS DE LA JOIE
Jean Macabiès dans « France-Soir » :
On savait qu’il existait. On oubliait qu’il était là. Au coin de trois notes égrenées, au creux d’un souvenir effeuillé il surgissait soudain. Ah ! oui, Trenet… Au fait, qu’est-ce qu’il devient ?
Eh bien, Charles Trenet est vivant et il chante à Paris. Les pieds à l’Olympia, la tête dans les étoiles, cœur à cœur avec trois générations de spectateurs. Le voilà plus que Trenet que jamais. Quelle leçon.
Quarante titres d’hier et d’aujourd’hui – c’est-à-dire de toujours, choisis parmi les cinq ou six cents d’une production de quarante années. Bulles de savon qui n’en finissent pas de crever dans le chatoiement d’un arc-en-ciel.
Une subtile alchimie
Charles Trenet l’a juré : cette série de récitals est un adieu à la scène. Et hélas ! il faut prendre au sérieux ceux qui n’ont pas l’air sérieux.
Mais vont naître des générations qui n’ont pas vu Charles Trenet chanter. Qui ne sauront jamais quelle subtile alchimie dose l’humour, la fantaisie, la tendresse, la précision du geste, la coloration musicale de son interprétation.
Etait-ce le sentiment d’assister à quelque chose qui, déjà, appartient au passé qui décuplait la faveur et l’enthousiasme du public ? L’on voudrait tant que ces adieux ne fussent qu’une pirouette de funambule, une coquetterie de poète. Ou une blague de M. Trenet.
LA RÉVOLUTION TRENET : Charles Trenet à l’Olympia
Claude Fléouter dans « Le Monde » du 12 avril 1975 :
La chanson française lui doit tout. Il n’y a pas d’autre exemple d’une aussi grande richesse et d’une aussi forte influence. La révolution Trenet qui éclata dans la France insouciante des premiers congés payés, n’a pas fini de laisser ses marques.
Charles Trenet fait ses adieux à l’Olympia et s’envole une fois encore sur la fameuse route enchantée, où les fantômes sourient toujours, les oiseaux et les montagnes chantent, le vent de la campagne chuchote et, au hasard du chemin, ne rencontre le bonheur passager, la solitude, mille personnages, les enfants qui s’ennuient le dimanche, la bonne qui n’est pas sage et Mam’zelle Clio qui pourrait chanter une berceuse à un enfant dont la mère est en Belgique, aux Pays-Bas, aux Amériques… Comme il le dit lui-même, Trenet sur scène, a du feu dans l’œil droit et du rêve dans le gauche. Et sa magie c’est alors une générosité folle qui entraîne le public avec toute la complicité voulue dans la complainte.
On chercherait en vain un monsieur d’un certain âge, mélancolique, noyé de regret ou d’amertume. Trenet est là, tout entier. Et c’est une merveille de le découvrir ou de le redécouvrir dans une quarantaine de chansons, dans un récital qui paraît plutôt en forme d’au-revoir que d’adieu.
<LES ADIEUX JOYEUX DE TRENET
Par Jean-Claude Mazeran
« Le Soir illustré » No.2235 – 24 avril 1975
« JE NE VEUX PAS ÊTRE UN VIEUX FOU CHANTANT »
« De vrais adieux, je vous le jure »
Les spectateurs des récitals d’adieu que donne Charles Trenet à l’Olympia ont pu le constater : à 62 ans, le « fou chantant » tient la superforme.
C’est à croire qu’il possède un secret de jouvence. Il en plaisante :
- Qui vous dit que je suis réellement en forme ? Je n’en ai peut-être seulement l’air !
Mais le punch et le rythme avec lesquels il enchaîne chaque soir quarante chansons ne trompent pas. Il a un secret. Non, Charles Trenet proteste :
- C’est simplement la solide santé que m’a léguée ma mère. Si vous la voyiez, elle va très bien : à 85 ans on dirait une jeune femme. Et sa voix est toujours aussi fraîche. Non, je ne suis aucun régime spécial, car je déteste les habitudes. A l’occasion d’un bon repas je ne refuse pas un cigare et un cognac. Bien sûr, quand je chante le soir, je ne fais pas de repas trop copieux. Finalement, mon seul secret, s’il y en a un, c’est la natation l’été et deux heures de marche quotidienne l’hiver. Quant à ma voix, je ne prends aucune précaution spéciale. Je crois qu’en fin de compte l’énergie que je déploie sur scène tient avant tout à une sorte d’électricité qui est dans l’air quand je suis en présence du public.
Dans ces conditions, on peut s’étonner que Charles Trenet annonce ses adieux.
- De vrais adieux, je vous le jure, proclame-t-il. Ce n’est pas un truc publicitaire. J’agis ainsi parce que je préfère partir à l’âge de la plénitude. Qui dit que dans quatre ans je pourrai encore faire ce que je fais aujourd’hui ? Or, je ne veux pas décevoir le public ; je l’aime trop pour cela. Je sais qu’il y a de mauvaises langues qui prétendent que j’essaye de faire le jeune à tout prix. C’est faux. Je ne donnerai jamais l’occasion de me voir en vieux « fou chantant » croulant. Je n’ai pas envie de devenir un monument historique, une vieille gloire qui pontifie. Je vous assure également que la scène ne me manquera pas. Je ne suis pas du genre à m’accrocher jusqu’au bout. Il y a tellement d’autres choses dans la vie que la chanson. Après lui avoir consacré quarante ans de mon existence, j’ai envie de voyager, lire, écrire… et pourquoi pas, ne rien faire.
- Puisque vous évoquez les méchantes langues, savez-vous que certains affirment que vous quittez la scène parce que vous vous sentez démodé ?
Avec un large sourire, Trenet répond :
- Je ne serai jamais démodé pour la bonne raison que je n’ai jamais suivi une mode ni obéi à des critères purement commerciaux. Je dois être le seul chanteur français qui n’ait jamais profité d’un lancement publicitaire. Je ne dois mon succès qu’à mes chansons et à mon public.
Ce public, quel est-il aujourd’hui ? On a prétendu qu’il avait vieilli avec sa vedette et que les jeunes ne venaient pas voir Charles Trenet.
- A mes débuts j’ai été lancé exclusivement par les jeunes ; ceux-ci ont vieilli, mais me sont restés fidèles. Malgré tout, j’ai pu constater il y a quatre ans lors de mon passage à l’Olympia (que j’avais rempli n’en déplaise à certains) que les jeunes constituaient 50% des salles, ce qui n’est pas mal, non ?
De ce récital serait tiré un album 33 tours CBS (plus tard paru en CD, chez Sony Music, sous le label « Versailles » No. 480274) avec tous les titres de la marque : Samedi soir usagé, Y a un grillon dans la maison, Le mécène, Au bal de la nuit, L’oiseau des vacances, Les chiens loups, Le revenant, Ne cherchez pas dans les pianos, Les oiseaux me donnent envie de chanter, La dame au piano, Le gros Bill, Il y avait des arbres, Fidèle, Joue-moi de l’électrophone...
Tandis que Pathé Marconi croyait avoir eu une idée géniale en éditant un album intitulé «OLYMPIA», pour lequel on avait sélectionné quatorze titres du récital. Album complètement bidon et bien des gens sont tombés dans le piège, car bien entendu il s’agissait d’enregistrements en studio. Plus tard d’ailleurs on mettrait un autocollant rectificatif et le même album sortirait sous le titre de «La Mer – nouvelle version 1975».
Par ailleurs, les disques exposés dans le hall de l’Olympia étaient bien maigrichons pour une rentrée de cette envergure. Sauf les albums CBS existants: «Chansons en liberté» de 1973, «Fidèle» de 1971, il y avait, comme seules nouveautés, deux 45 tours, le premier enregistré avec l’orchestre Guy Mattéoni et paru en 1974, avec Le Mécène et A l’Île Maurice, et un deuxième avec La dame au piano et Les oiseaux me donnent envie de chanter, enregistré cette même année 1975, au studio Clarens à Vincennes.
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