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LE RETOUR
Un poème de Charles Trenet

© - mai 1929

Quand on revient dans une ville
où l’on a laissé son bonheur,
quand on revient dans une ville
où les arbres se plient sur la route docile,
quand on a le cœur plein d’impatience fébrile,
on marche avec une soudaine ardeur
et tous les mystérieux murmures
qui peuplent la campagne nocturne
ont un charme particulier.

Les étoiles qui veillent
sur l’âme des poètes morts
possèdent une étrangeté, pareille
aux beaux yeux verts que je vais voir.

Toutes les maisons du village
vont disparaître, et sous les cieux
il ne restera plus que la lune, cette image
toute entourée d’étoiles qui sont des yeux.

Au détour du chemin passent des bicyclistes
ou des promeneurs attardés,
mais je n’ai pas souci de leurs poursuites
ou des poursuites des autos aux phares endiablés.

La ligne d’horizon est très douce
et le vent de la nuit, qui me pousse,
m’incite à glisser un regard curieux
dans les fenêtres de quelques fermes
où j’aperçois des gens heureux,
des couples de robustes amoureux
qui s’aiment.

Dehors il y a des chats empreints de poésie
et des chattes désireuses de volupté
qui miaulent dans l’hypocrisie
avec des dissonances arpégées.

Ce serait presque une nuit d’été
sans la fraîcheur de l’atmosphère.
Un chien qui a perdu son maître,
un chien bonasse au poil très ras
s’approche de moi, puis me flaire
et puis, indifférent, s’en va.

Je suis comme ce chien qui a perdu son maître,
je suis tout seul, et la maison
que j’avais bien cru reconnaître
est anonyme et sans raison.

Personne ne m’attend, adieu ma bien aimée.
Il faut s’en retourner, car la grille est fermée.
Disons adieu à tous nos souvenirs,
promettons à mon cœur de ne plus revenir.

Tristes vont s’écouler les jours et les années.
Adieu toutes mes joies et tout ce que j’aimais,
je ne reviendrai plus jamais.