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MA POESIE
Poème de Charles Trenet

Chez moi, la poésie habitait une chambre
Où l’enfant que j’étais ne rêvait que par elle.
Que de fois j’ai couru vers l’ombre de ses ailes,
Que de fois j’ai volé vers l’aile de son ombre.


Je n’y prenais pas garde et elle me regarde
Hagarde…  Et c’est la gare où ma mère partait
Pour Venise , en voilette, ou bien pour Bellegarde.
En garde ! je pleurais et la vie me battait.


Et j’étais devenu le fils de la poussière…
Des abbés m’emmenaient parfois en promenade.
Je préférais les raisins verts aux camarades,
La nature éblouie aux modestes prières.


Noëls ! On nous réveille aux messes de minuit,
Sommeil de réveillons…  Les saucisses sont froides.
Au fond du réfectoire, un prêtre s’est enfui
Volant le tiroir-caisse aux moines de Fontfroide.


Un jour je me réveille avec trente ans de moins.
L’A.B.C. ! L’A.B.C. ! J’avais mal à la tête…
Le monde était si près de moi et moi j’étais si loin,
J’assistais en passant à cette étrange fête.


Depuis je t’ai revue, ô Méditerranée !
J’ai couru, j’ai chanté devant tes Espagnoles
Témoin des lieux marins de mes jeunes années,
Le temps s’est dévidé comme une chanson folle.


Mes oiseaux, Emilie et le crapaud d’Auguste,
Trains, vent du nord, à moi ! Tout flambe, le Robine
A coulé dans mon sang des promesses illustres,
Manières, Madelon remontez vos cabines.


Cirque Pinder plein d’air, tout repeint, tout re-plein,
Narbonne et l’Alcazar qui brûle et, sur les barques
Une dame étrangère à la ville (on la plaint)
Anglaise, paraît-il, pour moi la vieille parque.


Interview ? A quoi bon ! J’étouffe de mensonges,
Mourant de solitude au fond de ce couloir…
Mais je veux de jadis, exprimer les éponges
Et par la vérité faire éclater le noir.


Oui j’ai souffert, oui j’ai pleuré, oui j’étais pauvre !
Et je le suis toujours et je pleure d’amour.
Et je n’ai pas trouvé dans la foi qui nous sauve
Le calme, le repos, la paix, le point du jour...